Lorsque Lys rouvrit les yeux elle était seule sur le perron. Une légère brise souffla dans ses cheveux tandis que la chaleur de Léandre s'évaporait. Elle ne sentit bientôt plus le contact de ses lèvres sur les siennes. Son absence lui laissa un vide infini, une sorte de creux douleur qui ne pourrait jamais se combler.
Argos se coucha à ses pieds tout en poussant des gémissements déchirants. Elle caressa la tête du Terre-Neuve avec un sourire triste. Lui, il était encore là. Il s'était juré de ne jamais abandonner sa maison ni sa meute, et c'était ce qu'il avait fait. Seulement aujourd'hui, il n'avait plus rien à protéger, plus rien sauf cette fille à la chevelure flamboyante et au regard triste. Il sentait sa peine peser sur ses épaules, mais malgré l'abattement qu'elle laissait entrevoir, sa nouvelle maîtresse n'avait pas dit son dernier mot.
Lys se releva brusquement après un long moment passé à fixer la lumière qui ne cessait de grandir au-dessus des arbres. Bientôt, il ferait entièrement jour.
– Tu viens, mon grand ? l'appela-t-elle en entrant dans la Maison, il est tant qu'on s'en aille, nous aussi.
La jeune fille récupéra son sac à dos et se dirigea vers la chambre de Léandre avec une certaine appréhension. Lorsqu'elle poussa la porte, elle se surprit à rêver de le trouver assis sur son lit, à contempler le mur dépouillé de ses étoiles. Évidement, elle ne le vit pas. Ni lui, ni Madeleine, ni Machiavel. Il n'y avait plus personne, pas une âme en peine pour hanter ces lieux à présent habités par le silence froid du vide. Elle récupéra le carnet de timbres dont le cuir était encore couvert de poussière, ainsi qu'une photo de Léandre accrochée au mur, près du bureau. Son cœur se pinça lorsqu'elle tint, du bout des doigts, le papier glacé sur lequel il souriait en tenant entre ses bras ses deux animaux de compagnie. Ils n'avaient disparu que depuis quelques heures, mais leur absence semblait toujours avoir été là. Rattrapée par sa peine, elle ne s'attarda pas davantage dans la pièce et redescendit au rez-de-chaussée avec l'intime conviction qu'il n'y avait plus rien à attendre de cet endroit.
Avant de partir, elle donna à Argos le reste d'une boîte de raviolis et, pendant qu'il savourait son repas, en profita pour rallumer son téléphone et en désactiver le mode avion. Ses notifications s'affichèrent les unes à la suite des autres dans un ballet ininterrompu de vibrations. Lorsqu'elles cessèrent enfin, l'adolescente dût faire face aux conséquences de sa disparition : quatre-vingts appels manqués de ses parents et une centaine de messages... Sa boite vocale était également saturée. D'une main tremblante, elle enfila son sac à dos sur ses épaules et glissa l'assiette vide de son nouvel ami dans l'évier. En guise d'ultime salut, elle caressa la porte du frigidaire et déposa près de lui le reste du ruban adhésif.
– Au cas où tu en aurais besoin, mon ami, souffla-t-elle sans pouvoir retenir ses larmes.
Elle sentit son corps se tordre sous le poids de sa tristesse. Les adieux étaient plus déchirants qu'elle ne l'aurait cru. De simples inconnus atypiques, ils étaient devenus ses amis, des confidents qui ne l'avaient jamais jugée. Elle aurait aimé que cet instant fugace de sa vie ne s'achève jamais. Son monde redevenait fade, inconsistant... Y avait-il une chance que tout change ? Léandre lui avait demandé de vivre, d'être elle-même et de ne pas abandonner, elle lui devait au moins d'essayer.
Lys avança lentement vers la porte d'entée et la poussa pour la dernière fois. Argos la suivit, ignorant encore qu'une nouvelle aventure s'ouvrait devant lui. Portable en main, ils traversèrent le terrain dans un nuage de poussière et, une fois au portail, elle se souvint de leur rencontre. Elle s'était également tenue là, contre le bois pourri de la barrière, à hésiter quelques secondes avant de rebrousser chemin. La Maison l'avait attirée, et voilà qu'aujourd'hui, elle n'avait plus d'autre choix que de la quitter pour de bon. Habitée par la mélancolie, elle fit son possible afin de ne pas briser la palissade et réajusta ensuite les lanières de son sac.
Comme un dernier au revoir, la jeune fille se tourna vers l'habitation. La parcelle avait changé. Entourée d'une légère brume bleuâtre qui ne cessait de s'estomper, la Maison faisait, elle aussi, ses adieux au monde. Apaisée, la magie qui semblait résider entre ses murs se dispersa doucement et il ne resta à la place qu'un amas de ruines et de tuiles moussues.
Argos observa Lys, figée devant ce spectacle indescriptible. Il lécha sa main tremblante pour attirer son attention. Ses yeux verts se posèrent sur lui avec une infinie tendresse.
– Que dirais-tu de rentrer à la maison ? demanda-t-elle au chien, tu vas voir, ce n'est pas aussi spacieux qu'ici, mais tu y seras bien, je te le promets, mon grand.
Pour toute réponse, Argos poussa un aboiement de bonheur et se mit à courir autour d'elle. Il en était convaincu, l'avenir serait radieux.
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La Maison de poussière
ParanormalAu cœur de la nuit, Lys, seize ans, marche pour sa vie. Elle qui ne s'est jamais sentie à sa place ne souhaite désormais qu'une chose : la fuir aussi loin que possible. Léandre est mort et regrette tout de l'existence de rêve qu'il aurait pu avoir. ...