PROLOGUE

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La cloche me ramène dans mes plus vieux souvenirs. A cette journée d'été où mon humeur allait de mal en pire après avoir été recalée aux derniers examens de fin d'année. J'avais seize ans, pleins de rêve en tête et ce jour-là, tous mes espoirs avaient fui avec fracas lorsque les résultats étaient tombés le matin même. J'avais échoué d'un point. Un seul point me séparait de cette grande école de danse classique dont j'avais toujours rêvé. A présent, le constat était fait. Je n'intégrerais jamais cette école qu'avait fait ma mère, et aucune autre d'ailleurs avec ma piteuse note. Sans oublier que je n'avais que cela dans la vie ; la danse classique. Qu'allais-je faire ? Je n'avais jamais envisagé d'échouer, pas avec tous les efforts que j'avais fournis. Depuis que je suis en âge de marcher, je ne vivais que pour ça : la danse. Réaliser le plus grand rêve de ma mère, me voir interpréter Gisèle sur les plus grandes scènes du monde. Comme elle aurait été fière de moi. Le goût amer de la défaite me donnait envie de hurler, de demander pardon à celle qui avait perdu la vie en me la donnant. Chaque jour, je m'entraînais devant ses cassettes VHS. Elle était rayonnante, belle et gracieuse. Un cygne au milieu des canards. Et moi, qu'avais-je fais du don qu'elle m'avait transmis ?

Alors que je rentre dans la boutique la mine morose, mon père lui garde son éternel sourire optimiste. Il m'attrape la main et me tire au milieu de la boutique, les yeux brillants. Ses lèvres étirées, le cœur pur, il caresse du bout des doigts la guitare exposée au mur.

- Si tu ne peux pas danser, tu peux toujours chanter, me gratifie-t-il d'un sourire.

Je roule des yeux en plongeant mes mains dans les poches de mon blouson molletonné. Chanter ? Chanter dans la douche est une chose, tout comme baragouiner quelques phrases dans le salon avec pour seul public la télé, le canapé et Boa, mon poisson rouge. Envisager d'en faire une carrière n'a aucun sens. Je n'ai pas le mental et le souffle pour.

- Ne dis pas n'importe quoi Papa.

- Pourquoi refuses-tu d'imaginer ne serait-ce qu'un instant que tu puisses faire entendre ta voix ? soupire mon père en s'agenouillant devant moi.

Parce que je ne suis pas une chanteuse, bien que mon père m'ait légué le don du chant. Je suis une danseuse, rien d'autre. Dire à une danseuse de ne pas danser, c'est comme demander à quelqu'un d'arrêter de respirer.

Sans avoir le temps de répondre, il récupère la guitare, joue quelque accord dont lui seul a le secret et m'incite à chanter. Sa composition, celle que Maman chantait sur toutes les cassettes vidéo me fait sourire. Elle parle de rêve, d'amour, d'effort et de compromis. Si seulement je pouvais lui faire comprendre que mon monde ne tourne pas autour du chant ! Il soupire en reposant la guitare, la tristesse efface son sourire avant qu'il ne pose sa main sur le haut de mon crâne.

- Lady, la vie n'est pas aussi facile que tu le penses. Rien ne sert de prévoir un futur alors que le présent est déjà si instable. Tu apprendras ça avec le temps, je le sais mais quoi qu'on fasse, il se peut que le chemin que l'on rêvait de prendre ne ressemble pas tout à fait à celui qui se trouve devant nous.

Un deuxième son de cloches retenties et ma ramène à cet instant. Ce moment qui a, à jamais changer ma vie faisant de moi une orpheline. La bêtise d'une adolescente rebelle avait conduit ma famille dans le plus grand malheur qu'une famille puisse connaître.

Prise sur le fait accompli, mon père était venu me chercher à vingt-trois heures chez Felix, mon meilleur ami. Je savais pourtant que je n'avais pas le droit d'aller à cette fête mais cette sensation d'être oppressé, que mon père ne comprenait pas ce que je vivais me mettait hors de moi. Tout avait été si facile pour lui. Il avait fait une école de musique, était devenu professeur de guitare avant qu'on ne lui propose de travailler avec une grande danseuse étoile. Sur scène, il avait rencontré ma mère lors d'un événement mêlant le rock à la danse classique et ils se sont mariés, avant de me concevoir. La vie avait été tellement douce pour lui, comment pourrait-il comprendre mon mal-être ? La perte de ma mère avant même que je ne la connaisse, mon plantage aux examens, le refus de mon école de rêve et le manque cruel d'option pour mon avenir...

En colère contre le monde je voulais vivre comme Felix. Ses parents étaient riches, sa grande villa en haut de la colline était l'endroit idéal pour faire la fête. Comme chaque week-end, les parents de Felix partait pour une énième lune de miel et laissait leur fils seul à la maison. Les fêtes s'y disaient extraordinaire mais bien trop occupé par mes examens je n'y avais jamais mis les pieds. Sans oublier qu'en général l'alcool et la drogue était de la partie. Pas de quoi m'électriser. Mais ce jour-là, j'avais envie de faire la rebelle. Après avoir dit que je dormais chez Julie, ma meilleure amie, mon père avait appris mon mensonge et s'était rendu à la villa. Devant tout le monde, il m'avait agrippé le bras, m'avait trainé dehors pour me jeter dans la voiture. La plus grande honte de toute ma vie mais aussi la pire soirée que je n'aie jamais vécue.

- Je n'arrive pas à croire que tu me fasses un coup pareil ! grondait-il en s'agitant au volant. Tu me mens, tu bois de l'alcool et tu traînes avec ces dégénérés.

- ça va Papa, je n'ai rien fait. Et j'avais du soda dans mon verre !

- Où est ma petite fille qui travaillait dur ? Où est la Lady qui ne prenait jamais de risque inutile....

Je sautais sur mon siège en levant la voix. La colère se mêlant à la fatigue.

- Elle a été recaler avec ses examens. J'ai travaillé comme une acharnée pour rien, je n'ai jamais fumé une cigarette, jamais bu l'alcool, jamais embrasser un garçon alors que tout le monde dans mon lycée vit leurs vies d'adolescent. Je n'ai jamais profité de ma vie et tout ça pour quoi ? Être recaler après tant d'année de dur travail ? Je haie cette vie, je haie maman qui est partie trop tôt et je te haie de...

Ma tirade avait été coupée par le choc provoqué par la gifle de mon père. Jamais il n'avait levé la main sur moi. D'un calme à toute épreuve, même les grosses bêtises d'enfant n'avaient pas fissuré son visage souriant et compréhensif. Jusqu'à ce soir-là. Le visage éteint, il me fixait durement les larmes aux yeux.

- Ne redis jamais que tu hais ta mère, tu m'entends ? Elle a tout donné pour que tu puisses profiter de la vie jusqu'à donner la sienne alors ne rends pas...

-PAPA !

Un coup de volant plus tard et le pick up s'était retrouver encastré dans le museau d'un poids lourd. Tout ce que je me souviens après le choc est le bruit de ma respiration sifflante, l'odeur de l'essence autour de nous et le sang sur le volant dégoulinant du crâne de mon père. J'avais beau l'appeler de toutes mes forces, le secouer il ne répondait plus.

La vie m'avait enlevé ma mère et moi j'avais tué mon père à cause de mes choix...





AVANT TOIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant