★ Chapitre 6 ★

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J'avais fêté mes dix-huit ans deux jours plus tôt, et depuis, tout me paraissait étrange. Je pensais qu'une fois cette étape franchie, je changerais complètement, je deviendrais mature, responsable, que j'obtiendrais un super pouvoir me permettant de discerner les différents vins et de les trouver bons, pourtant, rien de tout cela ne m'étais tombé dessus, juste un chiffre qui s'était ajouté au compteur, et le sentiment de ne toujours pas être adulte. Finalement avoir dix-huit ans ne représentait pas un si grand chamboulement. J'avais en somme encore beaucoup de chemin à parcourir.

Nous avions fêté mon anniversaire samedi. Yoon m'avait trainé au restaurant pour déjeuner avec Mi-jin, Ae-cha, Yong-Sun et quelques autres lycéens dont je m'étais rapprochée. Nous nous étions ensuite promenés jusqu'à ce que la pluie nous force à nous réchauffer dans un café, devant un bon chocolat-chaud. Une fois rentrés et vêtus de vêtements secs, j'avais recontacté tous mes proches qui étaient tombés sur mon répondeur à cause du décalage horaire, conversant longuement avec ma mère et ma grand-mère, puis essayant de communiquer au milieu de la cacophonie qu'avait-été mon appel vidéo avec mes amis restés en France. Le soir, j'avais soufflé mes bougies avec Yoon et sa mère, en comité réduit, mais avec la meilleure compagnie qui soit. Le repas qu'avait préparé Madame Yang était encore meilleur que d'habitude et nous étions resté à table pendant des heures sans que ce soit pour autant long. Comme je l'avais expliqué à ma meilleure amie, ne pas être avec ma famille pour fêter ma majorité ne me gênais pas, nous avions convenu que la grande fête serait dans un an, pour mes dix-neuf ans. Et comme depuis trois jours je n'arrêtais pas de bouger, m'agiter, visiter Séoul, ce soir, mon corps demandait grâce. Encourager Yoon et son équipe lors de leur match m'avait vidé de mes dernières forces. Ma voix était cassée tant nous avions crié son nom, avec Ae-Cha.

-Merci de m'avoir raccompagnée, dis-je à Jeongin lorsqu'il ouvrit la porte d'entrée.

Il enleva ses chaussures d'un coup de talon et enfila ses chaussons. Peut-être que Yoon célébrait sa victoire dans les vestiaires en ce moment-même tandis que sa mère discutait avec celle de Yong-Sun, mais j'étais trop fatiguée pour l'attendre. 

-Avec plaisir. Je suis moi aussi fatigué, en ce moment je n'arrête pas.

-Tu aurais dû rester chez toi te reposer alors, et pas venir supporter ton frère.

Un petit sourire se forma sur ses lèvres.

-On se voit peu, j'essaye de passer autant de temps que je peux avec lui. Je dormirais un autre soir.

Je fis une petite grimace désapprobatrice. La semaine venait à peine de commencer et il me paraissait prêt à tomber de sommeil. Quel métier pouvait bien l'empêcher de dormir à ce point ? Car je l'avais bien compris, il ne semblait vivre que pour son travail. Je ne fis néanmoins aucune remarque. De plus, les mots étaient inutiles car mon opinion se lisait aisément sur mon visage.

-Je vais me doucher, ajoutai-je pour moi-même plus que pour lui.

Et je filai dans la salle de bain, rêvant de me coucher et de faire une nuit de douze heures.

Plantée devant le grand miroir de la salle de bain, je perdais patience. Il devait être dix heures du soir et j'aspirais à dormir, pas à essayer de trouver une solution à ce carnage. Dépitée, je fusillai du regard mes cheveux qui n'étaient plus qu'un paquet de noeuds que ma petite brosse de voyage ne faisait qu'emmêler d'avantage. Après la séance de piscine avec la classe de Yoon, j'avais fait l'impasse sur leur séchage, et rester coincés dans une tresse toute la journée, sans être démêlés ne leur avait pas réussi. A bout de nerfs, je décidai d'être radicale. J'allais passer de cheveux trop longs à un carré court, coupé au-dessus des noeuds. Je farfouillais dans la salle de bain à la recherche de ciseaux mais ils semblent être bannis de la pièce. Je n'avais plus qu'à croiser les doigts pour qu'il ne dorme pas et à passer au plan J comme Jeongin. Je hochai la tête, fière de moi. Ça sonnait bien.

