Les matines avaient sonné depuis bien longtemps. Toutefois, les flammes de la Saint-Jean n'avaient jamais été aussi vives. Parmi les nombreux participants aux festivités, Jorund et Liva se détachaient comme des coquelicots dans un champ de blé. Ce rayonnement ne provenait pas de leurs apparences ni de l'élégance de leurs pas. Contrairement aux autres, les deux amoureux étaient aussi maladroits que des marionnettes. Au milieu de tous, leurs habits ainsi que leurs cheveux étaient trempés et recouverts de sel. Néanmoins, quelque chose d'inexplicable émanait de leurs corps. L'amour qui les unissait laissait penser qu'un deuxième feu avait été allumé. Le sang bouillant, Jorund tournait autour d'elle en claquant les mains contre ses hanches. De ses entrechats à sa posture, tout était ridicule. Pourtant, sa cavalière accompagnait ses gestes en agitant le ventre et en sautillant de joie. La pétulance de la fête lui avait permis de dépasser sa honte. Il se moquait des autres et de leurs regards. Tout ce qui comptait, c'était que sa précieuse soit heureuse.

— Vous aviez raison, nous sommes bien mieux près du feu !

— Et dire que j'ai failli me noyer. J'aurais manqué tant de choses...

— Eh bien, profitez-en, car je ne danserai point avant le prochain solstice d'été !

Face au regard noir que sa belle lui déployait, il se mit à rire et à lui prendre les mains.

— Je plaisantais, nous danserons autant que vous le souhaitez !

En dépit du vacarme engendré par toute la foule, il avait l'impression d'être coupé du monde. Dans les bras de Liva, il gisait dans une bulle que personne ne pouvait percer et il espérait bien vivre à ses côtés pour l'éternité.

— Pour l'éternité... murmura-t-il en admirant les moindres taches de rousseur qui parsemaient la figure de la fille qu'il aimait.

À mesure qu'il enregistrait son visage afin de ne jamais l'oublier, il remarqua que les traits de la jeune femme se crispaient.

— Quelque chose vous tracasse ?

Tout en diminuant la vitesse de ses pas, Liva semblait hésiter.

— Je ne sais point si c'est vraiment important...

— Vous n'avez rien à me cacher.

Cette fois-ci, elle se figea afin de lui faire part de ses idées.

— Lorsque nous étions à deux sur la plage, vous m'aviez dit avoir vu un phénix ?

— Je le jure !

— Vous n'avez guère besoin de jurer. D'ailleurs, moi aussi j'ajoute foi à certaines légendes étranges.

— Et que sont-elles ?

— Voyez-vous, ma mère m'a toujours raconté que les amoureux devaient sauter par-dessus le feu de la Saint-Jean pour garantir que leur amour dure toute l'année.

L'air étonné, Jorund n'avait jamais entendu parler de cette pratique. Il ne connaissait pas toutes les mœurs de la noblesse, alors comment pourrait-il connaître celles des villageois ? Avant cette nuit, il n'avait jamais côtoyé le « bas peuple ». Mais pour elle, il serait même prêt à labourer la terre.

— Qu'en pensez-vous ? Voulez-vous bien sauter avec moi au-dessus de ces flammes ?

— Allons-y, Liva ! s'écria-t-il en lui tirant les bras.

Ensemble, ils bousculèrent des gens qui jouaient aux quilles ainsi que de jeunes couples qui s'enlaçaient tendrement. Pieds nus, ils s'arrêtèrent au plus près des flammes en se serrant les mains. Jorund avait l'impression que son sang s'était transformé en lave, mais la main de bien-aimée était encore plus chaude que la sienne.

— Êtes-vous prête ?

La jeune femme ne souffla aucune réponse. Cependant, son sourire, ses joues gonflées et le scintillement de ses yeux ne pouvaient dire qu'une chose. Aussi doucement qu'il le put, il lui déposa un baiser sur le front. Puis, d'un œil alerte, il examina l'embrasement du feu de la Saint-Jean. Les flammes étaient vives, mais leur amour était plus fort encore. Main dans la main, ils n'eurent besoin que d'un regard avant de s'élancer au-dessus du feu...

Les feux de la Saint-JeanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant