Sentiments & Billevesée

Chapitre 5

La torpeur dans laquelle je me trouvais constamment ne m'empêchait pas de repenser à cette rencontre curieuse. Je m'en voulais encore de lui avoir parlé comme cela, et même de plus en plus. Mais je m'en voulais pour qui ? Mon père, ou ce gars inconnu ? Je ne savais pas. Je me pensais légitime, mais plus le temps passait, plus les minutes s'écoulaient, plus le poids de la culpabilité s'affaissait sur mes épaules.

Je souffrais plus encore qu'avant cette journée à la forêt qui, soit disant, devait me faire me sentir mieux. Etrangement, même mon Vide n'y pouvait rien. C'était une première, et j'en étais terrifié. Mes cauchemars se firent plus fréquents, mon manque de sommeil aussi. Je titubais constamment.

Depuis cette sortie à la plage, mon père se faisait un peu plus présent. Auparavant, lorsque l'heure de passer à table était arrivée, ma mère venait soit me prévenir, soit m'inciter à venir. Souvent, je mangeais après eux.

Un jour, lorsque je descendis prendre mon repas, je trouvais mon père, assis avec un café, lisant un énième livre. Il l'annotait minutieusement, fluotant çà et là quelques passages qui quelquefois le faisaient sourire, quelquefois froncer les sourcils. Lorsqu'il me vit ouvrir la porte qui faisait le lien entre la cuisine et l'escalier, il leva le regard avec rapidité. Il me toisa, me dévisagea, presque. Essayant de faire abstraction de cela, je m'asseyai, et soulevai le couvre-plat épais qui se trouvait devant mon assiette. Devant moi, encore fumant, se trouvait un saumon parfaitement rose, sur un lit de pommes de terre coupées en morceaux. C'était mon plat préféré.

- Je me suis dis que ça te ferait plaisir, s'exclama mon père.

Ne sachant que répondre, je gromellai un « merci ».

La gêne était palpable: mon père me regardait avec nervosité manger, et je n'aimais pas ça. Pas un mot ne s'échappa du repas, alors que j'essayai de le terminer le plus rapidement possible. Lui sirotait son café, seule fausse note dans le calme.

Lorsque je l'eûs fini, je rangeai dans le lave-vaisselle mes couverts, et, quand je m'apprêtai à monter, j'entendis derrière moi, d'une faible voix:

-Tu..

Il hésitait.

-Tu vas bien, Liam ?

Je ne savais que répondre. Il ne m'avait jamais demandé ça, et je n'avais jamais eu la réponse à une telle question. Je ne voulais pas lui parler, parce que je n'avais pas envie de lui faire d'autres reproches. J'aspirais seulement à retourner dans ma chambre.

- Oui, ça va, lui répondis-je.

Mensonge, évidemment.

- D'accord. A ce soir, alors.

Sans lui répondre, je remontai dans ma chambre, en prenant soin de contenir ma gêne. Je refermai la porte calmement, avant de me jeter sur mon lit.

Quelques heures plus tard, alors que j'étais toujours avachi sur mon téléphone, je reçu un message de ma mère : « Demain, nous allons de nouveau à la plage. Ma soeur sera là. Je compte sur toi pour être présent ? ».

Je ne su que dire. Nous n'avions pas un bon souvenir de notre dernière excursion, évidemment. Je ne voulais pas y retourner, mais elle comptait sur moi pour être respectable devant sa sœur, qu'elle aimait beaucoup. Je ne voulais pas plus la décevoir, alors j'envoyai un « OK ». Deux lettres simples et efficaces, parce que je ne voulais pas discuter, qui pourtant transmettaient bien, selon moi, mon indifférence partielle face à cet évènement. Je croisais simplement les doigts pour que ma mère ne commette pas d'autre gaffe.

—

Nous étions de retour à la plage. La sœur de ma mère, Cindy, était toujours autant resplendissante. Elle était accompagnée de son mari, et tous deux s'étaient d'abord rendu à notre domicile pour prendre le repas. Obligé, j'étais descendu à l'heure. Quelques temps après la digestion, nous nous rendîmes en voiture, en prenant soin de n'avoir pas oublié nos maillots de bain. J'espérai peut-être trouver un peu de paix, et peut-être me baigner, pour ressentir la fraîcheur de l'eau sur mon corps bouillant.