Chapitre 3 - Les nuits troubles

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- Est-ce que ça te fait mal ici ?

D'une main experte, la praticienne tâta quelques zones sensibles, mais Jude secoua la tête négativement.

- Et ici ?

Encore une fois, c'était indolore. La cicatrisation des incisions réalisées par une main experte s'était naturellement faite en quelques semaines et le jeune homme ne sentait plus presque plus rien. Mais une fois debout, c'était une autre histoire. Sa jambe lui faisait mal à chaque pas, néanmoins depuis qu'il s'était fait à nouveau opérer, peu de temps après être arrivé à San Francisco, il avait pu troquer ses béquilles contre une canne pour prendre appui. Il trouvait cela ridicule, mais ne pouvait nier son intérêt. Sans elle, il n'irait pas très loin.

- Bon ! On peut dire que c'est en bonne voie, attesta le docteur Madison avec enthousiasme.

Jude la connaissait depuis près de deux mois, lorsqu'Annabelle avait décidé d'utiliser une partie de son héritage pour faire venir cette chirurgienne orthopédique de renommée nationale. Elle avait la réputation de pouvoir réparer n'importe quelle jambe et s'était fait connaître en remettant sur pied de célèbres sportifs. Si d'un côté le tatoué était ennuyé par l'acte de charité de son amie, il ne pouvait nier que cette reconstruction lui avait changé la vie. Certes, c'était loin d'être guéri, mais il avait espoir de retrouver toute sa mobilité.

Toutefois, lorsqu'il baissa le regard vers les profondes cicatrices qui creusaient sa peau, son moral retombait. Tandis que le docteur Madison tapotait quelques annotations sur sa tablette, ses doigts parcoururent sa cuisse jusqu'à descendre le long des plaies. Et chaque fois qu'il les touchait, c'était comme s'il chutait de nouveau. Il se revoyait sombrer puis de nouveau recouvert de débris et pris au piège. C'était son cauchemar le plus récurent, les nuits où il parvenait à dormir. Et comme à chaque fois qu'il émergeait de ses rêves damnés, complétement en nage et le cœur qui battait la chamade, sa jambe le relançait. Il savait que c'était psychosomatique et en connaissait l'origine. En règle générale, il aurait pu demander de l'aide à quelqu'un et prendre sur son égo pour essayer d'aller mieux. Le souci était juste qu'ils avaient tous passés un accord de confidentialité. Afin de garder le secret sur ce qui était réellement arrivé à Wakeford, aucun d'eux quatre ne pouvaient dire qu'ils étaient présents et impliqués dans l'attentat. C'était globalement ce qui leur avait été demandé et cela incluait même pour les professionnels de la santé, y compris les psychologues.

Étant loin d'être bête, Jude avait depuis longtemps compris ce qu'il leur arrivait. En vivant avec Annabelle depuis le mois d'août, il avait eu le temps d'observer les changements dans leurs vies respectives. Car Annabelle faisait bonne figure, mais ses insomnies étaient revenues. Tous deux souffraient d'anxiété et revivaient les événements par intermittence soit par le biais des cauchemars ou lorsque quelque chose leur rappelait ce qu'il s'était passé. Il lui était arrivé d'entendre Annabelle s'adresser au vide en lui demandant de se taire. Jude de son côté avait développé une hypervigilance à tout ce qui l'entourait et dès qu'un bruit fort et soudain venait perturber sa sérénité, c'était comme s'il faisait une succession de crises cardiaques. Du moins, c'était comme ça qu'il le vivait. Et il savait également que devoir garder tout ça pour eux était une mauvaise chose, car ça ne pouvait qu'accentuer les effets néfastes de tous ces troubles cumulés. Le problème avec le choc post-traumatique, c'était le fléau qu'il causait. C'était une plaie béante qu'aucun d'eux ne pouvait soigner lui-même. Ils pouvaient juste mettre un pansement dessus et attendre que ça passe, mais sans le soin approprié la blessure s'infectait et plus l'infection était importante, plus elle était difficile à traiter.

Peut-être qu'Olvia ne se doutait pas à ce qu'ils subissent à ce point les conséquences de leurs actes en leur demandant de signer ces accords. Parfois, il se demandait comment le vivaient les autres, en particulier Thomas qui s'était montré peu expansif depuis leur séparation. Tout comme Annabelle, il ne vivait pas très bien le silence qui s'était installé entre eux. Le Croisé semblait avoir trouvé peu à peu ses marques en Australie, mais au fil du temps les messages envoyés vers l'hémisphère sud ne reçurent plus aucune réponse.

Annabelle Storm - Les Oubliés de l'EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant