Chapitre 40 : Le prisonnier

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Nuit du vendredi 20 au samedi 21 décembre 2029 – Base des Éveillés - Phoenix Ville

Van se sentait voguer entre les affres de l'inconscience et la douleur aiguë de l'instant présent. Son esprit torturé était un amas compacté d'images violentes, Dean à la tête éclatée, Elizabeth qui ballottait contre le volant, Alaric face contre terre... Anna. Les yeux dans les yeux, la mort plantée dans son crâne. Il ne savait plus combien de fois ses souvenirs l'avaient martelé. Il avait mal au cœur, mal au ventre, sa peau lui brûlait, sa gorge était sèche et sa respiration sifflait. Il ne s'était jamais senti si faible. On n'avait même pas pris la peine de lui repasser les menottes. Sans ses runes, il n'était plus qu'un banal humain dépourvu de force, un sac de viande inutile. Fragile. Dépenaillé. Il se sentait minable. Il était presque reconnaissant que Kadvael ne le voit pas ainsi. « M'étonnerait que ton vampire veuille encore de toi avec une gueule cassée comme ça. » Van déglutit difficilement. Il avait si soif qu'il n'avait plus de salive, si mal qu'il espérait mourir vite. Est-ce que les Éveillés comptaient le laisser agonir ? C'était si lent. Interminable. Soudain, la porte s'ouvrit dans le noir et, recroquevillé sur le sol, il vit paraître une silhouette dans l'encadrement. Espérant qu'il s'agissait de la mort elle-même, le jeune homme ferma les yeux et laissa l'obscurité l'engourdir. Un choc douloureux lui tapa la poitrine et expulsa l'air hors de ses poumons.

— Ne dors pas.

Il rouvrit les yeux et tourna lentement la tête. Willbanks, debout devant lui. Le chef déposa un plateau au sol, juste sous son nez et une odeur de nourriture chaude vint chatouiller ses narines. Des raviolis. Van se redressa un peu, comme un animal acculé et posa ses yeux larges sur le bol. Son corps tremblait. Il vit alors une petite bouteille d'eau, tendit la main pour s'en emparer mais se contenta de taper dedans et de la faire tomber. Contrôler ses membres était plus difficile que prévu. Il ramassa la bouteille d'une main flageolante, l'ouvrit et se mit à boire, boire et boire encore, sentant l'eau passer dans sa gorge et couler le long des commissures de ses lèvres. Soudain, un choc violent frappa la bouteille, l'eau lui explosa au visage, le récipient tomba au sol et roula par terre en se vidant sur le béton froid. Le cœur de Van avait fait une embardée, il comprit que Willbanks avait mis un coup de pied dans sa bouteille et lui jeta un regard large d'incompréhension.

— T'es long, lui dit-il. Mange, dépêche.

Lentement, Van se rassit. De l'eau coulait dans ses cheveux et sur sa figure. Ce sentiment de bassesse et d'impuissance, il le connaissait. Cette cuisante humiliation, cette impression d'être misérable, constamment en danger, il la connaissait. Il pensait s'en être sorti, il avait bêtement cru que s'entrainer d'arracher pied et devenir le meilleur lui rendrait sa liberté, mais voilà qu'il se retrouvait dans une geôle, à la merci de son bourreau, sans vêtement et sans ses runes. À quoi servaient tous ces entrainements, à présent ? Il prit le bol. On ne lui avait pas mis de couvert, si bien qu'il dut manger avec les mains, enfoncer ses doigts dans cette tambouille chaude pleine de sauce tomate. Le goût était fade, peut-être était-ce empoisonné ? Quelle importance ?

— Toi et moi on peut encore négocier, lui dit Willbanks. Tu veux sortir d'ici vivant ?

Van cessa de manger et leva le regard sur son chef, debout devant lui.

— Je veux des infos sur Solvmorläs. Comment il fonctionne, qui sont ses proches, qui sont ses gardes, je veux des noms, des lieux, des horaires. Tout.

Van le toisa, assis par terre comme une bête, avec son boxer comme unique barrage à sa nudité. Il avala une bouchée de raviolis puis, sans répondre, replongea sa main souillée dans le bol et en enfourna une nouvelle. La colère de Willbanks piqua une pointe et il assena un violent coup de pied dans le récipient, qui lui fut arraché des mains et explosa contre le mur dans un bruyant éclat de verres. La nourriture avait littéralement éclaté contre le béton et formait une large tache rouge. Van demeura inerte, le cœur battant. Il fixait ses doigts sales.

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