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-Jeongin, appelai-je depuis la salle de bain. Tu aurais des ciseaux à me prêter ? J'ai un gros problème.

-Qu'est-ce qu'il se passe ? me répondit sa voix depuis le couloir, quelques instant plus tard.

Il passa la tête par l'entrebâillement de la porte et détourna aussitôt le regard. Alors oui, il se pouvait que je sois simplement enroulée dans une serviette, mais j'avais des circonstances atténuantes.

-J'ai un paquet de noeuds dans les cheveux. Je vais les couper, annonçai-je. Mais je n'ai pas de ciseaux.

-Quoi ? s'exclama-t-il. Tu ne veux pas une brosse ? Je peux t'aider si tu veux. Tiens, mets ça pendant que je vais trouver la mienne, m'ordonna-t-il en enlevant son sweat-shirt et en me le plaquant au visage.

J'étais maintenant assise sur le meuble de lavabo, enfouie sous un pull bien trop large pour moi et ô combien agréable à porter, tandis que Jeongin s'échinait à diviser mes cheveux en deux, sa propre brosse, bien plus robuste que la mienne, coincée entre ses dents. Je plissais les yeux à l'entente la question qu'il formula. La brosse entre ses dents l'empêchait d'articuler et sa question s'apparentait plus à une suite de sons distordus. Heureusement, le contexte aida et je le compris après sa quatrième répétition. Ma réponse fut mitigée et lui arracha un sourire. « Ne tire pas trop, s'il te plaît. » J'étais douillette, surtout des cheveux, et je ne m'en cachais pas.

Il commença par brosser les pointes. Lentement, patiemment, précautionneusement. C'était tellement différent de ma manière de tirer comme une dératée que je fermai les yeux et me laissai aller. Petit à petit, il remontait vers la racine. C'était mieux qu'un massage crânien. Ses doigts frôlèrent ma nuque, m'arrachant des frissons. Il s'arrêta net.

-Ne t'arrête pas, s'il te plaît, soufflai-je.

Sans un mot, il reprit le brossage. J'étais stupéfaite de voir comment mes cheveux se disciplinaient à ses coups de brosse. Je savourais les caresses de ses phalanges dans mon cou, qui laissaient sur leur passage un sillon glacé. Quand le côté droit fut fini, il fit des moulinets du poignet pour soulager la tension, puis s'attaqua au côté gauche de ma chevelure. J'ouvris les yeux et croisai ses iris sombres dans le reflet du miroir. Je détournai aussitôt la tête, piquant un fard. Ses longs doigts fins se posèrent sur ma mâchoire et, avec une légère pression, ramenèrent mon visage de face.

-Ne bouge pas la tête, Lise, souffla-t-il, concentré sur le haut de mon crâne.

J'étais devenue muette. Ne recevant aucune réponse, il en chercha une dans mes expressions faciales, ancrant de nouveau son regard dans le mien par le biais de la glace. J'étais figée, mon esprit sur pause ne faisait que fixer son visage, ses sourcils droits et ses beaux yeux en amande. Ses yeux noirs, ses cheveux décolorés en blond et sa peau claire complétaient le chef d'œuvre de son visage. Comment pourrais-je cesser d'admirer les mèches tombant sur ses yeux, le bombé de ses pommettes, son nez droit ? Ses lèvres étroites et son fin sourire étaient irrésistible. La réalisation me coupa le souffle.

Il me plaisait vraiment.

Tout d'un coup j'avais très chaud, tellement que son sweat autour de mon buste me pesait. Comme je ne pouvais pas l'enlever, je tachai de respirer calmement. Mon cœur tanguait dans ma poitrine. Il dégagea un mèche de son champ de vision. Je profitais de ce court répit pour me détacher de son image, ainsi que pour me sermonner mentalement. Puis Jeongin se remit à peigner mes cheveux. Sa douceur faisait fondre mon cœur, je lui avais déjà dit qu'il pouvait aller plus vite mais il s'obstinait à mouvoir lentement la brosse dans ma tignasse. Désormais, il ne se concentrait plus sur les gestes de ses mains; il cherchait mes yeux dans le miroir. Il finit sa tâche, ses yeux d'un noir abyssal plongés dans les miens. Quand il fit enfin un pas en arrière, je venais de vivre la pire et la plus délicieuse torture de ma vie. J'étais regonflée à bloc après le massage des piques de la brosse sur mon cuir chevelu. Je n'aurais jamais réussi à rester immobile aussi longtemps si ce n'avait pas été Jeongin.

-J'ai fini.

Sa voix claire perça le voile du silence qui planait autour de nous. Depuis qu'il s'était arrêté de me peigner, aucun de nous n'avait prononcé un mot, nous nous étions contentés de nous observer via la glace.

-Je vais te laisser te préparer. Bonne soirée.

Je le suivis des yeux alors qu'il quittait la salle de bain. Avais-je été la seule à sentir que cet instant que nous venions de partager valait tout l'or du monde ? Je commençais par être plus qu'attirée par lui. Ce magnétisme que je pouvais jusque-là contrôler échappait à mon emprise, je tombais petit à petit sous son charme. Et du long regard qu'il avait coulé à ma bouche, j'en déduisais que je ne le laissais pas indifférent. Je pouvais bien sûr me tromper, mais pourquoi aurait-il continué à prendre soin de moi autrement ? Si l'attirance n'était pas partagée, il serait parti et n'aurait pas intentionnellement laissé ses doigts se balader le long de ma tête, ma nuque et mes épaules. S'il ne m'appréciait pas, je n'aurais pas retrouvé une dizaine de post-it rose fushia collés dans le livre qu'il m'avait rendu la veille et noircis de son écriture soignée. J'avais relu ses messages plusieurs fois dans la journée, souriant à ses plaisanteries et ses encouragements pour survivre au cours de coréen. Son message préféré avait été sa liste des dix questions qui feraient sortir mon professeur de littérature de ses gonds. Il avait retenu que je détestais cette heure plus que tout, surtout le vendredi soir, je l'interprétais comme un signe.

J'en avais la conviction, il y avait quelque chose entre nous. Dans le cas contraire, je ne fixerais pas la porte avec sur les lèvres le souhait qu'il revienne. Dans le cas contraire, je n'enroulerais pas pensivement une mèche autour de mon index en songeant sans discontinuer à son faible sourire. Dans le cas contraire, j'aurais ôté son sweat-shirt.

Je me lavai les dents et le visage à toute vitesse et filai dans ma chambre pour enfiler un pyjama. Je repliais soigneusement son haut en humant le mélange entre son odeur corporelle et son parfum qui s'en dégageait. Je marquai un arrêt devant la porte de sa chambre, le temps de prendre une grande inspiration et d'expirer profondément. Ensuite je toquai.

-Jeongin ?

-Entre.

J'entrebâillai la porte pour me glisser dans l'interstice. Il avait posé son portable sur la table de chevet, les volets étaient à moitié fermés et la fenêtre ouverte laissait entrer le bruit de la ville. Les klaxons, les moteurs des voitures, les rumeurs des conversations. Je m'approchai de son lit et lui tendis son vêtement.

-Je te le rends.

A défaut de lui rendre sa chambre, je pouvais bien lui rendre son sweat-shirt. Les meilleures choses ont une fin. Il acquiesça silencieusement, les yeux rivés sur mon visage. Je tournai les talons, posai la main sur la poignée de la porte et m'arrêtai.

-Ah ! Jeongin ?

-Hmm ?

"Explique-moi pourquoi ton sourire coupe court à toute pensée logique. Dis-moi pourquoi ta voix m'ensorcelle. Apprends-moi ce qui rend captivante la lueur dans tes yeux. Éclaire-moi sur mon état."

-Merci... pour tout. Dont les petits mots dans mon livre de coréen.

Je ne saurais jamais ce qu'il voulait me répondre car je m'enfuis trop vite. Une fois assise en tailleur sur mon lit, je me pinçai le bras et saisit mon téléphone pour effectuer une recherche. J'avais une piste. Il me suffisait de comparer mes indices au résultat. Ensuite, j'aviserai. Afin de savoir si j'étais beaucoup dans la merde ou juste un peu.

« Comment savoir si l'on est amoureux ? » tapai-je dans mon moteur de recherche. Les résultats étaient multiples. Combien d'humains s'étaient posé cette question, des centaines d'années avant moi, jusqu'à ce que d'autres regroupent leurs réponses sur des sites Web ? Comment faisaient les gens qui galéraient avec cette question avant qu'Internet ne soit inventé ? Est-ce qu'ils cherchaient des réponses dans une encyclopédie ?

Cependant, la recherche la plus compliquée fut celle d'après. Dans l'entrée, mon correspondant et sa mère qui venaient de rentrer chuchotaient, nous croyant endormis. Sur mon écran, la suite de mon investigation s'affichait.

« Comment savoir s'il m'aime ? »

Échange ( Yang Jeongin x OC )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant