Sous l'enseigne jaune à lettres noires de Rellone, la pizzeria sans charme de la via Nazionale, à proximité de la gare centrale de Naples, l'officier de police faisait ses comptes sous la pluie, avec une ostensible lassitude.
_ C'est le cinquième, soupira-t-il. Bon... tant qu'ils se tuent entre eux, ça ne nous fait que de la paperasse en plus.
A ses paroles sans aucun état d'âme, je me retins de lui asséner un poing dans sa gueule alors qu'il insultait mon organisation. Il fut interrompu par les cris des proches de la victime accourus sur les lieux, au milieu d'une petite foule de curieux. La victime était un quinquagénaire, un passé d'escroc et ce midi, une dernière envie de pizza. Le papillon noir avait encore frappé, plantant son couteau favoris en plein cœur du pauvre homme qui s'était effondré, la tête dans sa margherita encore chaude. Que ce soit à Forcella et dans le quartier Spagnoli, proches du centre historique relativement épargné ou dans les tristes banlieues de la ville, les gangs faisaient le coup de feu pour le contrôle de la drogue, du racket ou encore du territoire. Mais en ce qui concernaient ces meurtres en particulier, c'était l'œuvre de notre assassin recherché, et cela ne faisait qu'attiser les tensions entre l'Alleanza et la Vendetta. Au cours du dernier mois, cinq morts avaient été dénombrés dans les quartiers plus ou moins périphériques livrés à l'abandon et transformés en fiefs des organisations criminelles. Il était temps que cela cesse ; la brigade commençait à tourner en rond tandis que je perdais patience, bien consciente de n'être qu'un pion dans ce jeu meurtrier dont le papillon noir tirait les ficelles. Quand est-ce que nous allions réussir à l'attraper ? Marco et Paolo étaient en train de charger les différentes équipes ; quadriller la zone, éloigner les passants, évacuer le corps vers la morgue. Une malheureuse routine qui commençait à m'agacer, et j'étais bien décidée à y mettre finalement un terme.
*
Il Santuario était bondé, comme à son habitude ; les serveuses faisaient des allers et venues entre les différents étages pour offrir à boire aux clients. Les billets passaient de main en main à mesure que la drogue passait de narine en narine et qu'en bas, l'alcool abreuvait les gosiers les plus secs. Ariana et Pio avaient accepté de m'accompagner ce soir, non pas pour s'amuser mais plutôt pour une mission de repérage. Nous étions cette fois montés au premier étage, profitant de notre droit d'entrée pour bénéficier d'une vision plus large.
_ C'est la première fois que je te vois aussi désespérée, lâcha Pio en me voyant surveiller la foule. Tu pourrais te contenter de la file d'attente de nanas qui n'attendent qu'une seule chose, que tu leur adresse ne serait-ce qu'un regard, mais non tu préfères retrouver la fille mystérieuse du club...
_ Arrête de te moquer mec, tu sais que je la recherche pour une raison en particulier, répliquai-je.
_ La première fois que tu l'as vu, c'était pas pour cette raison en particulier, gloussa Ariana.
_ Vous me saoulez, si j'avais voulu que ça se termine à l'arrière d'une voiture ça se serait fait.
Mes amis se sourirent dans mon dos comme pour signifier qu'ils n'en étaient pas si certains, et je le devina au silence ponctué de gloussements qui se faisaient entendre derrière moi. Je soupira bruyamment pour leur faire comprendre mon agacement, mais cela suffit à leur donner raison ; j'avais été déconcentrée par les charmes d'une mystérieuse inconnue.
_ Colpo di fulmine.
_ Stai zitto.
Comme pour mettre un terme à cette conversation absurde, je descendis du premier étage après leur avoir indiqué où se rendre pour couvrir au mieux la zone. Pio allait explorer la premier étage tandis qu'Ariana surveillait la foule depuis un balcon, et que je me chargeais du centre où les gens dansaient au rythme d'une musique entraînante. Les sensations se mélangeaient ; la fumée, la sueur et les parfums formaient un pêle-mêle d'odeurs. La musique, les cris et les rires assourdissaient mes oreilles et les sons étaient tellement amplifiés que j'eu l'impression que la musique transperçaient chaque parcelle de ma peau. Les stroboscopes, faisceaux lumineux et la fameuse boule à facette m'aveuglaient au point de me faire plisser les yeux par moments. Je tentais de me frayer un passage dans la foule, jusqu'à réussir à m'en extirper pour pouvoir la contourner correctement. Aucune silhouette élancée à l'horizon, aucune écharpe de cheveux rouges virevoltants dans tous les sens n'illuminait ma vision, aucun parfum d'agrumes et de poivre noir ne parvenait jusqu'à mes narines. Il serait compliqué de la retrouver, tant qu'elle ne souhaiterait pas d'elle-même se laisser apercevoir. M'accordant une pause, je me fraya un passage parmi ce dédale de corps en mouvement jusqu'au fumoir. Une cage à clopeur assez petite, tout encadrée de vitres donnant sur l'intérieur du club, et éclairée de luminaires rouges pour donner une ambiance particulière à l'endroit. L'odeur de tabac était extrêmement forte, mais assez supportable grâce à la ventilation. Crac, un coup de briquet et j'alluma ma cigarette, perdue dans mes pensées.
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Le Papillon Noir
ActionEn 1998, des meurtres en série troublent la ville de Naples. Prisca Casadei enquête sur cette affaire, persuadée que le papillon noir est derrière tout ça ; un assassin dont on a jamais réussi à retrouver la trace. Mais c'était sans compter sur la g...