Les sorcières

15 - Intrusion

  Après avoir rapidement mangé, je montai me coucher. Ça avait été la soirée la plus épuisante de ma vie. Pourtant, je n'arrivais pas à m'endormir. Je n'arrêtais pas de repenser à elle. C'était génial et en même temps... Je n'étais jamais tombée amoureuse comme ça avant. J'avais eu plein de petits copains, et même si je ne les aimais pas tous vraiment, ce n'était pas pareil.  C'était la première fois de ma vie que j'étais amoureuse d'une fille. C'était à la fois pareil et différent. 

  Mon père ne le savait pas encore. En vrai, je ne savais pas du tout comment le lui dire. On n'avait jamais parlé de ces choses-là ensemble. Est-ce qu'il allait l'accepter ? J'espère.

  Soudain, un bruit en bas me fit sursauter. Je crus que mon père avait fait tomber quelque chose quand le bruit a recommencé. Est-ce que c'était possible d'être si maladroit ?

  Par mesure de prudence, je décidai d'aller voir. L'étage était sombre et je revins sur mes pas prendre mon téléphone pour avoir de la lumière. Le salon était éclairé... et désert. Un frisson remonta le long de ma colonne. Ce n'était pas normal.

  — Papa ? j'appelai, la voix légèrement tremblante. Il y a quelqu'un ?

  Je crus voir un mouvement du coin de l'œil et me retournai. Rien. Deux options : soit je virais parano, soit quelque chose de vraiment pas normal était en train de se passer...

  J'essayai d'invoquer ma magie au cas où. Il ne se passa rien. De mieux en mieux. Je crois que mon père n'avait pas juste oublié d'éteindre la lumière.

  Dans un réflexe paniqué, je tapai le numéro d'Eleanor. Je vis l'heure au passage. Minuit et demi. Elle devait dormir parce qu'elle n'a pas décroché. Je lui laissai un message.

  — Eleanor, c'est Summer. Tu peux passer à la maison le plus vite possible, s'il te plaît ? Il se passe un truc bizarre.

  J'eus à peine le temps de raccrocher que mon téléphone s'envola et vint s'écraser sur le mur en face. Je poussai un cri de surprise et me retournai.

  Une créature de cauchemar me faisait face. Elle était de forme humaine, mais on aurait dit qu'elle était faite de fumée noire et épaisse. Un crâne animal lui tenait lieu de tête, peut-être celui d'un crocodile. Des cornes surmontaient son corps gigantesque. 

  Mais ce qui me fit le plus peur, c'était les immenses dent pointues et couverts de sang qui sortaient de sa gueule. Or le seul autre être humain dans cette maison, c'était mon père. Cette créature l'avait trouvé avant moi. La créature fit un pas en avant, et je me rendis compte que j'étais tétanisée.

  Une voix s'échappa de sa gueule. Ce n'était pas une voix humaine. Celle-ci était rauque et sifflante, comme si elle était malade. Je faillis rire. Une créature composée de fumée et d'un crâne ne pouvait sûrement pas être malade. Ce devait être sa vraie voix.

  — Bonjour, petite sorcière. Ou plutôt, bonsoir.

  Je reconnus ses intonations. Malgré la petite voix dans ma tête qui me soufflait que c'était impossible, je ne pus m'empêcher de m'exclamer :

  — George ? 

  Je croyais que c'était un dragon. Les dragons ça ne ressemble pas à ça, si ?

  — En effet. C'est bien moi.Je suis étonné que tu m'aie reconnu aussi vite. Tu es si intelligente...

  Il leva la main comme pour me caresser la joue, avant de s'arrêter en l'air. Je ne pouvais plus bouger, tremblante de peur. Je réussis (de justesse) à me composer un air de défi et lui lançai, en espérant que ma voix ne tremblait plus :

  — Qu'est-ce que vous avez fait de mon père et qu'est-ce que vous me voulez ?

  Le monstre ricana.

  — Et courageuse, avec ça. Parfait. Tu n'en sera que meilleure.

  Sa main, toujours figée en l'air entre nous, reprit soudain vie, et il effleura mon front. Je sombrai dans l'inconscience.