biri stupéfait ses frères quand il leur parlait de son enfance et des principes qui avaient guidé
ses premiers pas.
Au village, les jeunes entourent du respect et de sollicitude leurs aînées. Ils vénèrent les anciens
et tout ce qui a été établi par eux. Ils les écoutent religieusement quand ils leur racontent les
faits passés ou quand ils leur enseignent les fruits de leur expérience et de celle de ceux qui les
ont précédés. Jamais, entre cadet et aîné, il n'y a la moindre discussion ; toute la vie est régie
par une seule loi, celle de la hiérarchie de l'âge, de l'expérience et de la sagesse. C'est seulement
après avoir séjourné dans la « case des circoncis » que les cadets sont considérés comme des
hommes. Ils sont alors censés avoir acquis tout ce qui fait l'Homme. Ils ont appris à vaincre la
peur. Ils savent souffrir, endurer sans se plaindre. Ils savent veiller sur un secret en résistant
aussi bien à la corruption qu'aux tortures. Ils ont appris à se sentir liés à leurs semblables, car
« l'homme n'est rien sans les hommes, il vient dans leur main et s'en va dans leur main. »
Mais avant de franchir le seuil de la « case des Hommes », les cadets subissent une série
d'épreuves. On juge ainsi de leur valeur, et l'on élimine ceux qui doivent attendre encore des
années pour mériter le grade de l'homme.
Sibiri pensait à ces épreuves avec une certaine fierté.
A quelques jours du grand évènement, le père Djigui, à la tombée de la nuit, lui avait confié un
message pour un ami dont le village se trouvait à une demi-journée de marche. Certes, on lui
avait donné un fusil, mais Sibiri était seul, affreusement seul parmi les petite sentiers de la
brousse et, tout le long du chemin, les fauves aux aguets avaient fait battre son cœur par leurs
cris d'affamés. Sibiri parlait aussi avec enthousiasme des séances de « Kotéba » au cours
desquelles les cadets subissent l'épreuve du fouet ; le fouet siffle sur leur dos ruisselant de sueur
et de sang, et gare à celui qui laisse entendre le moindre gémissement ! Il est alors
irrémédiablement ajourné ; un homme endure et ne crie pas. Birama, Nianson et Karamoko
écarquillaient les yeux, lorsque Sibiri racontait que les cadets, le torse meurtri par la flagellation
du Kotéba, doivent à l'aube se jeter dans l'eau froide du fleuve, en sortir courant pour grimper
par trois sur l'arbre sacré des anciens.
Birama avait des frissons lorsqu'on lui parlait de l'épreuve de feu. Les jeunes en passe d'être
circoncis doivent pénétrer dans une case en feu, et ramener un objet qu'y ont laissé les aînées.
Au début, l'objet est une corbeille ou une marmite, mais au septième tour, il s'agit souvent
d'une aiguille plantée au mur.
Après ces grandes journées d'apprentissage, les cadets sont rassemblés en un lieu hors du
village. Ils y vivent trois mois durant : là comme la vie d'hommes. L'un d'eux commet-il une
faute ? Toute la communauté subit la sanction, et les coups de fouet rythment alors le chant
rituel.
Je ne suis rien sans lui.
S'il fait un faux pas et trébuche,
Je trébuche avec lui, si je ne peux le retenir.
On chante en chœur, on chante la discipline, on chante le courage, on loue la fraternité. Les
anciens veillent, ordonnent, flagellent et enseignent. Et chacun de leurs gestes est accueilli avec
la déférence de tous les jours, car, comme dit le chant :
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Seydou Bodian sous l'orage
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