Chapitre 4

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Un trou noir, béant, dans lequel tomberaient toutes les émotions, toutes les paroles, toute tentative de réconfort. Un abîme. Profond. Interminable. L'éternité elle-même y basculerait sans y prendre garde.

L'état de Calixte était déplorable. Comment ne pas l'être ?

Sa mère avait disparu. Envolée tel un grain blond au milieu d'une tempête de sable, elle était une épine de sapin au cœur d'une fourmilière grouillante.

Il avait déposé un avis de recherche, mais le policier qui s'était occupé de lui lui avait bien faire comprendre qu'il n'y avait que très peu de chances pour que sa démarche aboutisse :

- Vous savez, les parents qui disparaissent du jour au lendemain, malheureusement, ce sont des choses qui arrivent. Et puis, c'est très rare qu'on parvienne à les retrouver, alors ne nourrissez pas trop d'espoirs, quand même...

De l'autre côté de la fenêtre, le paysage contrastait drôlement avec ses sentiments. Fasciné par les lumières qui s'en échappaient, il fit signe à Mathias d'arrêter la voiture. Il obéit, intrigué, et Calixte en descendit. Ils étaient au milieu des champs mais la vue, en raison du soleil couchant, lui paraissait exceptionnelle.

L'astre embrassait la fin du ciel, tout là-bas, très loin, où naissait l'horizon.

Il resta debout ainsi plusieurs longues minutes. La lumière l'engloutissait et, en même temps, elle séchait ses larmes, l'air de dire "tout ira bien". Mathias s'impatientait et jetait des regards nerveux à sa montre. Calixte, bien qu'il lui tournait le dos, avait appris à reconnaître le bruit que faisait sa veste lorsqu'il bougeait le bras.

Il prit une grande inspiration, puis se tourna vers son chauffeur.

- On reste là ?

C'étaient ses premiers mots, presque suppliants, depuis leur départ du commissariat, et Mathias sembla douter de la réponse qu'il allait proposer car ses yeux clairs se détachèrent de son interlocuteur.

- Comme tu veux.

Le sourire compatissant qui accompagnait ses mots était le seul à l'origine du sentiment de gratitude qui s'empara soudain de Calixte qui, tournant le dos au ciel, superbe, décida de poursuivre sa route. Il grimpa dans le véhicule et celui-ci redémarra dans un vrombissement, laissant derrière lui les dernières traces de regrets.

.oOo.

On disait souvent que les campagnes avaient été vidées de leurs habitants depuis des années, qu'il n'y avait plus personne. Qui dévoilait cependant les conditions de vie en ville, qui devenaient insupportables ? Les plus aisés avaient les moyens de s'offrir un chalet ou un appartement en montagne pour les longues périodes de canicule mais les classes populaires ne pouvaient même pas acheter de quoi rafraîchir le leur, au cœur de la ville, alors désertée.

Les populations des milieux ruraux avaient, elles aussi, été mises de côté. Déjà minoritaires et très seuls, les agriculteurs se suicidaient en nombre et beaucoup de maisons et de fermes se retrouvèrent alors inoccupées, au cœur de très larges étendues de mauvaises herbes brûlées par le soleil. C'était l'une de ces maisons, perdues, que Mathias recherchait. Habitables après quelques travaux, elles représentaient pourtant un refuge indispensable et il pouvait être certain que personne ne viendrait l'y chercher.

La nature avait repris ses droits et les herbes savaient trouver le chemin entre les blocs de pierre. On pouvait voir les arbres comme les plantes prendre essence dans les murs eux-mêmes, sortir des briques, incrustées dans les moindres interstices.

Après un léger écart qui aurait pu leur coûter cher, Mathias comprit qu'il était temps pour lui de s'arrêter. Une dizaine de kilomètres plus loin, ses paupières tombant devant ses yeux, il trouva une large bâtisse qui paraissait en bon état et il décida de s'y arrêter. Calixte, endormi depuis une demi-heure déjà, remua mollement lorsqu'un virage serré fit crisser les pneus.

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Prudent, le conducteur avança son véhicule dans la cour et en descendit, le plus discrètement possible pour ne pas réveiller son compagnon. Un chat, surpris, s'enfuit en courant en passant entre ses jambes. Le suivant du regard, celui-ci se posa sur une imposante maison en pierre qui se dressait devant lui et le dominait de toute sa hauteur. Ses larges fenêtres, couvertes de volets en bois, le toisaient avec colère.

- Toc toc toc.

Le bruit se répercuta autour de Mathias, et le vent qui faisait bouger les herbes lui donnait la désagréable impression d'être suivi.

L'absence de réponse le fit hésiter, et, pourtant, il tenta d'enfoncer la fine porte une première fois - sans succès - et réitéra. Bientôt, Calixte, que le bruit éveilla, l'aida à pousser malgré le carreau brisé. Elle céda à la cinquième tentative, s'ouvrant en grand sur un espace complètement noir.

Aidés de la lumière du téléphone de Calixte, ils découvrirent les restes carbonisés de la moitié de la maison. Le spectacle désolant des poutres, effondrées, et les cadavres des objets survivants mêlés aux briques noircies par les flammes fit disparaître le peu d'espoir qu'il était parvenu à conserver.

.oOo.

Euphoriques, les cousins buvaient l'alcool au goulot. Les gouttes se mêlaient à leur sueur et coulaient le long de la ligne de leur mâchoire avant d'atteindre leur cou puis leurs tee-shirts, où elles laissaient des taches repoussantes.

Saouls, ils tenaient à peine debout mais s'efforçaient de danser sur la musique horrible qui secouait la boîte de nuit. Les lasers bleus brûlaient leur rétine et la musique perçait leurs tympans mais leurs visages exprimaient une exaltation profonde qui guidait leur corps, se mouvant au même rythme que celui des autres.

Peut-être fallait-il seulement, pour comprendre ce sentiment, se laisser aller, lâcher prise. Mais ce n'était pas le cas de Thibault, qui, affligé, ne devait sa présence qu'à l'évident plaisir que prenait Céleste à danser, perdue au milieu de cette vague d'adolescents imberbes et extatiques. Une limonade devant lui, malgré le regard que lui avait jeté le barman, il fixait d'un drôle de regard - dont il n'avait pas vraiment conscience - tous ceux qui s'approchaient un peu trop près d'elle.

Au bout d'un moment, elle se décida à venir vers lui, visiblement mécontente. Elle lui attrapa le bras et l'emmena légèrement à l'écart, du moins suffisamment pour qu'ils puissent s'entendre parler.

- A quoi tu joues ?

Il se dégagea.

- De quoi tu parles ?

- Pourquoi tu me regardes comme ça, depuis le début ? On est pas en couple, je te signale, je fais ce que je veux !

- Non, je sais bien ! Mais j'accepterai pas que tu fasses une connerie. C'est comme ça.

- T'es pas mon père ! On est loin des parents, et rien que pour ça tu devrais profiter aussi. C'est pas parce que moi je danse et que tu ne veux pas que tu dois passer ta soirée à me fixer, compris ?

Pas de réponse. Céleste s'agaça un peu plus.

- Si t'es pas content, t'as qu'à rentrer au camp ! Tu connais la route, tu peux bien marcher !

- C'est à au moins quinze kilomètres !

- Oh, et puis, débrouille-toi !

Elle le quitta pour se rediriger vers la piste de danse et recommencer le même petit manège. Grognon et vexé, Thibault alla chercher sa limonade, vida son verre d'un trait et quitta la boîte.

L'air sentait la pomme et le soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant