Mardi,
11H00,
Je me réveille de cette nuit compliquée. Je suis lessivée, je n'ai envie de rien à part rester là.
Je ne trouve pas de but à cette journée d'aujourd'hui, les souvenirs de cette nuits m'ont fait si mal...
Et si ça recommençait ? Et si je revivais encore ça ? Alors que c'est sensé être fini...
J'avais quel âge quand il a cablé la première fois ?
Tout se mélange dans mon esprit.
D'ailleurs, et si mon cerveau inventait ça de toutes pièces parce que ça me travaille ? C'était peut-être juste un rêve non ?
Du moins, un cauchemar...On me nourrit par sonde, je prends mes médicaments et je reste dans ma chambre.
Ils finissent par endormir mes pensées sombres.
Vidée, j'observe la vue que m'offre ma fenêtre. Elle me paraît maussade...
Je me recouche alors dans mon lit, si même la nature perd ses couleurs, alors... Inutile de lutter...
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Aller Jade, il est 16H00 maintenant, il faut bouger...
J'ai pas envie de paraître inquiétante donc il faut que je me force même si c'est un jour sans aujourd'hui. En plus ça fait plusieurs fois que les infirmiers viennent me voir...
Je souffle, je mets bien 20 minutes à essayer de me motiver juste pour me lever. Disons qu'au moins, je finis par y arriver...
J'enfile un treening et je sors de mes quatre murs.
J'affiche un sourire face aux autres, à croire que c'est intelligent de se fatiguer à vouloir donner l'illusion que tout va bien... Alors qu'ici, personne ne va réellement bien.
Peut-être que là, je veux me le faire croire à moi-même, afin de tenir le coup ?
Je vais taper à la porte de Leo.- C'est Jade.
- Nonnn.
- Ok.
Du coup, je rentre.
- Bonjour.
- Bonsoir.
- ...Je te hais Leo.
Il ricane.
- Tu viens de te réveiller ?
- Non mais j'avais pas la force, là j'ai mis un moment à me motiver de bouger. Pas la grande forme quoi... Mais toi, sinon ? Ça va ? T'as été manger ?
- Mouais ça va. Bah j'ai été au self, je t'ai pas vu donc j'ai pris mon plateau et j'ai fais demi-tour.
- Oh nan... Désolée du coup...
- Non mais t'inquiète, j'ai quand même mangé. Bon, Jean m'a regardé l'air de dire "il va où lui ?", puis, il est venu me voir et je lui ai expliqué.
- Aah c'est pour ça après qu'on m'ai déjà demandé, Jean est venu me demander...
- Oui certainement.
- Ouais désolé chou, j'arrivais pas à me bouger le cul et j'en voyais pas l'intérêt donc je somnolais...
- Non mais t'inquiète, je comprends. Parfois c'est juste pas possible et c'est tout.
- Ouais... Mais bon j'ai finis par me dire que j'allais venir te voir.
- Ooh, merci ! À part ça, la fille anorexique qui était arrivée avant que tu partes a été embarqué à l'hôpital parce qu'elle refusait de manger et ici elle a fait un malaise...
- Oh. Ok. J'espère que ça ira pour elle...
- Moi aussi... Mais j'ai pas vraiment l'impression qu'elle ai l'envie de vivre...
- Pourtant je peux t'assurer que dans cette maladie c'est bien la chose dont on a besoin...
- Alors tu penses que... ?
- C'est cru mais si elle n'a pas la volonté de vivre, elle n'a donc pas de raisons de se battre et manger alors, à moins qu'on la goinfre de force, elle pourrait mourir de faim. Elle pourrait se laisser mourir ou encore juste jamais se réveiller du prochain malaise... Je frissonne. C'est horrible et triste. Ne me laissez jamais atteindre ce stade de désespoir. L'anorexie est un lent suicide ou on essaye de fuir en quelque sorte ? Donc sans l'envie de vivre...
- On te laissera pas le choix t'inquiète.
- S'il faut déjà lutter contre la peur de manger et de grossir, lutter contre soi-même pour chaque bouchée... Je n'imagine même pas alors s'il faut aussi lutter contre des idées suicidaires...
Il marmonne un truc, je lui mets une tape à l'épaule, il ricane.
On passe du temps ensemble, on va ensuite souper. Je m'efforce fortement à manger un minimum. Leonardo me booste pour finir mon assiette mais j'ai du mal. C'est une vraie guerre dans ma tête là.Si tu manges tout ça tu vas grossir.
Ne touches pas à la viande, juste les légumes.
T'es entrain de trop manger.
Arrête.
Jade.
Jade ?
- Jade !
J'ai un petit coup de sursaut.
- Oui, désolé...
Je suis tremblante, fourchette à la main, regardant la nourriture dessus avec peur.
- C'est bon, te forces plus, je pense que c'est déjà bien... Puis dans 15 minutes on doit aller à l'activité de Liliane.
- Ah oui... C'est vrai.
Je relâche la pression en relâchant ma fourchette, j'ai réussi à manger et je trouve que j'ai trop mangé. Mon ventre est gonflé et j'ai l'impression que je vais exploser. Je suis énorme.
- Enceinte de 4 mois...
- Dit pas des conneries pareilles t'as rien du tout.
- Aaaaaaah je vais accoucher !
J'essaye de tourner à l'humour mais j'ai horreur de ça. Je culpabilise d'avoir mangé mais je sais aussi qu'il faut que je me dise que c'est justement une victoire...
On se prépare à aller à l'activité, moi en me débarrassant de mon plat, Leo en se préparant psychologiquement.
- Ça va ? On peut y aller ?
- Je vais faire une syncope. Dit-il tout en ricanant.
- Nan, je te rassure, ça n'arrivera pas.
- Bah je meurs là, regarde, op.
- Aller zombie viens.
- Pourquoi zombie ???
- Parce que du coup t'es un mort-vivant.
Je galère à le booster parce qu'il tourne à base de "Cigarette avant.", "Encore 5 minutes !", "J'ai pas enviiie !". Alors on arrive à la bourre et il y a deux personnes en plus de nous et Liliane.
Elle nous propose une simple activité créative où on doit représenter le paysage de nos rêves, et si on voudrait y être seul, ou avec des personnes et si oui, qui ?
Moi j'essaie de faire une "belle" montagne enneigé en y dessinant ma mère, Kévin, Leonardo, mes cousins et mes amis. Ce monde serait si parfait... J'ai les larmes aux yeux en regardant maman... Je tourne le regard vers Leo, je ne me permets pas de regarder son dessin car c'est personnel mais je le sens aussi ému par l'exercice. Il tourne aussi le regard vers moi, nous nous voyons et nous sourions bêtement face à nos émotions ce qui nous font rougir.
Moi j'ai fini, de toute façon je ne ferais pas mieux, je ne sais pas dessiner. Mais lui je sais que oui donc je vois qu'il est encore dedans. Je suis contente de voir qu'il arrive à faire l'activité, Liliane a l'air tout aussi heureuse.Après l'activité, je sors avec mon ami qui va fumer.
- Alors, tu vois, ça c'est bien passé !
- Ouais, heureusement qu'on était pas beaucoup. Il sourit légèrement mais sincèrement.