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Le ciel a été gris toute la matinée, et personne n'est sorti de ma maison, pas même dans le jardin. J'en ai déduit qu'Alexandre et ses parents ne fumaient pas, et qu'Alexandre n'était donc peut-être pas un dealeur. Ah, moi et mes idées stupides... Seulement, vu que nous sommes maintenant huit à vivre dans la même maison, la nourriture s'épuise plus vite que prévu et il est temps d'aller faire les courses. Du coup, quand Maman annonce qu'elle va au supermarché à quinze heures, je me propose tout de suite pour l'accompagner ; je n'ai pas envie de rester enfermée, j'ai besoin de prendre un peu l'air. Et puis, je veux en profiter pour faire un détour chez Constance, pour savoir si elle va bien. Quand je pense à elle, un nœud se forme dans ma gorge et je ressens l'horrible culpabilité de l'avoir laissée tomber au beau milieu du hall du lycée, et de ne pas pouvoir la joindre sur son portable, qu'elle a dû laisser dans la salle d'Anglais.

...Est-elle toujours vivante ?

Dehors, tout est plongé dans un calme fantômatique. Maman déverrouille les portes de la voiture et nous sautons à l'intérieur, elle au volant, moi sur le siège passager. Depuis les bombardements, j'ai la trouille de rester trop longtemps à l'extérieur, j'ai peur que les avions reviennent...

- On fait vite, prévient Maman.

- Oui oui.

Elle lâche un soupir, j'apperçois ses doigts qui tremblent un peu quand elle met la clé dans le contact. Je n'ai pas souvent vu Maman être aussi nerveuse et terrifiée. Je ne dis rien.

- Je ne sais même pas pourquoi je t'autorise à venir avec moi, dit-elle enfin. Tu devrais rester à la maison, en sécurité...

- Il n'y a nulle part où l'on est en sécurité, réctifié-je en lui jetant un regard. Pas plus dehors qu'à la maison. Mais pour l'instant, ça a l'air d'aller, non ?

La voiture démarre et Maman sort de l'allée sans répondre. Pour détendre l'atmosphère, je décide d'allumer la radio pour mettre de la musique ; je tombe sur une interview d'une personne âgée, qui raconte la France pendant la Guerre Froide. Je change de station : je tombe sur un programme relatant les faits de la veille et le bombardement de Paris par les États Islamiques. Même refrain pour les quatre stations suivantes que je teste. Résignée à ne pas écouter toutes ces horreurs, je m'empresse d'éteindre la radio. J'en ai vu et vécu assez, je ne veux pas en entendre plus.

Après dix minutes de route dans le silence le plus total, nous entrons sur le parking du supermarché et nous nous garons le plus près possible des portes de l'immense magasin. Il y a un trou énorme dans un coin du parking - de la taille d'un terrain de basket, je dirais -, et le bâtiment est effondré sur le tiers. Les lettres lumineuses sont toutes tombées par terre, à l'exeption d'un « R » qui a l'air de ne tenir qu'à un fil. Je ne fais pas plus attention au chaos qui nous entoure et je me dépêche de rejoindre le bâtiment pour me mettre au plus vite à l'abri d'une quelquonque menace venant du ciel.

C'est drôle, mais ce paysage apocalyptique ne m'impressionne plus du tout. Je sais qu'au fond de moi, tout va finir par ressembler à ça à partir de maintenant, s'il y a de nouvelles attaques, voire pire. Il faut s'y faire, c'est monstrueux et grotesque mais c'est comme ça, et ce n'est sûrement que le début. Qui sait, si ça se trouve demain je serai morte... Quel optimisme, Evie !

Je refoule la panique qui s'empare soudainement de moi et j'entre dans le supermarché, Maman sur mes talons.

Il y a beaucoup de monde à l'intérieur. Certaines personnes sont en béquilles, d'autres ont les bandages, d'autres ont du sang sur leurs habits. Quelques unes seulement sont dans un état à peu près correct, dont Maman et moi. Le bruit est infernal, les gens réclament à manger. Tous meurent de faim, tous n'ont peut-être plus de famille et de logement. Ils sont à la rue, et ne demandent que de l'aide. Alexandre et sa famille ont eu beaucoup de chance de tomber sur nous, vraiment. Mais il n'y a plus de place pour accueillir encore un peu de monde chez nous...

VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant