Chapitre 15.0

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Un léger courant d'air s'immisçait d'entre la petite fente de la porte de la salle de bain. Des perles d'eau tombaient sur le carrelage blanc après avoir parcouru les courbures du corps d'Izanami. Elle secoua ses longs cheveux corbeaux en éclaboussant tout autour. Elle enroula son corps nu d'une serviette de bain blanche qu'elle noua au niveau de sa petite poitrine. Jae-Ha ne lâchait pas les yeux de la jeune femme qui prenait un malin plaisir à se couvrir lentement. Son visage sérieux n'avait pas quitté une seule fois son regard et ne s'était jamais perdu sur son corps. Sa mâchoire était crispée et ses mains tremblaient d'impatience face au jeu de cette enfant. Elle n'avait pas respectée la demie-heure qu'il lui avait accordé et lorsqu'il avait toqué elle n'avait pas daigné répondre. En se téléportant dans la pièce il était tombé face au corps nu de la jeune femme qui baignait dans une eau limpide. La tête renversait en arrière et les cheveux traînant sur le sol, elle le regardait à l'envers avec un sourire satisfait.

- Dépêches-toi. Tu m'ennuies vraiment, se plaignit la voix de Jae-Ha.

Il sortit de la salle de bain pressé pendant qu'elle lui emboîtait le pas en traînant mollement des jambes dans les pantoufles qu'il lui avait ramenées. Ses orteils se tortillaient chaudement à l'intérieur. Le coton embrassait parfaitement ses pieds nus et lui donnait une sensation de confort qu'elle n'avait jamais goûté. Ses pieds étaient durs comme la pierre et couverts de callosités.

Sans prendre le temps d'être ouverte, la porte se poussa d'elle-même pour éviter de couper la course de Jae-Ha. C'était royal. En le voyant de dos marcher fièrement sans que rien ne lui fasse obstacle, Izanami se sentit rassurée de le savoir de son côté. Du moins c'était ce qu'il prétendait.

- Assieds-toi, ordonna-t-il avant de sortir de la pièce.

Toujours la main sécurisant sa petite serviette, elle s'assied sur le lit à baldaquin de la chambre. En posant ses fesses dessus, le confort du matelas l'étonna. Elle se releva et fit des petits sauts pour en juger davantage la qualité.

- Putain, jura-t-elle étonnée avec un sourire.
- Il va vraiment falloir que tu corriges ton langage gamine, l'interrompit Jae-Ha en revenant les mains chargées.

Elle se tût et se contenta de se déchausser pour s'asseoir plus confortablement.

- J'ai cru comprendre que tu n'aimais pas être touchée, commença-t-il en déballant le matériel d'une trousse de secours, mais je dois te soigner. Je ferais vite.

Izanami le regarda mollement en hochant la tête. Depuis que son corps avait goûté au confort de ce lit, c'était comme s'il avait aspiré toute son énergie et qu'il lui criait de s'allonger.

Depuis combien de temps n'ai-je pas dormi ? pensa-t-elle en baillant bruyamment.

- C'est ce qui arrive quand on joue aux tueuses en série et qu'on ne se repose pas.

Elle ne daigna pas relever sa remarque et se contenta de le regarder continuer de sortir toutes sortes de bandages et autres choses qu'elle ne pouvait pas nommer.

- Enfile ça rapidement, dit-il en lui tendant un tee-shirt très large qui devait lui appartenir ainsi qu'un caleçon.

Il pivota sur lui-même pour lui laisser son intimité tandis qu'elle se dandinait sur le lit pour réussir à enfiler le caleçon dans lequel elle flottait. Elle s'autorisa une œillette discrète sur le corps de son soignant. Il était immensément imposant. Elle n'avait sûrement jamais rencontré d'homme aussi grand, et ses épaules étaient si larges. Rien à voir avec son oncle petit et rond. Les jambes de Jae-Ha semblaient si puissantes qu'elles auraient pu le mener jusqu'au bout du monde. Ses mains faisaient sûrement le triple des siennes. Tout chez lui était disproportionné : son corps, son ego et sa bizarrerie.

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- Tu as fini ?

Elle grommela un son approbatif avant de retourner à son regard vide et fixer un point devant elle. Il tira un tabouret face à elle et la coinça entre ses genoux.

- Je peux essayer de rafistoler ce corps, dit-il ironiquement, mais je vais devoir t'emmener à l'hôpital pour que tu passes des examens.
- Pas envie, rétorqua-t-elle trop rapidement.

Jae-Ha souffla en palpant doucement les bras de la jeune femme.

- D'accord, se résigna-t-il. Mais facilites-moi la tâche : si j'appuie sur un endroit qui te fait mal, ne reste pas silencieuse et dis-le-moi.

Elle ne répondît rien et le laissa continuer son exploration.

- J'ai mal, dit-elle machinalement.

Sans lâcher son poignet, il ouvrit une pommade avant d'en verser le contenu sur le bras endolori de sa patiente. Ne s'attendant pas à cette sensation de froid elle remua. Il la massa doucement en faisant pénétrer la crème. Elle ferma les yeux et soupira d'aise.

- Allonge-toi et repose-toi, je ne sais même pas comment ton corps tient encore le coup.
- Je ne dormirais pas, cracha-t-elle en plantant son regard dans le sien.

Comme s'il en avait saisi la raison, il n'ajouta rien de plus et se contenta de la soigner silencieusement tête baissée. Le visage d'Izanami était couvert de blessures qu'il avait pansé. Il avait relevé son tee-shirt et ne s'étonna même pas de l'état de son abdomen. Il garda le silence et souleva son corps d'une seule main comme si elle pesait aussi lourd qu'une plume. Il enroulait des bandages tout le long et limitait le contact de ses mains sur son corps. Lorsqu'il eut fini, il se contenta de la reposer avec douceur sur le lit et de caresser doucement ses cheveux. Elle ne rechigna pas ce contact.

Son imagination se perdait en contemplant ce qu'elle déduisait être sa future chambre. Un lustre moins impressionnant mais toujours aussi luxueux que celui de la pièce principale pendait sur le plafond. Une jolie armoire coulissante, construite directement à partir du mur de la chambre, était vide comme si elle n'attendait uniquement les affaires de la jeune femme. Une petite lampe de chevet était sur sa droite et une bibliothèque remplie de livres sur sa gauche.
C'était comme être l'invitée d'un roi, tout semblait si coûteux qu'elle était soucieuse parfois de poser ses doigts sur ces murs. À travers la fenêtre elle pouvait devinait que le soleil se couchait. Une teinte rosée illumina les tons beiges de cette chambre et la peau mate du médecin. Il ressemble à l'été, songea-t-elle.
Il la regardait toujours et elle n'aimait pas ça.
À quoi est-ce qu'il pouvait bien penser avec cet air si sérieux ? Il la regardait dans les yeux mais elle avait la fine impression d'être invisible et d'être percée par son regard qui ne s'arrêtait pas en elle durant sa traversée. Il regardait tout, sauf elle.

J'ai l'impression de me voir quand toutes ses voix parlent dans ma tête. Est-ce commun d'entendre toutes ces choses ?

Elle bougea doucement sa tête pour échapper à la main affectueuse du surnaturel mais son corps refusait de se relever. Peu importe l'effort qu'elle y mettait, c'était comme être enchaînée au lit. Son corps s'était finalement rendu compte de ses limites.

- Je vais bientôt régler tous tes problèmes. Garde le téléphone que t'as donné le lieutenant à portée de main. Récupère ton argent et disparaît. Vis ta vie, recommence-la. Va à l'école et fais toi des amis. Voyage, amuses-toi, reconstruits-toi.

Sa main s'était posée sur le front de la jeune femme pour prendre sa température mais il ne la retira jamais.

- Tu es libre, petite. Ne t'emprisonne pas.

Izanami le jaugea du coin de l'œil en maugréant un son ennuyé.
Elle se tourna pour ne plus lui faire face et mordit sa lèvre au sang.

Ne pleure pas.

C'était une sensation désagréable qui mêlait des sentiments et pensées contradictoires. Elle haïssait la manière dont il simplifiait la vie et cette façon qu'il avait de gérer ses problèmes à elle. Ça lui était insupportable d'être traitée comme une enfant capricieuse qui s'empêchait de vivre alors que c'était plus que ça. Ces liens qui la tenaient loin du bonheur, ce sentiment de néant qui la bouffait. Combien de fois s'était-elle forcée à sourire en se répétant « Je suis heureuse. Tout va bien. Je décide de mon état. Si je décide d'être heureuse, alors je le suis ». Mais son stupide sourire finissait toujours par se déformer et se substituer à un visage laid de tristesse. Elle ne pouvait pas être heureuse seule.
Mais quand elle l'entendait si sûr de lui, se pavanant fièrement dans le monde comme s'il en était le propriétaire, prendre toutes les responsabilités des actes qu'elle avait engendré, ça lui donnait envie d'y croire de nouveau. Et la pensée que son image lui soit si réconfortante et rassurante la dégoûtait. Lorsqu'il aurait réglé ses affaires, elle se retrouverait de nouveau seule à vagabonder dans les rues, sûrement à la recherche de la mort ou de nouvelles épaules sur lesquels se reposer. Elle n'était capable de rien seule. Elle le savait. Elle ne pouvait pas vivre cette vie seule.

- Faites vite que je puisse rentrer.

Oui Izanami. N'attend rien de personne. Ils te laisseront tous, tu n'as aucune valeur à leurs yeux. Tu n'es qu'un boulet accroché à sa jambe. Il a pris pitié de toi comme si tu étais un chien errant. Ce n'est qu'un Dieu qui s'ennuie et qui veut rassasier son égo en sauvant les humains des conséquences que lui ou l'un de ses amis divins ont sûrement provoqué. Marche seule, pleure seule, vis seule et meurs seule.

- Rentrer où ? la bouscula-t-il sans lâcher son visage des yeux
- À la maison, répondit-elle avec évidence.

Il ria si attendrit que des plis se formèrent sur ses yeux amusés.

- La maison, c'est un endroit qu'on aime et dans lequel on se sent en sécurité. Pas un simple toit de briques. Reste ici si tu veux, tu ne seras pas seule avec Hua-Jin, il pourra prendre soin de toi.

Il se leva sans attendre sa réponse mais Izanami le coupa dans sa course :

- Et toi ?

Les mots s'échappèrent de sa bouche. Elle voulut plaquer une main réprobatrice sur ses lèvres mais elle garda le même masque impassible pour ne rien laisser penser. Il lui parlait d'un futur dans lequel il n'était pas présent.
Elle n'avait pas besoin de lui, elle s'en moquait. C'était sa curiosité qui avait parlé.

- Tu aimes les étoiles ? demanda-t-il soudainement en sortant les mains de ses poches

Il avait changé de sujet aussi vite que les pensées d'Izanami s'était matérialisées en mots. Mais ça la soulagea, elle ne voulait pas savoir quelle place il aurait dans son futur finalement.

- Regardes les étoiles quand tu m'attendras, murmura-t-il.

Elle hocha ses épaules et lui tourna le dos en fermant les yeux. Elle essayait d'ouvrir ses paupières qui papillonnaient de fatigue face à son effort de rester éveillée. À peine une seconde passa et son esprit s'éteignit instantanément comme un robot aux piles usées. Elle dormait enfin.

Le cadavre et l'immortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant