" Louis,
Je n'ai pas beaucoup de temps.
Je suis si désolée.
J'ai hésité à venir.Ça y est.
Ça fait un an.
Déjà un an.
Un an tu es couché sur ce lit d'hôpital.
un an.
365 jours.
J'ai du mal à y croire.
Une année entière.
Et tu es toujours là.
Couché.
Livide.
A deux doigts de mourir.Je ne voulais pas venir.
Je te l'avoue.
J'avais très peur d'arriver dans ta chambre et de la voir vide.
Sans toi.
Qu'il t'ait déjà débranché, qu'il t'ait déjà laissé tomber.
Que je ne puisse pas te dire au revoir.
C'est si dur.
Pour moi.
Pour ta grand-mère.
Pour tout le monde.
C'était pourtant essentiel que je revienne te dire au revoir.
Alors me voilà.Je suis si fière de toi.
Si fière d'avoir pu être à tes côtés jusqu'à ce que tu décides de t'en aller.
Je suis reconnaissante d'avoir pu t'aimer, d'avoir pu être ton amie, la meilleure d'après ce que je sais.
Je suis si touché d'avoir vécu une grande partie de ta vie à tes côtés, d'avoir pu être cette amie sur qui tu pouvais compter.
Je me sens chanceuse désormais de pouvoir marcher, respirer et vivre librement quand toi tu n'es plus là pour le faire.
Je me sens honorée d'avoir eu un ami si bon à mes côtés, un ami qui veillait sur moi et qui continuera de le faire aujourd'hui, même en étant absent.J'espère que tu seras en paix là où tu iras.
J'espère que tu ne cesseras jamais de te souvenir de nous.J'aurais tant aimé pouvoir être franche avec toi beaucoup plus tôt.
On aurait peut-être pu vivre quelque chose ensemble, quelque chose d'incroyable, avec des sentiments et des émotions des plus sincères.
Je me déçois tellement de t'avoir caché tout cela et d'en avoir des remords aujourd'hui.Et je suis là au-dessus de toi, à peine vivant.
Et je n'aurais jamais l'occasion de te dire droit dans les yeux à quel point je t'ai toujours aimé secrètement.
Je t'aime depuis tant d'années, dans mes notes, mes carnets, mes souvenirs.
Il n'y avait que toi au bout de ce tunnel, au bout de la lumière.
Il n'y avait que toi à la tête de mon cœur, que toi à l'entrée pour le protéger de tous les autres.Et j'espère que tu pourras me pardonner.
De ne jamais te l'avoir dit.
De te l'avoir caché pendant tant d'années.
D'avoir eu des sentiments pour toi en disant que je n'en avais pas.
D'avoir pu t'aimer sans que je puisse m'arrêter, sans même m'en rendre compte.
Je suis si désolée.
Je me sens tellement impuissante, tellement faible.
Et j'ai si peur de te perdre.
Je me sens si mal.Mes larmes au bord des yeux,
Je ne peux te promettre d'être forte.
Je suis désolée Louis... "Les médecins sont arrivés.
— Mademoiselle, il va falloir que vous partiez maintenant.
Je suis restée figé les yeux humides, remplis de larmes incapables de tomber. Ta grand-mère est rentré à son tour dans la chambre, les larmes aux yeux, la main sur la bouche, essayant d'être le plus humble possible pour ton départ. Les infirmières m'ont fait sortir, me poussant hors de ta chambre.
— Il n'y a que la famille qui a le droit de rester ma petite, met toi dans le couloir, tu veux.
Je t'ai regardé une dernière fois et j'ai obéi. Je n'avais en rien la force de me battre, aucune envie même de le faire. Les scandales ne seront pas pour aujourd'hui. Je suis restée figé devant ta porte quelques instants les pieds serrés, le corps complètement contracté. J'ai repris une respiration en voulant aller me mettre assise sur les chaises plus loin. Mais en m'avançant, l'un des médecins avait mal fermé les stores de ta fenêtre. L'un d'eux était légèrement plié et permettait de voir à travers la vitre. Je me suis décalé de quelques centimètres m'adossant au mur d'en face dans l'angle parfait pour te voir encore un peu.
Les médecins ont d'abord éteint les machines qui te faisaient respirer. Puis ils t'ont enlevé chacun des fils qui te maintenait en vie. Ta grand-mère te tenait la main, le visage baissait, les joues gonflaient. Une fois que le tube de ta bouche fut enlevés, ton corps devint comme éteint. C'était une image étrange. Ton visage se fermait petit à petit. Tu avais l'air d'avoir froid et d'être apaisé à la fois.
