Il ne pouvait pas mourir. Impossible. Je ne pouvais pas vivre sans lui. Comment était-ce possible ? C'était faux. C'était une illusion. Ça devait être une illusion. Il n'était pas mort. Il était toujours avec moi. Ce n'était qu'un cauchemar. Il était là, à me sourire. Obligé. Comment j'aurais fait, sinon ?
J'avais beau me répéter ces paroles en boucle, je le savais. Il était parti. Amon. Amon était parti. Il m'avait laissé. Lui.
Et je sentis au fond de moi, tout au fond de moi, quelque chose se briser. Se briser définitivement. Et ce quelque chose, c'était mon cœur. Mon cœur qui ne pouvait pas tout supporter. Mon cœur qui était humain. Pas infaillible. Qui s'était déjà fissuré, tant de fois, suite aux coups qu'on lui a porté. Mon cœur, qui cette fois ne pouvait plus lutter. Il était déjà endommagé. Aujourd'hui, il était détruit.
J'étais détruite. Mon cerveau et mon cœur ne pouvais pas tout supporter. Pas tous ces morts. Papa, Maman, Mika, Will, Alice, Diego et maintenant Amon. C'en était trop. Je n'en pouvais plus. Papa, Maman, Mika, Will, Diego, Alice, Amon, et tant d'autres. Tous ces gens anonymes tués. Toutes ses victimes qui ne laissaient derrière elles que des cœurs brisés.
Je restai là, à genoux, les larmes coulant sans se tarir de mes yeux. Je ne bougeais pas. Je n'osais pas bouger. Il était mort. Comment j'étais censée réagir ? Il n'était plus là, j'étais seule, j'étais perdue, je ne pouvais pas me défendre contre cette souffrance que j'éprouvais.
Il n'était plus là.
Amon.
Tas de Muscles.
Parti.
Mort.
Tué.
Lui.
Mon sauveur.
Mon ami.
Amon.
Je rejouais notre rencontre dans ma tête. Moi qui courais. Lui qui m'arrêtait et me tirait vers lui pour me protéger.
Lorsqu'il s'était fait attraper par Les Panthères parce qu'il était parti nous chercher à manger.
Avec Alice, qu'il avait tué pour me sauver.
Qui n'a pas hésité à prendre une balle à ma place.
Tout ce qu'il avait fait pour moi. Et il n'était plus là. C'est comme ça qu'on félicitait les gens pour leurs bonnes actions ? C'était moi qui aurais dû mourir. Parce que moi je n'avais jamais vraiment rien fait pour lui. Il s'en était toujours sorti tout seul. Même avec Les Panthères, c'était Diego qui était mort, pas moi. Moi je ne m'étais jamais vraiment mise en danger. J'aurais dû. Maintenant il était mort. C'était fini.
Mais... D'après ce que je voyais à travers mes larmes, j'allais mourir aussi. Le public semblait vouloir venir nous tuer à mains nus, des gens armés s'approchaient de nous, j'entendais des coups de feu, l'odeur du sang et de la fumée flottait, mais j'en avais rien à foutre. Amon était mort. Tant mieux si je le rejoignais.
J'entendais quelqu'un crier mon prénom. Peut être Ali, ou bien Leis.
Je ne répondis pas. À quoi bon ? Amon était mort, ça ne valait plus le coup de se battre.
Quelqu'un s'énerva de mon attitude passive. J'étais trop mal pour deviner de qui il s'agissait, mais je sentis très bien la gifle qu'on m'offrit.
Bien. Qu'on me frappe. Je le méritais. J'avais laissé Amon mourir.
Je crois que vu la taille de la main qui avait frappé ma joue, c'était Yusuke. Blondinet. Tas de Muscles. Mort. Tout me ramenait à lui.
Quelqu'un cria. Un juron, puis une insulte à mon égard. Je l'ignorais. Je méritais tout ce qui me pleuvait dessus.
Mais pas les trois autres. Ils devaient partir, éviter la mort. Moi je resterais, je rejoindrais Tas de Muscles. J'hésitais à leur dire de partir, mais je décidais finalement qu'ils étaient suffisamment intelligents pour décider de m'abandonner lorsqu'ils verraient que je ne bougerais pas.
Je m'étais trompée, et je le devinais lorsque je sentais vaguement des bras passer sous mes genoux et autour de mes épaules, puis me soulever pour me porter comme une princesse. Selon le corps que je sentais contre moi, c'était Yusuke. Ça aurait dû être Amon. Sauf qu'il était mort.
Yusuke se mit à courir. Vers où, pour quoi, je n'étais pas en état de le savoir. Ce que je savais, ce que je pressentais, c'était qu'on abandonnait la dépouille d'Amon. On abandonnait Tas de Muscles.
Le vide qui se creusa dans ma poitrine se fit de plus en plus insupportable à mesure que Blondinet m'éloignait d'Amon. Je me mis à hurler. Était-ce un cri de douleur, de rage ? Je ne sais pas. Je me débattis. Je voulais qu'il me pose, tout de suite. Qu'il arrête de s'éloigner de son cadavre. Je ne le supportait plus. Pourtant, Yusuke ne me lâcha pas. Il m'insulta de tous les noms, certes, mais il ne me lâcha pas.
Dans le brouillard de mon esprit, un déclic se fit dans mon esprit. C'était ma meute. Elle ne m'abandonnerait pas.
Mais je voulais rester avec lui. Je ne voulais pas partir loin de lui. Je me mis à tenter de frapper Blondinet à l'aveugle.
-Putain, mais arrêtes merde ! Cria-t-il.
-Summer ! Summer écoutes moi !
C'était la voix essoufflée d'Ali.
-Il faut que tu te ressaisisses ! Ça va pas le faire là !
-PUTAIN MAIS LAISSEZ MOI !! hurlai je.
-Non ! cria Leis. Summer ! Il faut que tu nous aide ! On doit trouver Alouka !
-Summer ! Arrêtes de bouger !
Toutes ses voix qui criaient mon prénom étaient insupportables. Je plaquai mes mains sur mes oreilles en leur criant de se taire.
Mais les paroles de Leis résonnaient dans mon esprit. Alouka. Désormais, il n'y avait que moi qui avait une idée de là où elle se trouvait. On ne l'avait pas dit aux autres.
Mon cœur se serra. L'avenir du monde entier reposait à présent sur mes uniques épaules. Je souhaitais mourir aujourd'hui, mais, si je le faisais, j'emporterais le monde avec moi. On devait transmettre le message de Chinaé à Alouka. Impérativement.
C'est ce qu'avait toujours souhaité Amon. Depuis deux ans que je le connaissais, son plus grand rêve avait été de réparer les actes de sa sœur, et de voir sa famille se réconcilier. Il était si près du but... Chinaé nous avait demandé de transmettre ses excuses à Alouka. Si près...
Et aujourd'hui, c'était à moi de décider si son rêve se réaliserait un jour.
Et mon choix se fit. Je devai accompir la volonté d'Amon. Pour me faire pardonner. Pour lui dire merci. Pour, enfin, me dire que j'aurais agi pour lui.
Mais avant...
-Lâche moi, ordonnai-je à Blondinet.
J'attrapai son flingue, qu'il avait dû voler à quelqu'un, tandis qu'il s'exécutait, surpris par mon sérieux.
Avant...
La vengeance.
Je vis rouge. Tous ces gens, ces personnes infâmes qui nous poursuivaient tandis que nous nous enfuyons vers la sortie de l'arène, avaient tué Amon.