Perchée du haut de sa monture, Marya fut frappée par la petitesse du village. Les habitations paraissaient avoir été construites par un enfant. La silhouette de l'église s'élançait au loin vers le ciel. La cloche mélancolique rythma la journée. Il avait plu, le sol était luisant et glissant et des tapis de brume rodaient çà et là. La rivière s'étendait tel un long serpent assoupi. Le tambour des battoirs et le chant puissant des femmes lavant le linge transperçaient l'air.
La cavalière s'arrêta un instant, les bruits et les odeurs agitant ses souvenirs. Ce lieu l'avait retenue pendant tant d'années de sa vie. L'horizon était bas, le ciel si proche qu'il aurait pu s'abattre sur eux. Les regards des passants glissèrent sur elle. Tous la reconnaissaient. Le flot des paroles avait-il ressassé, déformé son histoire ? Était-elle devenue à son tour une superstition locale, un de ces êtres obscurs qui rodaient dans les bois ?
Son apparence trahissait sa hâte. Ses cheveux étaient rassemblés d'une manière simple et fonctionnelle, quelques mèches échappées ruisselaient sur son front. Le manque de sommeil tirait ses traits, l'air et le trot avaient rougi ses joues. Ses armes dissimulées sous son manteau, Marya n'arborait pas de signes distinctifs. C'était plus sûr et surtout plus discret. Il restait aisé de deviner à son escorte qu'elle était une gradée en mission, mais son appartenance demeurait floue.
Ses hanches et ses jambes protestaient après tant de jours passés en selle. Sa hargne lui avait permis de tout survoler. Ses haltes étaient restées aussi courtes que possible. Les premières heures du jour l'avaient vu revéillée, mais la présence des bêtes et de son escorte l'avait poussée à modérer ses ardeurs. Le voyage s'était déroulé avec une détestable lenteur, mais c'était fait, elle était là.
Certains l'évitèrent, mais d'autres la saluèrent avec distance ou avec une franche chaleur. Siméon marchait désormais aux côtés d'Olga. Sa fiancée ? Sa femme ? Marya lui adressa un sourire moqueur lorsqu'il feignit ne pas l'avoir remarquée. Qu'il était lâche et médiocre ! Marya avait grandi et ne saurait désormais plus se contenter de quelqu'un comme lui. Aleksander avait éclipsé tous les autres.
Elle était partie au bon moment pour s'éviter d'avoir à évaluer tous les hommes du village en quête du meilleur candidat pour un mariage. L'épreuve de la maternité lui aurait sans doute été épargnée. Miyue la soigneuse lui avait glissé en effet avec un air grave que les Grishas avaient parfois des difficultés à concevoir. Marya était attristée pour ceux qui en souffraient, mais cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Changer d'horizon lui avait permis de prendre conscience de ses envies réelles. Les moyens d'éviter une grossesse ne manquaient en outre pas, surtout au Palais.
Le prêtre, qui avait toujours été là pour défendre et consoler ses ouailles, vint à elle, une douce expression sur son visage ridé et entouré d'une barbe nuageuse.
— Ma fille, quel soulagement de vous revoir saine et sauve ! Vous avez toujours été honnête et travailleuse. Quelle histoire que la vôtre ! J'ai songé à toutes les épreuves qui vous attendaient et j'ai prié pour vous. Ne vous en faites pas, vos parents vont bien. Je leur ai toujours tenu compagnie et me suis tenu à leurs côtés.
La dernière partie de la phrase inquiéta Marya. Reconnaissante de son aide à sa famille depuis le décès de sa petite sœur, elle prit sa main dans la sienne et le remercia.
*
Dans le lopin derrière la maison, Lizaveta coupait le bois. Sa mère frappait avec une hargne guerrière, la respiration forte. Marya l'avait tant de fois aidée ! Tétanisée, elle la contempla, car la revoir en chair et en os lui tira une joie aiguë, violente. Sa gorge se noua.
La veille, elle avait eu un cauchemar dans lequel ses parents avaient déjà été vendus à quelqu'un d'autres parce que leur présence causait trop d'agitation. Une sueur glacée l'avait recouverte à son réveil.
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Marya des ombres (Darkling x OC)
FanfictionAleksander s'est résigné à la solitude mais le hasard place Marya sur sa route. Quelle n'est pas sa surprise en voyant les ombres répondre à cette inconnue ! Assoiffée de liberté, Marya se croyait promise à une vie de labeur jusqu'à ce que la découv...