- Vas-y doucement, m'encouragea Chris en observant les lentes avancées des lianes.
L'exercice consistait à faire tomber les dites lianes jusqu'à ce qu'elles touchent presque le sol. Le "presque" était la partie compliquée de l'exercice.
Nous avions plus ou moins compris grâce à nos expériences que ma magie était liée à mon ressenti immédiat, mes émotions. Le tout était donc de les contrôler. Nous étions arrivés à cette conclusion à cause, ou grâce, je ne m'étais pas encore décidée sur ce point, des rappels sur mon attitude puéril envers Amarok dont Chris pouvait parfois m'abreuver pendant des monologues entiers. La première fois, une plante avait fini par exploser son pot en faisant pousser ses racines à une vitesse hallucinante. La deuxième, le vampire dû esquiver une plante carnivore qui pendait désormais du plafond ...Et que nous devions nourrir de viande régulièrement, puisque contrairement à ses congénères naturelles, j'avais réussi à créer une plante qui préférait le steak aux mouches.
Nous l'avions baptisée Morticia et Morticia aimait son nom. Sa fleur suivait nos mouvements d'une façon presque humaine... Ou à la façon d'un petit chien, comme elle n'avait pas d'yeux c'était dur à déterminer. Par contre elle entendait très bien et pensait parfaitement pour une plante, ce qui consistait à ressentir, pour ma part, des émotions floues, ma partie loup se chargeant de traduire les pensées végétales en pensées animales, ce que j'avais moins de mal à comprendre. Tout ça pour dire qu'elle se fichait régulièrement de moi quand elle comprenait que je n'arrivais pas à réaliser mes exercices et que Chris perdait patience, ce qui voulait dire à peu près tous les soirs. Même ma propre création ne me respectait absolument pas.
- Doucement !
Je remarquai que je m'étais encore laissée emportée et que les lianes poussaient à toute vitesse vers le sol. Je repris brusquement les rênes, me réfrénant, ce qui me laissa un sale arrière goût de frustration et une douleur de devoir retenir cette force qui cherchait depuis quelque temps à s'échapper par tous les moyens.
Récemment, j'évitais d'entrer dans les bois, ce qui réduisait considérablement mes déplacements. La dernière fois que j'y étais allée, j'avais totalement perdu le contrôle, enivrée par la quantité de vie autour de moi, et j'avais fini évanouie et enterrée sous une tas de verdure et de plantes aux odeurs si différentes qu'il avait été difficile de me retrouver.
L'exercice terminé, je soupirai, pantelante.
- Alors, verdict ?
Alors qu'il allait me répondre, nous nous figeâmes tous les deux. Il y avait une odeur inconnue. Les Bêtas étaient au repos, puisqu'il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. L'intrus rôdait autour de notre maison... Et en même temps, son odeur me semblait familière.
Morticia tourna sa fleur vers l'endroit d'où venait le bruit selon nous, juste dans la rue, à quelques mètres de nous.
Chris me fit signe de ne pas bouger et de ne pas parler. Il se glissa sans un bruit dans l'escalier, mais je savais que l'intrus l'entendrait quand même. C'était un vampire. Il possédait cette odeur âcre de sang qui disparaissait, ou plutôt s'atténuait, lorsqu'il ne s'était pas nourri depuis longtemps. Cette odeur était camouflée, ce qui devait marcher sur quelqu'un ayant un odorat humain, par une odeur de terre et d'herbe fraîche, de celle que l'on respire à pleins poumons dans la campagne.
Et là, ça me frappa. Je connaissais cette odeur, mais j'avais été distraite par celle du sang.
J'entendis alors des bruits de bagarre et je compris ce qui se passait. Cet intrus était le vampire nouveau né qui faisait des dégâts en ville, tuant sans distinction humains et animaux et Chris allait le tuer sur place pour régler le problème.
Je me précipitai à l'extérieur pour assister à la scène que je venais de deviner.
- Chris attend!
Les deux combattants se figèrent. En dessous du blond, me regardant avec des yeux rouge sang, ses cheveux bruns sales, pleins de boue de feuilles et de branches, ses dents blanches dévoilées et ses canines plus pointues que ce qu'elles n'étaient avant, se tenait celle que j'avais connue toute ma vie et qui m'avait accompagné presque depuis ma naissance: Mia.
Ma meilleure amie ne respira plus, s'empêchant sûrement elle-même d'humer mon odeur. Chris m'avait expliqué que ça ne leur était de toute façon pas indispensable, mais qu'ils ne pouvaient se passer de l'odorat pour chasser. Elle me fixait comme si elle avait du mal à me remettre .
- Violette, je t'avais demandé de m'attendre en bas, me dit le vampire âgé d'une voix dure et sévère.
- Je sais, mais je la connais, dis-je en m'approchant d'elle. Tu ... Tu vas bien ?
Cela sembla suffire à lui rappeler toutes nos années ensemble et son regard se précisa enfin, comme si elle sortait d'un rêve.
- On va dire... Que je suis perdue? Me répondit-elle d'une voix rauque.
Elle disait vrai, ne comprenait pas tout ce qui se passait et sûrement pas ce qui lui était arrivé.
- Lâche-la s'il te plaît, demandai-je à mon professeur.
Après nous avoir lancé un regard à chacune, il se leva lentement, appréhendant les mouvements de mon amie.
Celle-ci se releva à une vitesse surhumaine, me déstabilisant un peu. Chris grimaça, jugeant en son for intérieur du manque d'éducation de la jeune vampire.
- Mia... Tu es venue...
- Parce que j'ai senti ton odeur. Je ne ... Je ne comprends pas ce qui se passe, je te le jure.
- Je te crois. On... Ça te dirait de prendre une douche?
Elle hocha la tête lentement. Avant qu'elle ait pu faire un mouvement, Chris posa la main sur son épaule.
- Ralentis.
Elle tressaillit et hésita, résistant d'abord à la prise sur son épaule, puis se laissant aller. Elle tenta d'aller lentement, à un rythme humain, mais termina devant la porte d'entrée en un pas. Enfin, ce que j'avais perçu comme un pas.
- Désolée, dit-il piteusement.
Chris soupira, évaluant le temps que ça lui prendrait de l'éduquer.
Je me réjouissais intérieurement, car sa pensée sous-entendait clairement qu'il avait décidé de l'élever en temps que vampire. Il s'approcha d'elle et la souleva sans effort.
- Temps que tu ne sauras pas comment marcher, tu ne marcheras pas. Violette?
- Oui je suis là, dis-je en m'approchant.
- Je ne pense pas qu'elle puisse maîtriser sa force non plus. Si on veut que la salle de bain en reste une, tu vas devoir la laver. Et toi, ajouta-t-il à l'intention de mon amie qui me sembla essayer de se faire encore plus petite, tu as interdiction de bouger par toi-même en présence des autres. Tu n'attrapes le poignet de personne, tu ne tapes dans la main de personne, bref tu ne touches personne. C'est clair?
Elle hocha la tête silencieusement, ce qui me fit un pincement au cœur, elle qui d'habitude était si prolixe.
Je suivis Chris à l'étage. Dans la salle de bain, de gestes habiles et rapides, il fit couler l'eau, déshabilla mon amie et la déposa dans l'eau chaude. Il quitta immédiatement la salle de bain, me laissant prendre soin d'elle. La vapeur qui montait de la baignoire sortait également de la peau de mon amie à cause de sa différence de température avec l'eau.