Chapitre 4 - Erynn

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Mon père demeure stoïque, comme s'il ne restait de lui qu'une coquille vide, et son visage d'ordinaire si doux est muré derrière une expression fermée. Le temps se suspend, un sentiment étrange s'insinue en moi, me donnant instantanément la chair de poule.

— Papa ? répété-je, en avalant ma salive.

Son absence de réaction ne me dit rien qui vaille.

— Papa, est-ce que ça va ?

J'attends fébrilement qu'il me fasse un signe, mais rien ne vient. Pire encore, ses yeux se voilent d'une infinie tristesse. Je m'approche de lui et me penche vers l'homme le plus courageux que je connaisse pour l'entourer de mes bras et espérer lui apporter un peu de réconfort.

Ce fut une journée éprouvante pour lui.

Une colère sourde m'envahit, car je ne comprends toujours pas ce que font tous ces gens dans l'antre de mon père. Organiser une pareille réunion me paraît plus que déplacé. Quel en est le but ? Et pourquoi si vite ? Je veux dire, cela n'aurait-il pas pu attendre quelques jours de plus ?

— Tu sais papa, je peux leur demander de partir, chuchoté-je, ma joue collée contre la sienne, incapable de contenir mon animosité.

Toujours en silence, il me serre plus fort contre lui tout en secouant la tête. C'en est assez. Mon adorable père est bien trop gentil pour prendre une décision, alors je vais la prendre à sa place et prier nos invités de gentiment débarrasser le plancher.

Je m'écarte, me relève lentement, puis lisse les plis invisibles de mon caban avant d'affronter les intrus en kilt. Toutefois, une voix grave dotée d'un accent à couper au couteau me prend au dépourvu.

— Vous devriez vous asseoir, Erynn. Après tout, vous êtes concernée également, déclare le lochiel.

Surprise qu'il se rappelle mon prénom, je le fixe sans ciller.

— Vous avez raison, commencé-je en l'affrontant du regard. En tant que membre de cette famille, je le suis. Néanmoins, ça ne me dit pas en quoi ce testament vous regarde ?

À la seconde où je termine ma petite tirade, monsieur Cameron grimace, à l'instar de ses compagnons.

Je sais ce qu'il pense, ce qu'ils pensent tous : quelle petite impolie !

Dommage pour eux, leur avis sur ma personne m'intéresse autant que le cours de la bourse en Papouasie. J'arque un sourcil, mon poing calé dans le creux de ma hanche, et attends qu'ils bougent leurs popotins à motifs pour retourner d'où ils sont venus.

Une main familière se glisse dans la mienne. Je lance un regard par-dessus mon épaule, et croise les yeux de mon père.

— Angus dit vrai, ma luciole. Tu devrais t'asseoir près de moi, m'invite-t-il en tapotant la place à ses côtés.

Quoi ? Hors de question !

— S'il te plaît, ajoute-t-il, la mine défaite.

Quelque chose m'échappe, toutefois, j'obéis. Installée sur le sofa, je me retrouve soumise à l'examen de plusieurs paires d'yeux braquées sur moi.

Je lève mentalement mon majeur à leur attention.

En plus du notaire, ils sont quatre dont Angus Cameron.

Un drôle de pressentiment m'envahit, un de ceux qui laissent un goût désagréable dans la bouche.

Je me concentre sur le notaire en costume guindé. Il est assis derrière le vieux bureau en merisier de mon père, les mains sur la table devant lui, et nous observe tour à tour avant de toussoter dans son poing.

Scottish Rhapsody (publiée chez Hugo New Romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant