Les marches du temps

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       Il n’a pas toujours été comme ça.

       Il n’a pas toujours été cette personne que tout le monde craint, respecte ou déteste au plus haut point. Lui aussi il a été un enfant à une époque. Adorable, gentil, rêveur, innocent. Il aimait le chocolat et le lait, ça lui arrivait de courir sous la pluie et d’escalader les arbres. Il allait à l’école et avait plutôt des bonnes notes.

      Il avait tout pour mener une vie de petit garçon normal si ce n’est le fait qu’il s’inquiétait pour sa mère. Elle lui disait toujours que chacun avait sa part d’épreuve à encaisser sur terre mais la vie qui lui avait été donnée était beaucoup trop dure.

       Comme presque tous les habitants du petit village où il est né, sa mère travaillait pour l’homme le plus riche du coin. Il possédait presque toutes les terres et pour avoir le droit d’y vivre, les villageois travaillaient pour lui. La mère de Sylfried travaillait deux fois plus que tout le monde, ce qu’il l’empêchait de mener toutes autres activités, mais recevait un salaire deux fois inférieur à celui des autres employés. Peut-être était-ce son statut de mère célibataire ou alors sa situation d’orpheline : personne ne savait exactement pourquoi le patron s’en prenait autant à elle et l’exploitait à ce point mais personne n’intervenait jamais.

       Sylfried la regardait rentrer extenuée tous les soirs en lui disant que cette peine prendra fin un jour car la roue finit toujours par tourner et le petit garçon qu’il était à l’époque, ne pouvait rien faire à part attendre que cette fichue roue ne tourne et que les beaux jours alternent enfin avec les mauvais, mais ça n’arriva jamais.

        Un jour il tomba malade, vraiment malade. C’était une violente fièvre. Elle était si grave que pour la première fois au cours de sa courte vie, il se dit qu’il allait mourir. Il s’endormi ce soir-là comme un homme à l’agonie mais à sa grande surprise il se réveilla le lendemain. Sa mère était près de lui avec des cernes beaucoup plus creuses que d’habitude. Elle avait l’air épuisée mais aussi tellement heureuse. Voir sa mère comme ça lui donna espoir, il pensait que la tempête était enfin passée mais il avait tout faux

      Deux jours après son rétablissement miraculeux, le propriétaire vint chez eux, chose qu’il ne faisait jamais. Rien qu’à son comportement on pouvait deviner à quel point il les méprisait.

      Il se tint devant sa mère et sans la moindre salutation, il commença à la traiter de voleuse et tout un tas d’autres choses grossières. Il balança devant elle un cahier qu’il présentait comme le cahier des comptes. Il lui criait dessus et l’insultait comme s’il s’adressait à un animal. Au lieu de se défendre comme Sylfried s’y attendait, elle se mit à genou et commença à supplier, implorant la pitié, en disant que son fils était malade et qu’elle n’avait aucun autre moyen de le sauver. C’est ainsi qu’il comprit que sa guérison n’avait rien d’un signe du destin.

       Le monsieur la dévisagea un long moment et fini par accepter de lui pardonner en échange d’une augmentation de sa charge de travail, ce qu’elle accepta sans broncher. Très franchement, le garçon se demandait s’il était possible de travailler plus qu’elle ne le faisait déjà mais elle le rassura, lui promettant de tout gérer.

      Le lendemain lorsqu’il se réveilla, elle était déjà partie. Il s’habilla et alla à l’école comme tous les jours et rentra une fois les cours terminée. Ce jour-là, tout était exactement comme d’habitude. Une belle journée de printemps colorée et parfumée. Rien ne pouvait l’aider à deviner ce qui allait se passer, rien ne présageait qu’une vie venait de s’éteindre, comme si le monde entier s’en fichait.

       Ce jour-là, il a ouvert la porte comme il le faisait chaque jour et trouva sa mère couchée par terre. Au début il croyait qu’elle était tellement fatiguée qu’elle s’était endormie avant d’atteindre le lit mais à chaque pas qu’il faisait vers elle, il sentait comme une aura mortifère gagner la pièce. Lorsqu’il fut juste devant elle, il comprit sans même la toucher qu’il ne la reverra plus jamais sourire, qu’elle ne le bercera plus jamais, qu’ils ne riraient plus jamais ensemble. A ce moment, il comprit que la vie lui avait repris le seul trésor qu’il possédait sur terre. La seule chose qu’il fit c’est se coucher près d’elle et de l’enlacer jusqu’à ce que quelqu’un arrive enfin.

L'éclat Du BonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant