Chapitre 2

122 18 3
                                    

Aujourd'hui

JULIETTE

Aujourd'hui, c'est le grand jour. J'ai réussi à avoir un entretien d'embauche à la librairie Galignani. Il y a un mois, je suis tombée sur une affiche dans un des rayons qui disait qu'ils embauchaient. J'ai laissé tomber le livre que je tenais dans les mains et j'ai vu ça comme un coup du destin. Enfin, ai-je pensé.

Et dire que petite, je pouvais rester des heures en rayon pendant que ma mère hurlait mon prénom de partout. Je l'entendais, évidemment, mais je préférais le bruit des pages qui se tournent. Bon, je finissais par me faire sermonner et c'était la partie un peu moins chouette des journées-bibliothèque. C'est comme ça qu'on les avait appelées.

Mes parents ont toujours été heureux que ma passion soit la lecture. Ma mère, c'était le dessin. Mon père, c'était le tennis. Et la lecture, ça m'est tombée dessus comme ça.

Quand j'ai atteint l'âge de dix ans, on m'a demandé ce que je voulais faire plus tard. J'ai répondu avec beaucoup d'entrain : Je veux travailler avec des livres! Beaucoup de choses ont changé, mais treize ans plus tard, c'est toujours mon rêve.

Après le bac, j'ai directement suivi une licence en Métiers du livre. On m'a répété que c'était un secteur bouché, que je ne serai pas heureuse, que j'aurai un salaire de misère. Les gens ont cette fâcheuse tendance à penser qu'ils ont main mise sur votre avenir et qu'en fonction des statistiques et des salaires, ils savent mieux que vous ce qui est bien pour vous. Quelle ironie.

À la fac, j'étais parmi les seuls à lire tous les bouquins obligatoires. On me demandait sans cesse : Comment tu fais?  Et bien, je ne sais pas. Je pense que je lis parce que c'est la seule chose qui me fait me sentir vivante. La lecture c'est bien plus que des mots sur du papier, c'est ce qui me permet de m'échapper de la réalité, ce qui me permet d'oublier et surtout de rêver. Le rêve d'une vie meilleure. Un rêve où ce soir-là n'aurait jamais eu lieu. Un rêve où on ne se moquerait pas de moi parce que je lis.

Je me souviens que j'étais cette fille-là. La fille qui lisait dans la cour de récrée et dont on riait parce qu'elle est ennuyante. Je ne dirais pas que ça m'a vraiment traumatisée, tout au contraire. Avec du recul, je trouve ça très ridicule. Cela m'a permis de continuer encore plus. J'ai mis du temps à mettre cet état d'esprit en pratique mais cela a fini par payer. Parce que j'étais celle que je voulais être.

C'est ma mère qui m'a appris à ne jamais négliger ce que j'étais, que ça plaise ou non. Nous sommes les seuls maîtres de notre bonheur. N'attendez pas qu'il dépende de quelqu'un d'autre, c'est voué à l'échec.

Si je ne m'aime pas, qui m'aimera ?

Je ne dis pas que le self-love est une théorie simple dont la méthode coule de source. C'est un long parcours où on trébuche souvent, mais au fil des années, j'ai compris ma vraie valeur. Cela n'a pas de prix.

***

Je me souviens de la première pierre que ma mère m'avait offerte : du quartz rose. La pierre de l'amour inconditionnel. Ce jour-là, j'ai créé une théorie complètement absurde qui était de porter chaque jour une touche de rose pour que l'amour et le bonheur viennent à moi. Théorie peut-être idiote certes, mais c'est devenu un petit rituel.

Quand j'ai postulé pour le poste qui s'est libéré chez Galignani, je n'y croyais pas. Quelques jours après, ils m'ont rappelé en me proposant un entretien dans la semaine.

Et c'est donc aujourd'hui, jour pluvieux, que je prends trente minutes pour choisir quel blazer mettre. Quand mes yeux se posent sur mon blazer rose bonbon, je n'hésite plus. La théorie, voilà tout.

Je commence à me dépêcher parce que j'ai un métro à prendre et qu'il pleut des cordes. Je n'oublie pas mon parapluie en sortant de chez moi et je me remercie intérieurement quand je vois les flaques d'eau sous les semelles de mes Dr. Martens.

Paris sous la pluie ne peut demeurer plus Paris. Les gens râlent quand il pleut, mais je crois que les gens ici aiment bien râler tout court. Moi, j'aime bien la pluie. Certains jours, juste un peu moins.

Le jour où je suis arrivée dans cette grande ville, ma vie venait de changer. Et il pleuvait. Il pleuvait tellement fort. Je me rappelle que je pleurais ce jour-là. Mes larmes et la pluie ont fini par se réunir sur mon visage pour se transformer en une douceur humide qui me caressait la peau. Cette sensation m'a apaisée.

J'entre dans la bouche de métro. J'accélère le pas jusqu'à m'approcher des quais. J'aperçois alors le métro au loin et je cours très vite mais les portes se referment juste devant moi.

– Putain !

Fais chier. C'est le seul jour où je ne peux pas être en retard. Je viens de courir, j'ai perdu un poumon et je risque de perdre un emploi que je n'ai pas encore. Le stress commence à monter et je me mets à insulter tout le personnel.

– Honteux ! C'est honteux ! Un seul entretien d'embauche dans ma vie et c'est ce jour-là que vous choisissez ? Je vous préviens, si je n'ai pas le job à cause de mon retard, je vais vous massacrer.

– Le prochain arrive dans à peine trois minutes, murmure une voix masculine.

– OK. Merci superman.

Je me tourne pour l'observer un peu plus attentivement et je découvre un homme à la chevelure brune, aux yeux bleus, aux abdos bien dessinés qui sont visibles à travers sa chemise blanche trempée. Pas mal.

– Désolée pour les noms d'oiseaux. Je suis polie la plupart du temps, soufflé-je.

– Ce n'est rien.

– C'est quoi votre nom ?

– Euh...

– Je vois. J'essaye juste de passer le temps.

Quel parano celui-là.

Le métro arrive enfin et les portes s'ouvrent quand je crie mon prénom au bel inconnu avant de me retourner et d'aller m'installer à l'autre bout du véhicule.

***

Finalement, je suis arrivée à l'heure.

J'y suis allée comme je suis, avec toute ma vivacité et ma joie de vivre. Je n'avais rien préparé. Je n'aurai même pas su quoi préparer. J'ai répondu à toutes leurs questions quand est venu le moment fatidique :

– Quel est votre livre préféré ?

J'ai regardé les trois personnes qui étaient face à moi, j'ai hésité et puis je me suis rappelée à l'ordre : sois toi.

– Tous.

– Comment ça, tous ? demande alors l'homme à droite.

– J'ai lu des centaines d'histoires, j'ai vécu dans des centaines d'univers, j'ai aimé des centaines de personnages, j'ai apprécié des milliers de mots. Tous, parce qu'ils m'ont tous construits. Ils m'ont tous appris. Je les ai tous aimés d'une certaine façon. Je ne peux pas choisir entre tous les morceaux qui me composent.

Silence. Ils me fixent tous de leurs yeux écarquillés et je me dis que j'aurais mieux fait de citer Camus ou Hugo. En fin de compte, c'est la femme du milieu qui décide de parler, un grand sourire dessiné sur son visage.

– Vous commencez la semaine prochaine.

Je coulerai avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant