Leandro" Peu importe la musique que nous écoutons, l'essentiel c'est les personnes avec qui nous la partageons"
Dernière semaine d'août, Naples, Italie.
Mes mains dessinent des formes imaginaires dans les fins cailloux du cimetière où je suis depuis maintenant quelques heures. Encore une fois, assis face à la tombe de ma mère, je ne trouve rien à lui dire. Parfois, un souvenir de mon enfance revient comme un boomerang, impossible à rattraper, il me submerge et c'est dans ses rares moments que ma mère me manque.
— Je ne sais pas si tu te rappelles de la fois où nous avons été nager en pleine nuit d'été, papa ne voulait pas nous emmener, moi et Parker, mais toi tu as tout de suite accepté. On a roulé un bon moment, les fenêtres ouvertes avec la musique à fond, on écoutait en boucle « Two Ghosts » d'Harry Styles. Je t'avais demandé pourquoi tu avais le sourire en chantant une musique si triste et tu m'as répondu que peu importe la musique que nous écoutons l'essentiel c'est les personnes avec qui nous la partageons, raconté-je au fantôme devant moi, le sourire aux lèvres. Je ne suis même pas sûr que tu avais pris un maillot de bain, mais tu as couru dans la mer avec nous. J'avais treize ans et je suis sur que c'est le dernier souvenir partagé avec toi qui me donne le sourire, poursuive-je, les lèvres fendues et les yeux humidifiés.
Je me lève, essuyant le derrière de mon jean plein de cailloux, prêt à partir de ce maudit endroit. Avant de quitter ma mère pour aujourd'hui, je tourne la tête vers sa tombe garnie de fleur et fini mon histoire:
— Mais tu as préféré faire passer ton travail dans la mode avant tes enfants.
J'aperçois mon meilleur ami m'attendant sur le parking du cimetière, son téléphone en main adossé contre son scooter. Les rayons du Soleil de l'Italie nous éblouissent de si bon matin, je ne crois pas être né dans le bon pays, j'ai un certain penchant pour la pluie, le mauvais temps et tout ce qui me laissent être maussade. Mes journées préférées sont celles que je passe dans mon lit, au point d'en être épuisé, alors qu'aucun rayons n'a atteint mon iris.
Le regard de Roméo trouve le mien, et immédiatement il s'éclaircit, tout son visage s'illumine.
— Salut mec, comment ça va ? M'accueille-t-il avec enthousiasme.
— Ça va, et toi ? Lui réponds-je à peine, en attrapant le casque à l'arrière de sa moto et l'embanjant.
— J'en conclut que ça va pas trop, pense Roméo tout haut. Je t'emmène aux ateliers ? Me demande-t-il.
— Non, je veux passer chez moi.
— Mais tu devais pas aider ton frère pour la nouvelle collection d'hiver et-
— Je m'en fou, c'était l'entreprise de ma mère pas la mienne, le coupé-je, sachant très bien que mon meilleur ami trouve génial la place que ma mère m'a assigné avant de mourir dans sa marque de luxe.
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Le trajet m'a paru passé à toute vitesse, ne me laissant même pas une seconde pour plonger dans mes pensées. Mon cerveau est à l'ouest, au point où je n'avais même pas remarqué que Roméo était déjà descendu du véhicule, m'attendant en silence.
— Désolé, marmonné-je en passant à côté de lui.
Nos pas contournent la fontaine trônant devant la façade de ma maison, et nous amènent jusque devant la porte. Elle est ornée de carreaux qui laissent entrevoir l'intérieur de cet gigantesque maison alors que les quelques palmiers plantés juste devant la maison dissimulent à peine les fenêtres de devant, laissant apercevoir à ma famille les fleurs fleuries dans le jardin. Chaque passant peut s'imaginer l'intérieur de cette maison: des grands meubles en bois entourés d'immenses plantes exotiques et de lampes de designers.
Je pousse enfin l'accès à mon chez moi, me dirigeant directement vers le bureau de mon père au bout du couloir.
— Entre, annonce mon père de derrière la porte.
— Je ne serai pas long, fais ce que tu veux, informé-je Roméo en me retournant vers lui.
Je m'avance dans l'entre de mon père où trône, en plein milieu, une table ronde, avec un tas de dossiers éparpillés un peu partout, et au fond assis derrière son grand bureau, mon père tape à une vitesse affolante sur son ordinateur. Son bureau au couleur terne laisse planer une atmosphère pesante, une longue traînée de frissons parcourent tout mon corps dès que je pose un pied dans ce cabinet.
— Alors tu ne devais pas aider ton frère ?
— Si, mais je préfère t'aider, toi, lui affirmé-je.
— Je n'ai pas besoin d'aide, répond-il sèchement. Après un silence qui parut durer une éternité, il reprend en s'éclaircissant la gorge: mais tu peux regarder sur quoi je travaille.
J'accepte sans hésitation sa proposition, son travail m'a toujours fasciné. Découvrir des secret, élucider des affaires, à l'étranger parfois, comparé à la création de nouvelle collection de vêtements je trouve cela tellement plus stimulant.
— Je m'occupe d'un client plutôt compliqué aujourd'hui, l'homme qui m'a engagé se fait suivre depuis plusieurs jours maintenant. Son traqueur se pointe toujours quand il sort de son travail, dans une rue que mon client ne peut contourner.
Je regarde les papiers posés en face de moi, toutes les recherches que mon père a fait sont réunis ici.
— Il est français ? demandé-je constatant qu'il ne vit pas en italie.
— Oui, il habite à Paris, mais c'est un ancien collègue, il travaille dans la politique, affirme mon père sans détacher ses yeux de son ordinateur.
— Je peux t'accompagner, je serai comme un stagiaire, proposé-je avec enthousiasme.
— Si tu veux, lance-t-il sans vraiment m'écouter, se replongeant déjà dans sa paperasse.
Je quitte la pièce, sans même me retourner, de toute manière je suis certain que mon géniteur n'aura même pas relevé la tête vers moi.
— Roméo, tu peux toujours m'emmener aux ateliers ? lui demandé-je à peine arriver devant lui.
Mon meilleur ami est en train de regarder son dessin animé préféré, Rick et Morty, avec un bol de trésor. Il ne m'a même pas entendu, alors je me pose juste devant la télévision pour lui cacher la vue.
— T'es sérieux Leandro ? Râle-t-il.
— Oui, très. Allez on décale.
Il lève les yeux au ciel en se levant du canapé et me suit jusqu'à sa moto avec son bol de céréales.
— Ça te dérange si je pose ça là ? Me demande-t-il, en pointant du doigt le sol devant chez moi.
— C'est pas comme si tu l'avais jamais fait, rigolé-je.
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Roméo, me devançant, pousse la porte des locaux de la marque de ma grand-mère, Inara.
Cet endroit renferme une odeur toute particulière, celle d'un souvenir. Dès que mes pieds sont à l'intérieur de ces grands immeubles j'ai l'impression d'avoir treize ans à nouveau, attendant sagement ma mère dans la salle d'attente, contemplant les centaines d'affiches de défilés collées sur les mur, analysant les couturières, ou donnant mon avis comme un expert. J'ai grandi à travers la mode, alors ce couloir que nous longeons est une habitude, il ne me procure que de la nostalgie, contrairement à certaines personnes qui oseraient dépenser des millions pour y poser un pied.