Laissez-moi leur dire !

Prologue

— Écoute, tu ne peux pas continuer à nier la situation !

Malgré l'énervement de sa passagère, Daniel restait de marbre. Le regard rivé sur la route, il semblait hermétique au monde qui l'entourait. L'expression figée de son visage ne reflétait en rien son état intérieur. Sa colère était sans précédent. Ses émotions étaient exacerbées comme jamais et son mutisme ne faisait qu'accroître l'agacement de la jeune femme. Ses hurlements étaient si virulents qu'ils arrivaient à couvrir le bruit assourdissant que faisait la pluie en se fracassant contre le pare-brise. Plongé dans ses réflexions, Daniel ne maîtrisait plus rien, ni la vitesse, ni sa vie, ni son futur. À cet instant précis, il aurait donné n'importe quoi pour remonter le temps.

Le paysage défilait à vive allure. Daniel roulait vite, bien trop vite sur cette nationale à la triste réputation dont le record d'accidents mortels dépassait de loin ceux de toute la région. Au pied de certains arbres, on pouvait y voir des fleurs artificielles, symbole silencieux de la souffrance de ces familles endeuillées.

Dans le ciel obscur, l'orage grondait sa colère. Les éclairs zébraient ce corps céleste et offraient l'un des plus beaux spectacles naturels. Mais l'heure n'était pas au romantisme. Le regard noir de Daniel accentuait le sinistre de la soirée. Les essuie-glaces livraient une bataille acharnée contre cette averse diluvienne qui réduisait considérablement la visibilité. Malgré le danger, Daniel continuait à appuyer sur l'accélérateur.

110 km/h.

— Ralentis ! Tu vas nous tuer ! s'exclama la jeune femme, affolée par le comportement suicidaire de Daniel.

L'aiguille du compteur poursuivait inlassablement sa progression.

120 km/h.

130 km/h.

Les mains crispées sur le volant, Daniel était tétanisé par la vision de son futur. Un futur qu'il ne souhaitait pour rien au monde. Comment avait-il pu se montrer aussi immature ?

Comment avait-il pu croire, l'espace d'un instant, en la parole de cette femme ?

Les souvenirs flous et incertains de sa petite enfance s'entrechoquaient dans son esprit, le mettant face à sa conscience.

Qu'allait-il faire maintenant ?

Il l'ignorait !

Pourtant, il savait que sa décision allait être cruciale pour lui.

La puissance du bolide faisait vibrer l'habitacle. Le bruit du moteur augmentait à mesure des kilomètres parcourus. La belle Audi grise filait droit devant elle, défiant les lois de la pesanteur. Plus rien ne semblait pouvoir arrêter sa course folle. En voyant le panneau « danger », la jeune femme devint hystérique.

— Freine ! Mais freine, nom d'un chien !

Un virage trop serré. Une chaussée trop glissante. Tout bascula en une fraction de seconde. Daniel perdit le contrôle du véhicule.

La voiture commença son ballet d'acrobate dans un vacarme assourdissant, tournoyant sur elle-même, se brisant à chaque impact. Des éclats de verre se déversaient comme des milliers de diamants. À l'intérieur, les occupants ressemblaient à des poupées de chiffon.

Après interminables secondes, l'Audi s'immobilisa sur le bas-côté, dans un silence pesant. Mais très vite, la quiétude de cette nuit cauchemardesque fut déchirée par des cris provenant du côté passager. Le moteur était en feu. Consciente du danger, la jeune femme appuyait désespérément sur le bouton de sa ceinture pour se libérer, mais le mécanisme semblait bloqué et ses gestes devenaient de plus en plus maladroits. Prise de panique, elle regarda Daniel qui ne montrait aucun signe de vie. Sans ménagement, elle l'attrapa par l'épaule et le secoua violemment. Aucune réaction. Désespérée, elle le gifla de toutes ses forces. Il ouvrit enfin les yeux.