83/ La douleur du deuil

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Cette nuit-là, contrairement aux attentes de Sir Stevenson, Lady Jane Stratton ne le rejoint pas. La journée a été épuisante nerveusement. Elle a suivi les protocoles et s'est montrée digne. Puis, elle a fermé les grandes portes de la maison et s'est retirée dans le jardin d'hiver.

Elle y reste bien après la tombée de la nuit. Les domestiques n'osent pas venir la déranger. Ils savent que le chagrin de Jane n'est pas feint. Eux-mêmes sont très touchés. Eugénia était une maîtresse un peu étrange parfois, mais bonne et juste. Ils savent que Jane suivra ses traces. Elle le leur a déjà assuré. Alors, ils la laissent en paix.

La lune illumine un ciel sans nuage, Jane se lève du fauteuil d'Eugénia et se dirige vers les portes donnant sur le jardin. Il a fait si chaud durant la journée, et cette robe, bien que très belle malgré sa sobriété, lui pèse. Elle a l'impression d'avoir une cuirasse sur le corps. Jane a besoin de s'immerger dans la fraîcheur de la nuit. Elle va jusqu'au bassin bordé d'arbres qui s'étend sur plusieurs mètres au milieu de la pelouse et se défait de sa cuirasse. Elle laisse glisser l'étoffe précieuse sur l'herbe. Contrairement à d'habitude, elle ne s'inquiète pas de la protéger. Jane espère secrètement ne plus jamais avoir à porter des vêtements de deuil. Et pourtant... Le noir, qui lui va si bien, va être son plus fidèle ami pendant au moins un an...

Elle enjambe naturellement le bord du bassin et s'immerge dans l'eau glacée. Elle se souvient des mouvements pour nager. Elle a appris enfant. Elle va jusqu'au bout du long bassin sans peine. Elle part dans l'autre direction. Puis recommence. Encore. Encore. Encore. Jusqu'à épuisement. Jusqu'à ce que son corps n'en puisse plus, comme son esprit.

Alors, debout au milieu de l'eau, elle recouvre son visage de ses mains et elle pleure. Enfin. Pas seulement pour Eugénia. Pour sa mère, Amélia Shaw. Pour son père. Pour Emma. Pour sa petite fille... pour tous ses morts.

La jeune femme ne sent pas le mouvement de l'eau autour d'elle. Elle ne prend conscience de la présence de Marcus qu'au moment où il la prend dans ses bras. Il ne dit rien. Il la soulève sans peine, puis la sort du bassin. Il laisse la robe où elle est. Il amène Jane dans le jardin d'hiver, l'enveloppe d'un plaid qu'il trouve sur une banquette, continue son chemin avec la jeune fille dans ses bras.

Lorsqu'il la dépose sur son lit, elle l'attire à lui, et il se laisse faire. Leurs lèvres se cherchent, se trouvent. Il recouvre sa peau de baisers, tandis qu'elle lui retire sa chemise. Les tendres caresses se mêlent aux larmes. Il l'empêche de le déshabiller tout à fait. À aucun moment, il ne cherche à la prendre. Il se contente d'apaiser la douleur. Il se colle bientôt contre son dos, emprisonne ses bras et la maintient ainsi pendant qu'elle pleure de nouveau. Il attend ainsi qu'elle s'endorme, puis doucement, il quitte sa couche, la borde et disparaît.

Tout s'est passé dans l'obscurité silencieuse de la maison en deuil. Le lendemain matin, Jane se réveille seule. Elle pense avoir rêvé. C'est en voyant la robe humide dans les bras de Mme Martins, qu'elle réalise que lord Carver-Hill est bien venu. Et contre toute attente, il n'a pas profité de la situation. Au contraire. Bien au contraire.


— Il y a un message pour vous, madame.

— Un seul ?

— Un message qui ne soit pas un mot de condoléance évident, je veux dire, dit Mme Martins en déposant un simple papier plié en quatre près de sa tasse de thé.

Pas de cachet. Le papier est aux armoiries des marquis d'Ormondis. Le message a été écrit par quelqu'un de la maison ? Jane l'ouvre, intriguée.

« Je n'abandonne pas. » lit Jane.

Un sourire fleurit sur son visage triste et fatigué.

— Une bonne nouvelle, madame ? demande Mme Martins qui sait très bien ce que contient le message. Comment aurait-elle pu résister à ce simple papier plié en quatre ?

— Peut-être.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant