64 - Breathing Digoxin immune fab

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                « Sugar !! Sugar !!

Je rappelle pour l'audience que je suis sourd, et qu'essayer de me réveiller en criant est une stratégie à peu près inutile.

Alors cet idiot de Thio se met à faire clignoter la lumière de la chambre, et je m'enfonce mon oreiller sur le visage.

Puis, agacé par le changement d'ambiance, je vire mon oreiller, et grogne :

— Quoi ? Je dors.

— J'ai été à la plage ce matin !

— Je sais, Thio... Tu me l'as dit en partant...

— J'ai été faire des longueurs dans l'océan, et puis j'ai construit un château de sable hyper méga grand ! Il y a même un petit qui a réussi à rentrer par la porte, il a dit que ça ressemblait à un manoir ! J'ai pris une photo, je te montrerai !

Je me frotte les yeux.

— C'est formidable, Thio...

— Et je t'ai ramené un souvenir !

— Un souvenir ?... De la plage à quinze minutes à pied où nous allons quasiment tous les jours ?...

— Oui ! Devine ce que c'est !

— Ce n'est pas la photo du château de sable ?...

— Non ! Il y en a un autre ! Un que tu peux toucher !

— Je n'en sais rien, un coquillage ?...

— Perdu !

Et là, Thio ouvre grand son sac à dos et je vous assure, je vous jure sur ma vie, qu'une putain de mouette en sort.

— Thio c'est quoi ce bordel ?!!, hurle-je.

La mouette se met à voler partout dans la chambre, et Thio sautille et tourne sur lui-même, complètement mort de rire. Elle se cogne contre une fenêtre, fait tomber mon téléphone et mon verre d'eau de ma table de chevet, et tourbillonne dans la pièce de ses grands vols agités.

— Surprise !

— Tu es complètement malade, Thio ?!! Tu as kidnappé une mouette ?!!

— Je ne l'ai pas kidnappée, je l'ai apprivoisée.

— Elle n'a pas du tout l'air apprivoisée !!

— Elle l'est.

— Est-ce qu'il y a même des mouettes sur l'île de La Réunion ?! Ça ne vit pas juste en Atlantique ça ?!

— Toujours est-il que j'en ai trouvée une, et que je te l'ai ramenée.

La mouette continue de voltiger dans la pièce, comme si elle faisait une course contre elle-même avec une trajectoire totalement aléatoire, et je cache mes cheveux de peur qu'elle ne fasse son nid dedans.

— Œuf !

Et sous mes yeux incrédules, la mouette vient se poser sur l'épaule de Thio.

Qu'est-ce que-...

— Œuf, dis bonjour.

La mouette ouvre le bec et raille.
Putain de bordel de merde-...

— Œuf, danse.

Thio et la mouette bougent leur tête d'avant en arrière comme s'ils se trémoussaient sur une musique rythmée. Dites-moi que je rêve...

— Tu n'es pas sérieux, Thio-...

— Si ! Je t'ai dit que je l'avais apprivoisée !

— Tu ne l'as pas seulement apprivoisée, tu l'as carrément dressée-...

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— Ouais ! Je ne fais jamais les choses à moitié pour toi, Sugar ! Je l'ai appelée Œuf !

— Tu ne peux pas garder cette-... Cette mouette ! Thio !

— Œuf, danse !

Et il refait sa stupide danse de la tête avec sa putain de mouette.

Sauvez-moi de cet idiot, par pitié...

— On n'est même pas chez nous ! Tu ne peux pas imposer la mouette à Mimose !

— Mimose est d'accord.

Oh, hé bien si Mimose est d'accord alors-...

— Tu penses à sa famille ?! La pauvre !! Elle ne reverra plus jamais sa famille de mouettes ! Imagine ses parents ! Et ses bébés mouettes !

— Elle est libre de partir si elle veut les rejoindre. Je ne suis pas Amande, moi. Je ne kidnappe pas les gens.

Je me mords la lèvre pour ne pas l'insulter.

— Qu'est-il arrivé au Sira qui relâchait les insectes de l'atelier Nature avec moi ?

— Il est devenu un adulte ! Et je ne comprends même pas comment-...

Je m'arrête.

Pourquoi je me préoccupe de ça, d'abord ?...

— Bon, fais ce que tu veux.

— Génial !! Merci Sugar !! Je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime !!

— Ouais, c'est ça...

— Œuf, danse de la victoire !! »

La mouette se pose sur la tête de Thio et écarte les ailes en agitant son petit corps de gauche à droite, et Thio bouge ses bras pour danser comme à un club.

Je n'y crois pas.

Si ça se trouve, je ne me suis jamais réveillé de mon overdose d'Alprazolam et je suis juste encore en train de planer.

Ça doit être ça, oui. Ça doit sûrement être ça.

Aujourd'hui aussi, je regarde Thio jouer au basket, sur son nouveau terrain préféré.

Il s'éclate beaucoup.
C'est une bonne chose.

Sa partie est bientôt finie, et tous les joueurs suent sous la chaleur appesantie. À côté de moi, est installée la mouette de Thio, bien à l'ombre.

Je crois que je vais devoir m'habituer à partager son affection avec elle.

Ça me pèse, de ne rien entendre. Ça me pèse, et même si Thio sait m'accommoder... Je suis exténué. Mon cerveau n'est plus habitué à être si mobilisé.

Le livre posé sur mes genoux n'est qu'une vulgaire excuse pour pouvoir scruter Thio éhontément.

Je suis un peu perdu, je vous l'avoue.

J'ai beau le connaître depuis, quoi... Quasiment dix ans, j'ai l'impression de le voir sous un nouveau jour, ces derniers temps.
L'avoir viré de ma vie en mettant fin à notre amitié, et qu'il s'y soit tant accroché, m'a fait réaliser à quel point notre relation allait au-delà de la simple amitié.

Je ne parle pas nécessairement d'amour, mais plutôt de... D'adoration ? De complémentarité ? D'indispensabilité ? D'absolution ?

Un mélange de tout ça.

Mon amour pour Thio est si inconditionnel qu'il en est indescriptible. Je l'aime comme...

Comme s'il était le jaune de ma vie monochrome.
Comme si je ne me sentais jamais disgracieux auprès de lui.
Comme si l'idée de me détester ne me parvenait pas à l'esprit quand il était là.
Comme s'il était l'assistance dont j'ai besoin pour fonctionner.

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant