Dancing Without You

Prologue

      Je cours jusqu'à la croix rouge située au centre, là où le jury pourra me voir.

      La musique commence.

      Mon cœur s'emballe. Je reste pétrifiée un instant, mais reprends vite contenance, me rappelant l'importance de ce moment.

      J'entame alors ma chorégraphie. Je n'exécute pas les mouvements, je les vis. La musique est mon cœur. Nous sommes liées. Je danse. Je me libère de ma peau. J'imagine le spectacle que je suis en train d'offrir. Je me regarde. Je reprends mes gestes faux avant même de savoir qu'ils le seront. Je ne réfléchis plus, je me lâche.

      Cette choré, je la connais par cœur, alors à quoi bon ?

      À quoi bon rester prisonnière de mes pensées ?

      Je contrôle... mais je ne contrôle pas. Je saute, virevolte, roule.

      Puis, quand la fin du morceau approche, je me recroqueville sur moi-même. C'est en quelque sorte le bouquet final.

      Mon esprit rejoint mon enveloppe corporelle.

      Je me relève. Le jury me remercie et m'invite à quitter la scène.

      Je retourne donc en coulisses où les candidats suivants me félicitent.

      Mon cœur bat à tout rompre. Je suis fière, mais un peu triste. À présent, mon sort ne dépend plus de moi.

      Je file dans ma loge avant que quelqu'un d'autre ne m'attrape par l'épaule pour commenter ma prestation.

      Parce que je ne comprends pas ce qu'ils me disent : je suis italienne !

      Je fouille dans la poche arrière de mon jean pour récupérer mon portable. Je vais sur Whatsapp et j'ouvre la conversation "Famiglia" que j'ai créée il y a de cela deux ans. J'envoie un message :

   Moi : Alors ???

   Ilaria : C'était génial, Lyssa ! Cette académie, c'est obligé que tu y entres !

   Mamma : Oh oui ma chérie, c'était si... bel !

      Je réprime un rire devant la faute de français de ma mère. Ils se sont tous mis en tête de parler cette langue avec moi pour que j'en prenne l'habitude si je suis sélectionnée.

   Papà : Incroyable, vraiment incroyable.

      Je pose mon téléphone sur la table où est étalé mon maquillage au moment où ma professeure, Gabriella Piane, entre.

      Elle sourit, apparement ravie de l'exécution parfaite de ma choré. Il faut dire que je suis de loin la meilleure élève de son école, et qu'elle a très envie de me voir m'épanouir dans le monde de la danse.

      Elle me serre brièvement dans ses bras avant de s'écarter de moi pour m'observer d'un œil fier.

      - Lyssa !

      Une larme coule le long de sa joue. Elle est vraiment fière de moi. Après tout, c'est un peu normal, elle me donne des cours depuis mes quatre ans.

      Mon téléphone vibre sur la table. Je me retourne pour lire la notification : "Whatsapp - Evan".

      Je fais de nouveau face à ma professeure, l'interrogeant du regard. Elle semble comprendre, opine et sort de la pièce.

      Je déverrouille mon portable et je vais sur la discussion que j'ai avec Evan. Il y a cinq messages non lus, en français, car Ilaria a modifié les paramètres pour activer la traduction automatique.

   Evan : Ta sœur m'a appelé en visio.

   Evan : Je t'ai vue.

   Evan : Tu étais magnifique.

   Evan : Encore plus belle que d'habitude.

   Evan : Ils vont te prendre, c'est sûr, chérie.

      Vous l'avez sûrement compris, Evan est plus qu'un simple ami pour moi. Je souris et réponds à ses compliments.

   Moi : J'aurais mieux dansé si tu avais été là. Mais merci.

   Evan : Je ne pouvais pas et tu le sais aussi bien que moi...

   Moi : Désolée de m'être montrée si agressive...

   Evan : Désolé de ne pas avoir pu t'accompagner...

      Je jette un coup d'œil à l'heure : 15h48.

   Moi : Je dois te laisser, c'est bientôt la remise des prix.

   Moi : Appelle Ilaria à 16h, elle te montrera.

   Moi : Je t'aime.

   Moi : Je t'appelle dès que tout est terminé.

   Evan : Moi aussi je t'aime, chérie.

   Evan : Bonne chance.

      Je glisse mon téléphone dans la poche de mon sac à main.

      Je retouche mon maquillage et descends les escaliers pour aller sur le plateau. Quand j'arrive sur scène, je me rends compte que le grand rideau rouge et doré est fermé. Je pensais vraiment que j'allais arriver en retard. Je me place au milieu des autres jeunes de ma catégorie, stressée par le verdict qui approche.

      Quelques minutes plus tard, on commence à apercevoir le public à travers l'ouverture minuscule qui s'agrandit au fur et à mesure que le volume de la musique de fond et des aplaudissements augmente.

     La musique a laissé place à un discours monotone de l'organisatrice de l'audition. La seule et unique chose que m'ai appris son monologue, c'est qu'elle est une des professeurs de l'académie Dancing is the Life, celle où j'aimerais entrer. La directrice du même établissement a présenté le cadre dans lequel ses élèves étudient, aussi bien les matières habituelles que la danse, l'emploi du temps plus léger qu'on ne pourrait si attendre. Puis elle a rappelé que seul le premier candidat de chaque catégorie serait accepté, et uniquement ceux qui ont au-dessus de quinze ans.

      L'équipe technique du théâtre apporte ensuite une table, sort des cartons et dévoile leur contenu en les vidant sur le meuble. Ce sont des médailles. Or, argent et bronze, trois pour chaque catégorie.

      La remise se déroule rapidement, jusqu'au tour de mon petit groupe. La médaille de bronze est attribuée, puis celle d'argent et...

      - Lyssa Mercallo, première nationale, médaille d'or, sélectionnée pour entrer à l'académie Dancing is the Life. Lyssa Mercallo, s'il vous plaît ?

      Je sors des rangs, au bord des larmes. Mon rêve d'enfance pour lequel j'ai donné tellement... se concrétise sous mes yeux.

      Une des trois membres du jury me passe la médaille autour du cou, avant de passer son bras autour de mes épaules pour poser devant l'appareil du photographe. Elle m'invite ensuite à prendre place parmi les sélectionnés, au premier rang.

      Je m'y place et mon regard se perd dans l'obscurité noire du public. Je trouve Ilaria, le regard lumineux et le visage fier, qui me fait signe et m'applaudit dès qu'elle intercepte mon regard.

      Et là, je sais que...