J'aurais voulu te prendre dans mes bras.
J'aurais voulu être à tes côtés dans ce moment.Ça a duré de longues minutes.
Puis ta grand-mère a fait signe au médecin.
Il a sorti son stéthoscope pour écouter ton cœur et à acquiesçait de la tête.
Ta grand-mère a commencé à pleurait timidement. Elle remercia les médecins et ceux-ci sortirent de la chambre les uns après les autres laissant ta grand-mère se faire à ton décès. Je me suis aussitôt mise à pleurer silencieusement. La main sur la bouche essayant de ne pas croire ce que je pensais voir. Je me suis approché de la fenêtre. Tu étais là couché la bouche encore ouverte du tuyau qu'il t'avait à peine enlevé plus tôt. J'ai faits deux pas vers ta porte, j'étais figé en te voyant livide. Je t'ai seulement dit « au revoir » en chuchotant et je suis partie d'un pas si rapide qu'en quelques secondes je me retrouvais dans le hall.Je me suis dirigé vers la sortie de l'hôpital essayant tant bien que mal de tenir debout sur mes jambes qui tremblaient. J'ai continué à déambuler fébrile sur le trottoir. J'avais les mains moites, la respiration saccadée et les larmes qui coulaient à flot, une à une, sans pouvoir les arrêter. Puis une dame s'approchait de moi en me fixant. Elle déposa son bras sur le mien.
— Mademoiselle ? Vous allez bien ? Vous avez besoin d'aide ?
Je n'ai rien répondu. Mais mon visage rouge de toutes les larmes que j'essuyais sans fin répondait certainement à ma place.
Elle m'a agrippé les épaules en tentant de me ramener vers l'hôpital. Mais mon corps restait lourd, figé dans le vide.— Allons par là. Vous y serez plus en sécurité.
Elle m'a assise sur un banc en restant à mes côtés quand une infirmière passa lui demandant ce qui se passait. Elle a expliqué je ne sais quoi, mais quelques longues minutes plus tard, ma mère se précipitait vers moi.
— Amélie ! Amélie ! Je suis là.
Elle me serra contre elle.
— Merci mille fois, madame. Merci. Allons-y Amy, vient. Rentrons à la maison.
Elle m'emmena dans la voiture où elle fut obligée de m'y asseoir et m'y attacher elle-même. J'avais le regard froid, tombant, anéanti. Je n'entendais plus les paroles de ma mère, mon cerveau était comme éteint. Et je sentais par moments, le regard inquiet de ma mère par-dessus mon épaule, mais je ne pouvais dire quoi que ce soit, impossible de bouger la tête ou la rassurer seulement. Mon corps ne répondait à rien. J'étais statique, comme une statue de pierre, figé dans une émotion, dans un corps vide, à tout jamais.
Bloqué avec la gorge nouée, les larmes dans le coin des yeux, le nez dilaté près à tout laisser s'échapper. Mon sourire forcé s'étirait anormalement à chacune de mes pensées. Je le sentais tirer sur mes joues avec une douleur indescriptible. Comment sourire pouvait-il faire si mal ?En arrivant à la maison, je me sentais toujours lourde. Incapable de faire le moindre mouvement. Ma mère sortit de la voiture s'avançant vers la porte puis remarqua que je n'y sortais pas à mon tour.
Elle défonça la porte de la maison en s'agitant dans tout les sens et en s'écriant à vive voix :— Mike ! Mike ! Viens ! vite !
Elle revenait vers moi ouvrant la porte de la voiture et tentant tant bien que mal de m'en sortir. Mon père arriva à son tour, apeuré par les cris de détresse de ma mère.
Il agrippa une épaule tandis que ma mère saisissait l'autre et ensemble il me fit traverser l'allée jusqu'au hall d'entrée.— Qu'est-ce qui se passe ? S'étonna soudainement mon père de voir dans un tel état.
— Ils ont débranché Louis, il y a même pas une heure.
— Oh... Je comprends mieux.Le visage de mon père devint à son tour triste. Il me prit dans ses bras comme on porterait une princesse, ou un petit bébé, puis il me monta jusqu'à l'étage. Il m'assit sur mon lit, me caressant les cheveux et me serrant contre lui. Ma mère revenait avec un grand vers d'eau, un gant de toilette humide et des cachets pour m'aider à avoir meilleure mine.
Je me suis laissée tomber sur mon lit rampant jusqu'à mes cousins en repoussant mes parents. Je me plongeais dedans en sanglotant, hurlant de tristesse, de colère.
Je sentis leurs regards peinés avant de les entendre déposer tout ce qu'ils pouvaient sur mon chevet. Ils s'en allèrent doucement sachant bien que rien ne pourrait me soigner pour l'instant.Les jours qu'ont suivis, je ne suis presque pas sortis de mon lit. Je me levais à peine pour aller aux toilettes et ma mère me forçait à me mettre dans la baignoire pour me doucher. Je n'avais simplement pas la force de le faire moi-même. Je voulais seulement passer mes journées dans mon lit à rester couché et à fixer la fenêtre qui laissait couler la pluie sur son visage ou le plafond blanc comme ta chambre d'hôpital. J'ai passé plus de trois jours sans dire un seul mot, sans vraiment manger. Je me sentais incapable de seulement mettre quelque chose dans la bouche, certaines que je l'aurais vomis avant même qu'il atteigne l'estomac. Impossible d'avaler le moindre cachet que ma mère tentait expressément de me donner toutes les six heures. Je ne buvais seulement quelques verres d'eau tiède, pour pouvoir remplir à nouveau mon réservoir de larmes.
Je me sentais vide, vide de ton absence, vide de toutes ses choses injustes qui te sont arrivés. Je me sentais si inutile, si impuissante, si faible. J'avais d'énormes migraines, des douleurs de ventre atroces et cette douleur dans la poitrine qui me donnait envie de mourir. J'avais l'impression qu'on m'arrachait les entrailles et qu'on farfouillait dans mon corps à la recherche d'un seul battement de cœur prouvant que je vivais encore. Et j'avais envie de hurler. J'avais envie de pleurer, de tout casser, de tout retourner. Mais mon corps figeait dans nos instants, n'avait la force de rien. Il restait seulement là, couché livide, sans avoir faim, sans avoir soi, sans avoir envie de rien. Avec seulement la chance de respirer, d'être en vie.
Et chaque nuit, je faisais des cauchemars à hurler de douleurs. Il était impossible que je ferme les yeux, impossible d'éteindre la lumière, impossible de seulement m'endormir. Et si par miracle j'y arrivais, je hurlais, pleurais, tremblais dans mon sommeil ou en me réveillant en sursaut trempé de sueur. Mes parents sont venues plusieurs fois me voir en plein milieu de la nuit. Ils ont tenté de me réveiller d'une terreur nocturne, tenté de raisonner mon corps de ses crises d'angoisse et tenté en vain d'essuyer ces bouffées de chaleur après mes mauvais rêves. Ces rêves de toi, de nous, mourant, s'abandonnant complètement l'un à l'autre et disparaissant subitement. Ils ont été la seule force dans cette passade. Les seuls capables de subir tout cela sans broncher, en tentant encore et encore, sans fin, sans doute, de m'aider, d'être là, de me soutenir, et ce même si ça leur couter leurs nuits et leurs bonnes humeurs.
Et puis, un matin en regardant écœurait d'être en vie dans le miroir à l'autre bout de la pièce. Je t'ai vu. Tu étais là dans un coin de ma chambre, assis regardant avec entrain ma personne. Je me suis aussitôt senti honteuse, complètement humiliée, gênée d'être en vie dans un tel état. Mon corps s'est aussitôt réveillé. Je me suis relevée pensant devenir folle fixant cette foutue silhouette de toi dans mon miroir.
— Louis ? Qu'est-ce que... ?
— Je serais toujours auprès de toi, Amy. Il faut que tu sois forte.
— Je ne peux pas... c'est si douloureux.
— Je sais, mais tu le pourras, tu le devras.
— Pourquoi ? Pourquoi ça fait si mal ?
— Je n'en sais rien... mais tu dois te battre.Je voyais soudain sa silhouette se relevait, s'approchait de moi face à ce foutu miroir. Je restais concentré sur lui de peur qu'en tournant le regard il disparaîtrait. Puis sa main effleura mon visage et j'avais comme la sensation de le sentir. J'ai cligné des yeux laissant quelques larmes s'échapper puis d'un souffle, il avait disparu.
Je me suis aussitôt effondrée, pleurant, sanglotant au sol une fois encore.
Au revoir.
Amy.