Chapitre 66

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23 décembre

L'idée de son père était excellente. C'est ce que Chris pensait alors qu'il trempait son corps perclus de fatigue dans une eau presque brûlante.

[39,5 degrés, la perfection absolue, même si après on ressemble à un homard passé à la casserole.]

En plus d'habits propres, son père lui avait préparé des perles de bain senteur pomme. Ses préférés.

Il en saisit deux qu'il regarda fondre d'un air absent, puis il renversa la tête en arrière. La baignoire était petite. Il se trouvait un peu tordu, ses jambes pliées, mais il s'en fichait. C'était plus confortable que tout ce qu'il avait vécu les jours précédents. 

Du bout des doigts, il récupéra son téléphone. Ses doigts glissèrent sur l'écran. Il les essuya dans la tenue qui attendait sur le tabouret et lança de la musique. Il en avait besoin.

Un bain chaud. De la musique. Les yeux fermés. 

Il se sentait bien pour la première fois depuis que ses yeux s'étaient posés sur Côle... non. Depuis que Cam était parti.

Oui. 

Cam était parti.

Il soupira.

Il ne voulait pas y penser.

Il se focalisa sur les mélodies. Il les laissa imprégner ses pensées. Imprégner son âme.

Il s'endormit.

Une sensation désagréable l'éveilla. Il se redressa, un peu perdu, battit des paupières. L'eau avait refroidi et clapotait en vaguelettes froides sur son corps.

Avec une serviette, elle aussi préparée par son père, Chris frictionna son corps avec une énergie qu'il ne pensait plus avoir. Puis son regard tomba sur la pile de vêtements. L'odeur habitude de la lessive familiale flottait dans les airs. Un de ses boxers préférés trônait sur une paire de chaussettes de Noël. 

Il ne reconnaissait pas les habits en dessous. 

[Normal, ils n'étaient pas à moi. Pas encore. Enfin, ils l'étaient... ils le sont, mais je ne le savais pas.]

Circonspect, Chris saisit le T-shirt gris clair pour le contempler. Le flocage, « Kpop, Coffe, Ramen and video games » lui tira un demi-sourire. Il l'enfila et son regard fut attiré par l'imprimé du Hoodie. Son groupe préféré. C'était un ensemble pantalon/pull à capuche de son groupe de KPOP préféré. 

[Sur le coup, j'ai pensé que c'était un de mes cadeaux de Noël en avance. Que les parents avaient décidé de me le donner pour me remonter le moral. En réalité, c'est Lise qui est allée spécialement à Strasbourg avec Ely pour m'acheter cet ensemble. Une manière pour elle de me demander pardon.]

Vêtu de frais, les pieds bien au chaud dans la paire de chaussettes moelleuses, Chris hésita : retourner dans son studio après avoir eu tant de mal à le quitter, y heurter ses souvenirs récents, ses peines et son chagrin ou vagabonder jusqu'à la cuisine de ses parents pour y boire un café. 

— Y a des latte amaretto chez les parents, réfléchit-il à mi-voix. Allez... 

Après une longue inspiration, le jeune homme traîna ses chaussettes rouge et blanc dans le couloir. Des éclats de voix lui parvinrent, à la fois inconnus et familiers. Il hésita. 

Ses parents recevaient-ils de la famille pour Noël ? Chris ne se souvenait pas avoir entendu quoi que ce fut à ce sujet. Qu'avait dit son père avant de partir ? 

— Aller-retour imprévu à Colmar...

Peut-être qu'une de ses grand-mères venait passer les fêtes chez eux à la dernière minute. Ou bien la sœur de son père avec ses deux enfants ? Il appréciait ses cousines, mais n'était pas certain de vouloir leur parler. Pas à cet instant. Pas avec cette fatigue qui revenait hanter ses muscles et son esprit. 

— Il faut que je garde mon allumette allumée... leur dire bonjour, c'est repousser l'ouragan... je crois. Comme ça, je ne retourne pas tout de suite chez moi. 

La courte distance du couloir lui permit à peine d'élaborer quelques situations. En plus des grands-parents paternels ou de sa tante, sa grand-mère maternelle pouvait être là. Ou bien les parents du géniteur. Ou peut-être le petit frère célibataire de sa mère.

Et au fond de lui, un mince espoir que Cam soit venu. Cependant, même en refusant de repenser au départ de son adorable voisin, Chris savait que c'était impossible.

Il pénétra dans la pièce, contrarié de n'avoir pas eu plus de temps pour se préparer...

[De toute façon, jamais mes théories n'auraient rattrapé la réalité.]

... et se figea. Il écarquilla les yeux, estomaqué, la bouche ouverte. 

— Que... qu'est-ce que... qu'est-ce que vous faites là ?

Souriant, son père se porta à son niveau pour saisir ses mains et y déposer une tasse chaude dont s'élevait l'odeur alléchante de l'amande. 

— Je vais vous laisser, murmura-t-il. J'ai des courses à faire. 

Chris ne prêta qu'une attention minime à l'homme qui quittait la pièce. Il ne parvenait pas à détacher ses yeux des invités. Trois invités. Trois invités qu'il connaissait très bien.

Py. Clem. Lizzie. Tous les trois là, dans sa cuisine.  Tous les trois là, avec des sourires rassurants et bienveillants. Tous les trois là, qui vinrent vers lui pour l'entourer sans l'étouffer. Tous les trois là alors que Chris les avait boudés et ignorés les jours précédents.

Tous les trois là pour protéger son allumette. Pour lui donner de la force et de la flamboyance.

Chris ne parvint pas à les saluer, il ne parvint pas à prononcer le moindre mot. Une boule s'était formée dans sa gorge, une boule d'émotions, d'amitié et d'infinie reconnaissance. 

Alors, même si son allumette se transformait en brasier, même s'il avait désormais les trois meilleures paratempètes du monde, Chris s'effondra et pleura enfin toutes les larmes qu'il s'interdisait encore de verser. 

Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant