Chapitre 7

3 0 0
                                    

Impossible de trouver le sommeil, je ne faisais que penser à ce que m'avait dit Sophia et l'inquiétude et la peur flagrante qu'elle avait laissé transparaître. Au début, je pensais que c'était de la jalousie pure et dure : Cynthia l'abandonnait complètement pour Jack. Mais maintenant cette hypothèse me semble de moins en moins plausible. Je ne saurais l'expliquer, mais j'ai la sensation que même s'il y avait un fond de jalousie du côté de Sophia, ce n'était pas ce sentiment qui l'avait poussé à venir se confier à moi, mais la peur.

Je me retournai dans mon lit pour la centaine fois avant de comprendre que je n'arriverai pas à dormir avec toutes ses interrogations dans la tête. C'est là que mon ventre se mit à gargouiller une première fois. Puis une seconde. J'essayai de me souvenir de la dernière fois que j'avais mangé, en vain. Je décidai alors de me lever en faisant le moins de bruit possible quand je me rendis compte qu'Eva n'était pas dans le lit, ni même dans la chambre. Je décidais de ne pas y prêter plus attention que ça sur le coup et parti en direction de la cuisine.

C'est là que je tombai nez à nez avec Cynthia, les bras de celle-ci remplis de nourriture. A l'instant où elle me vit, elle lâcha tout ce qu'elle tenait et renversa tous les aliments par terre. Elle ne bougeait pas, telle une petite fille que l'on viendrait prendre la main dans le sac en train de faire une grosse bêtise. Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu'elle se mit à m'agresser : « tu m'as fait une de ces peurs !!!!! Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-là d'abord ???

- Comme toi, j'avais juste un petit creux nocturne, dis-je calmement en me penchant pour ramasser ce qu'elle venait de faire tomber.

- Comme moi, c'est ça ouais !!! Tu n'as aucune idée ce que c'est d'être moi. Tu n'en sais rien du tout.

Je sentis dans sa voix un tel mépris, un tel faux mépris si je puis dire. Cela se sentait à son timbre de voix qu'elle se forçait à jouer la dure, mais qu'au fond, elle était juste terrifiée, surement un mécanisme de défense. Je la sentis vraiment fragile, comme si cet aspect de dure à cuire était la seule chose qui lui permettait de ne pas exploser en larme, chose qu'elle aurait surement immédiatement fait si je l'avais questionné sur quoi que ce soit de personnel. Je décidai donc de rester à distance, calmement, et de ne rien lui demander, de laisser ses barrières en place afin que peut-être, plus tard, elle accepte de les baisser un petit peu sans s'effondrer avec.

- C'est vrai, je n'en sais rien. Excuse-moi. »

On finit de ramasser tous les aliments en silence puis on se releva et se regarda droit dans les yeux. Je laissai mon regard sur elle, elle avait le regard fuyant, n'osant me regarder droit dans les yeux, elle fixait tantôt ses pieds, tantôt sa nourriture qu'elle serrait comme une bouée de sauvetage. Quand son regard se posait même une petite seconde sur le mien, je pouvais y lire toute la honte et la souffrance qu'elle portait, et les larmes qui menaçaient de couler à chaque instant. Elle respira alors un bon coup et finit par dire :

« Ne dit rien à Jack, s'il te plaît, me supplie-t-elle du regard

- Pourquoi ? » Osais-je lui demander, toujours très calmement pour ne pas la voir s'effondrer

Je la sentis pris d'un frisson, elle se recula ensuite encore plus de moi et avant de prendre la fuite avec toute la nourriture, elle me redemanda dans un souffle, de ne rien dire à Jack.

Je restai planté là pendant un petit moment, réfléchissant à ce que je venais de voir. Jack n'était pas la seule bouée de sauvetage que semblait avoir trouvé Cynthia. La nourriture. Manger. Elle n'avait pas simplement pris de quoi se rassasier pour la soirée, mais plutôt de quoi noyer tout ce chagrin, cette tristesse inexpliquée et surtout, ce stress dû à cette grande incompréhension. Incompréhension de qui nous sommes, et de ce qu'il se passe autour de nous.

La nourriture était un piège dans ce genre de situation, c'était une fausse amie. Elle dégageait de l'endorphine un court instant, mais c'était juste pour retomber encore plus bas ensuite. Sans oublier que c'était un cercle vicieux, cela ne s'arrêterait que si un changement important s'opèrerait ou s'il n'y avait simplement plus de nourriture à manger. C'était comme toute addiction finalement.

Seulement le problème résiliait bien là : la nourriture était loin d'être en accès illimité par ici, et Cynthia en était parfaitement consciente, ce qui aggravait la situation. Cela signifiait qu'elle prenait le risque de se faire attaquer par tout le bunker et de risquer nos vies pour assouvir son besoin de nourriture.

Une autre petite chose qui m'a frappé était sa réaction vis-à-vis de Jack. Sophia m'avait fait part de son côté adoratrice envers Jack, mais elle ne se doutait absolument pas que Jack, avant toute chose, semblait la terrifier profondément. Ce point me suffit pour expliquer le fait qu'elle s'accroche autant à lui et je peux le comprendre, mieux vaut s'en faire un ami qu'un ennemi. Si même Cynthia avait peur de Jack, il faudrait le surveiller de très près. Les mots de Sophia résonnèrent de nouveau en moi. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir destructeur d'une organisation.

Le BunkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant