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Les feuilles sifflaient sous le poids lourd du vent. Un vent d'été, colosse insaisissable écrasant le temps présent. La chaleur étouffante faisait hurler les insectes invisibles. Plus bas, le bruissement léger de la rivière contrastait. J'attendais patiemment mon sujet. Je voulais réaliser un croquis vivant.

Le ciel était gris clair, mais le soleil brûlait la face de la terre. Il est un pyromane que rien ne peut empêcher.

J'entendis un cliquetis, puis deux, puis un râle. Des sons sourds de pas puissants frappaient le sol. Un cerf fît son apparition. Ses grands bois frottaient contre la végétation abondante. Sa beauté me touchait profondément. J'espère qu'il ne me verra pas, pensais-je mon crayon prêt à dessiner.

L'animal se pencha vers le petit cours d'eau. Il prit quelques gorgées bruyantes. Sa tête se releva d'un trait et la mienne aussi. Le ciel s'était assombri et je pus voir la première goutte venir s'écraser sur mon carnet. Un orage se profile, murmurais-je en maudissant le mois d'août.

L'animal ne s'en inquiéta pas et termina de se désaltérer. Ma gorge se serrait de le voir ingérer ce délicieux liquide transparent alors que j'avais oublié ma bouteille d'eau dans ma voiture. Je poursuivais malgré tout mon ouvrage. Les traits étaient grossiers, mais ne servaient que de guides pour le travail ultérieur.

J'étais tel un sculpteur. J'enlevais le superflu au fur et à mesure que mon outil touchait le blanc immaculé de la pierre brute. Ces coups indispensables ne devaient laisser que l'essentiel. Trop dégrossir rendrait la pierre inutile, pas assez la laisserait informe. Il m'appartenait de ne retenir que l'essentiel, l'âme même de cet instant.

L'animal, une fois apaisé, décida de prendre une pause majestueuse. Ses bois duveteux accompagnaient un torse volumineux. Une allure fière d'un être qui avait remporté de nombreuses batailles.

Je poussais un petit son d'émerveillement.

Mon regard eut à peine le temps de croiser le sien. Une rivière rouge-rosée jaillit en cascade et laissa filtrer une vallée béante entre les deux oreilles du pauvre animal.

Mort.

Je cherchais un chasseur, en vain. Le ciel était devenu noir comme la nuit. Les oiseaux se mirent à voler et à fuir. Plus aucun son ne filtrait du ciel. Les éclairs frappaient sans discontinuer, mais j'étais sourd à leur violence. Je m'élançais dans une course terrible. Mes larmes me rendaient aveugle et je tâtonnais les bras en avant pour ne pas heurter un arbre. J'avais tout laissé : mes crayons, mon carnet, ma veste de camouflage.

Les battements des ailes des oiseaux apeurés, la course délirantes des lapins, le bruissement des feuilles accompagnaient ma fuite désarticulée. Les ténèbres m'ont englouti et les éclairs m'assourdissaient. La mousse, le lichen, les arbres. Tout se ressemble. J'ai perdu la trace de ma voiture, je ne trouve plus le chemin, je ne trouve plus la lumière. Je suis perdu.

Sur mon parcours incertain, l'image du cerf revenait en boucle dans mon esprit. Son cerveau éclata comme un ballon de baudruche. Sa cervelle avait été projetée dans tous les sens et ses yeux sortirent de leurs orbites sans effort. L'animal tomba à terre, la langue sortie.

Qu'est-ce qu'il lui était arrivé ?

Ces images venaient comme des flashs à mesure que les rayures du ciel m'aveuglaient. La pluie pesait sur mes vêtements détrempés. Mes chaussures faisaient un bruit désagréable de mastication quand j'enfonçais mes mains dans une grande porte métallique.

Je l'ai trouvé.

Dans la panique, je fis tomber mes clefs par deux fois. Je tremblais si fort que je rayais le pourtour de la serrure de ma voiture. Les hurlements des animaux accompagnaient les grondements surpuissants des éclairs. La porte se déverrouilla. Je me glissais comme un fax à l'intérieur de l'habitacle. Et tout à coup, le silence.

Je repris ma respiration doucement, la tête baissée entre mes deux bras. Qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

Reflets des ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant