Ses yeux s'ouvrent grand. Un monde vide. Un endroit à la fois trop sombre et trop lumineux. Un endroit à la fois trop chaud et trop froid. Un monde fondé sur les contradictions les plus tranchantes. Là où le cœur bat trop et pas assez fort. Et là où l'âme recule lorsqu'elle essaie d'avancer. Un paysage infini et cloitré à la fois, où les yeux sont plongés sur eux-mêmes et dans le vide. Son souffle résonne. Peu à peu, ses esprits reviennent, malgré que son crâne semble être compressé par d'immenses mains glacées. Ses veines gonflent, se dégonflent, pulsées sous sa respiration haletante. Son pouls accordé à cet orchestre abîmé résonne dans sa tête comme si quelqu'un frappait son crâne à rythme régulier.
L'éveil. Les sensations. Toutes ces choses agressives lors d'une naissance. L'air brûlant dans les poumons, un oxygène corrosif. Et sa trachée tordue, son squelette persécuté, une agonie sourde et rampante, quelque chose qui s'entremêle dans tous ses sens. Un mouvement dans sa bouche. La sensation de sa langue lui revient, du bout de son muscle, elle touche chacune de ses dents, rien à déclarer, hormis un sale goût pâteux et acide. Son buste se soulève de lui-même, et ses côtes craquent de toute part, sonnant la destruction de son être. Caliée grince des dents, tente de se relever, mais un poids important la bloque dans ce monde étrange. Dans cette noirceur lumineuse inconnue. De nouveau, son âme semble tomber, chuter loin, dans une descente éternelle. Violemment, elle bouge un bras, tente de se raccrocher à quelque chose, elle ne rencontre que le sol poussiéreux. Tous ces petits grains, elle les agrippe, s'y noie les doigts. Ses doigts peuvent-ils suffoquer ? Comme elle ? Maintenant ? Sa salive accrochée à sa trachée lui pique la gorge, de violents crachats se répandent sur son menton, les poumons éclatés par la douleur.
Une grimace déforme son doux visage, aux poils bruns et gris mal repoussés, aux cloques brunes et aux boutons gercés par le froid. Sa peau en lambeaux tombe un peu, à la manière d'une fausse neige, comme si son corps voulait l'aider à revenir dans le passé. Ses yeux blancs rivés sur le monde retrouvent un paysage noir familier. Le trou noir semble l'avoir lâchée. Enfin. Pleinement éveillée. Caliée se relève, appuyée sur ses coudes, ses côtes tremblent encore, s'entrechoquent, elle se recouche, les mains nouées sur le buste. Que s'est-il passé ? La seule chose qui lui manque : le souvenir.
Elle sait. Le coup, le cri, la chute, l'obscurité. Que s'est-il passé durant son absence ? Le vide. Caliée comprend que son esprit ne lui rendra jamais la vérité. Et puis, une étrange sensation démarre du bout de ses orteils, jusqu'au plus haut de ses oreilles. Elle a l'impression d'être redevenue une enfant à la sortie d'un cauchemar, prête à hurler le nom d'Ezir haut et fort, jusqu'à s'en arracher la voix. Mais elle le sait. Seul le silence osera lui répondre. Un soupir.
*
L'eau dans ses poumons lui arrache un hurlement inaudible. Même sans le voir, il sait que la noirceur de cet océan avale ses formes, dévore son souffle, attire son âme dans les tréfonds de l'obscurité où même son regard ne peut rivaliser. Ezir lève lourdement un bras, mais l'eau le retient, lui attrape fermement les poignets, continue de le couler.
*
Caliée se relève. Enfin. Malgré l'étau tout autour de ses hanches, et de ses côtes, des barres métalliques semblent lui avoir retiré sa mobilité, remplacée par une douleur aiguë. La jeune femme respire un peu, tente de reprendre les reines de sa propre respiration. Aucun bruit. Mais une humidité pesante s'est déposée sur son corps. De fines gouttelettes parsèment sa peau abîmée, remplies de plaques et de rougeurs à peine cicatrisées, et ces gouttes roulent, en forment de plus grosses, jusqu'à s'exploser contre le sol.
Pourtant, malgré l'humidité, il fait étrangement chaud, voire lourd. Cette chaleur pesante pourrait faire s'évaporer toutes ces gouttes rebelles. Caliée tâtonne à la manière d'un nouveau-né déjà trop vieux pour en être un. Le cocon de sa première naissance a disparu depuis bien longtemps, la voilà à la troisième, dans le froid et le chaud. Puis elle comprend. Ses mains s'abattent sur son corps et rencontrent, non pas son armure et ses fourrures habituelles, mais une tunique poussiéreuse, avec quelques trous. Son cœur loupe un battement, peine à reprendre le rythme, sa respiration s'emmêle dans son galop incessant. Son sa tête, rien ne repose, si quelqu'un la voit comme ça, elle sera tuée sur-le-champ. Mais où est-elle ? Paniquée, Caliée se relève, ne ressent même plus cette violente douleur dans ses côtes et dans tout son corps, ses jambes l'emmènent tout droit. D'immenses parois de pierre grimpent au dessus d'elle, aussi grandes que des murailles. La jeune femme court de l'autre côté, rencontre brusquement les mêmes murs. En transe, elle court de partout, cherchant une issue à cet étrange cachot. L'évidence lui saute dessus, enragée. Caliée s'effondre à genoux, tâte son squelette échancré. Une longue plaie, juste en dessous de sa poitrine, suinte encore. Elle n'ose imaginer tout le sang qui doit recouvrir son ventre, ses jambes.
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T3 - Homo Sapiens Sapiens - L'Acier et la Rouille EN REECRITURE
Science Fiction//Je recherche uniquement des lectures chill// Dans le monde froid et mortuaire où les beffrois sonnent la loi, où le ciel rouge agresse la neige et où la pluie agresse la rétine, gisent trois royaumes : Hamslet, Sanlot et Deshki. Trois royaumes sou...