Chapitre 2

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Ce fut Jotka qui me tira de ma rêverie douloureuse. Son petit aboiement me ramena doucement sur terre, à ma nouvelle vie, rythmée par une routine bien rodée et rassurante.

Je me relevais et me dirigeai vers le hall d'accueil, pris l'agenda et l'ouvris à la page du jour. Aujourd'hui, j'emmenais en balade un couple français qui avait réservé toute la journée. Parfait, plus les sorties étaient longues, plus elles étaient plaisantes.

Je passai rapidement en cuisine afin de m'assurer que le repas à emporter serait prêt à temps, Puis avala rapidement un petit déjeuner protéiné avant de grimper dans la salle de bain commune. Par chance, elle était vide, et je pu m'installer tranquillement, profitant de ce moment de détente pour réveiller mon corps, et chasser de mon esprit les mauvais souvenirs qui me hantaient encore. Tous ces bruits qui me tourmentent, le claquement sec de coups de feu, la glace qui craque, les gémissements... ses sons résonnaient dans ma tête, bien plus vibrants que de simples souvenirs. Il me semblait les entendre encore trop souvent, se confondant avec la crépitation d'une branche qui casse, ou le claquement du tonnerre. Ils étaient là, autour de moi, tels des fantômes aux aguets, cherchant la moindre occasion de me rappeler mon passé, de rouvrir la plaie encore écarlate.

Je me concentrai sur la sensation de l'eau sur mon visage, puis mes épaules. Je cherchai à distinguer chacune des gouttes qui perlaient sur mon corps, traçant rapidement des sillons sur mon ventre, me chatouillant les cuisses. J'étais là, vivante, et il fallait que je me focalise sur le moment présent, et la chance que j'avais eu de me retrouver ici.

- Hurry up, you're not the only one who needs to use the bathroom !

Les cris d'Erlend me firent sursauter. J'avais déjà bien profité, et fermai les robinets à la hâte. Je m'habillai rapidement, jetai un petit coup dans le miroir –pas vraiment besoin de maquillage ici, une bonne crème hydrante additionnée de crème solaire feraient l'affaire– et je déverrouillai la porte.

- French girls...bougonna-t-il.

Mais je lui adressai mon plus franc sourire. Je savais qu'il m'aimait bien, au fond.

Je passai une dernière fois dans ma chambre avant de descendre préparer l'expédition d'aujourd'hui. Mon traineau et mes chiens prêts –évidemment Jotka était de la partie– je me dirigeai de nouveau vers le hall d'accueil. Toujours la même routine.

Elin m'informa que le couple que j'accompagnais était arrivé avec un peu d'avance, elle les avait dirigés vers le vestiaire, puis près de l'enclos des chiens. On allait pouvoir partir tôt, c'était parfait.

Quelques minutes plus tard, j'aperçus effectivement deux silhouettes penchées au-dessus de la barrière de l'enclos. Mon cerveau commença à vibrer lorsque je cru reconnaitre l'homme. C'était impossible, encore une illusion comme j'en avais eu des centaines. Je pris mon courage et m'avançai franchement sur quelques mètres avant de me stopper net.

Cette fois-ci, je n'avais plus de doute. Il souriait à l'inconnue à côté de lui, parfaitement détendu. Il avait l'air heureux. Tant mieux pour lui, pensai-je. Je luttai contre l'envie de tourner les talons, et m'avançai encore d'un pas. Hashtag, le chien que la fille était en train de caresser, me reconnut et jappa dans ma direction.

L'homme tourna la tête et se raidit instantanément lorsque ses yeux marron tombèrent sur moi. Il murmura mon prénom, mais ne fit aucun geste. L'inconnue resta en retrait, comme si elle savait que le moment allait être difficile.

Voyant que je ne tirerai rien de mes interlocuteurs, je me raclai la gorge pour me donner du courage et ouvris l'enclos.

- Bonjour, c'est par ici, suivez-moi.

Nuit polaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant