17. Halloween 2081

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Les jours se suivaient et se ressemblaient, rythmés par les interminables leçons d'Adalbert. Un été s'acheva dans la grande maison, cédant place à un automne maussade.

Petit à petit, je sentais la lassitude me gagner et j'en devenais, par conséquent, moins attentive aux enseignements de mon professeur. Ce n'était pas le cas de Colin, qui, pour sa part, passait maintenant le plus clair de son temps à dévorer les ouvrages que recelait la bibliothèque, bien que son niveau de lecture fut encore médiocre.

Un matin d'octobre, alors que je m'endormais sur ma table de travail, la voix puissante d'Adalbert me tira de mon hébétude. Je croisai son regard plein de déception, mêlée à une colère mal contenue.

-Morgane, ce que je dis ne t'intéresse pas ?

Sa voix vibrait, signe d'une vive irritation de mon professeur. J'eus pourtant l'audace de confirmer du bout des lèvres que je n'avais effectivement cure de ce qu'il s'évertuait à me raconter. Je vis alors sa grosse main se lever comme s'il s'apprêtait à m'assener une gifle bien méritée mais il suspendit son geste juste à temps. La tristesse se lut alors dans ses yeux, ce qui me convainquit derechef de lui demander pardon. Il me tourna le dos, sans doute pour éviter de me montrer cette soudaine faiblesse.

-Sais-tu pourquoi je passe mon temps à éduquer deux enfants parfaitement étrangers alors que je pourrais déjà être loin d'ici, à vivre comme bon me semble ?

Sa voix avait résonné avec des accents lugubres qui me donnèrent la chair de poule. Je me contentai de hausser les épaules. Adalbert se retourna brusquement et planta son regard acéré dans le mien.

-L'Inquisiteur et sa clique ont détruit tout ce que j'aimais. Ma famille, mes amis, et bien d'autres choses encore. Et il en va de même pour toi. Aussi, nous sommes liés, toi et moi, n'est-ce pas ?

Cette fois, je fus bien obligée d'approuver, du bout des lèvres seulement, ses paroles.

-Quand le temps sera venu, Colin et toi serez devenus des adultes capables d'éveiller à votre tour, les consciences des générations qui vous suivront. C'est la seule arme à notre disposition pour défier l'Inquisiteur, même si ce chemin doit prendre des années, voire des décennies, pour être parcouru. La force des armes, c'est Saturnin et ses chevaliers qui en disposent et nous ne pouvons rien pour nous y opposer. C'est pourquoi nous devons lutter avec uniquement les maigres atouts dont nous disposons. Le faible espoir d'un avenir meilleur et la perspective de venger ceux que nous aimions, voilà ce qui m'incite à rester ici, avec Colin et toi.

Adalbert, comme à son habitude, avait réussi à se montrer persuasif et je me sentis alors honteuse de mon comportement. Il sourit alors et me fit savoir d'un unique hochement de tête que l'incident était clos.

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Nous étions le 31 octobre 2081, jour d'Halloween, date à laquelle ma mère associait toujours quantités de légendes inquiétantes. Ce soir- là, Adalbert était monté se coucher tôt, me laissant seule avec Colin dans le grand salon du rez- de-chaussée. C'était une soirée brumeuse, rythmée par le bruit d'un léger vent d'ouest soufflant au dehors. Hormis cela, c'était le calme plat. A travers le brouillard, une lune presque pleine baignait de ses rayons laiteux les eaux calmes de la Meuse, non loin en contrebas. Après avoir lu pendant des heures, Colin commençait désormais à piquer du nez.

Je laissais mon regard s'attarder sur le fleuve lorsqu'un bruit suspect me fit soudain dresser l'oreille. D'où venait-il ? Quelle en était l'origine ? Mon instinct venait de m'avertir que quelque chose d'anormal se passait. Plissant les yeux vainement pour tenter de percer le voile de brouillard, je tentai de discerner les intrus car il m'avait semblé entendre des voix. Je sursautai brutalement en tombant nez à nez, avec la figure d'un jeune homme pâle de l'autre côté du carreau. Ce dernier dut avoir la même réaction que moi, car il fit un bond en arrière, sans doute surpris de découvrir une présence humaine dans cet endroit oublié de Dieu. Une femme à peine plus âgée émergea à ses côtés. Elle portait dans ses bras une chose que je n'identifiai pas immédiatement. Ces gens semblaient hagards, épuisés et bien mal en point. On aurait dit des morts surgis de leur tombe. Je secouai frénétiquement Colin, certaine que ces individus ne nous voulaient certainement pas du bien. Le garçon se réveilla en grommelant. Il se figea, avisant à son tour les deux inconnus collés au carreau. Tout à coup, le paquet que portait la femme au creux de ses bras remua légèrement. Tout devint alors clair. Il s'agissait d'un bébé et ces malheureux avaient désespérément besoin d'aide...

Macrâle: itinéraire d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant