En seulement quelques instants, j'avais perdu mes repères, et ma maison. Je vis ces gens qui venaient de fuir leur maisons, tenter de retrouver leurs amis, ou encore des membres de leurs familles. Les enfants tremblaient de froid blottis contre leurs parents et les jeunes qui n'avaient pas voulu prendre les armes pour faire parti des gangs étaient assis dans un coin.
Dès le lendemain, nous avions quitté la place public. Ma mère avait une amie habitant à Carrefour et qui avait bien voulu nous garder chez elle pendant un moment. Jacques, Ginette et leur bébé, allaient logés dans un hôtel, le temps de préparer leurs départ pour les USA.
Jacques était un diaspora*, le pauvre homme venu chercher sa petite famille, voulait du même coup passer un peu de temps dans son pays natal. Mais à la place des vacances qu'il espèrait, lui et sa famille avaient frôlé la mort.
Lorsqu'on arriva dans un endroit plus calme, ma mère héla un taxi dans lequel on monta. Madame Ginette était avec son bébé sur le siège passager, son mari était à côté de nous, ma mère gardait l'une Ana sur ces genoux, Anaëlle était sur les miennes et Jonas qui était au millieu de nous, tenait le sac sur lui.
— Gad on peyi mesye!! Pou nèg ki sou pouvwa sa yo kite moun ap mouri konsa, yo pa fè anyen?! E byen se lè tout moun finn mouri, yap fè yon jan?! ( Messieurs quel pays!! Cela veut dire que ces mecs qui sont au pouvoir, laisse les gens mourir ainsi sans rien faire?! Ils attendent que tout le monde meurent avant de trouver une solution)?! Pesta le chauffeur en amorçant un virage
— Se konsa peyi sa vinn ye wi frèm, sa ki pi rèd lan se sèl ti pèp la kap soufri. Mézi moun ki reskonsab yo pa nan peyi a. (C'est ça que notre pays est devenu oui mon frère. Le plus dur, c'est que seul le peuple souffre, la majorité des responsables ont quitté le pays.) S'enquit ma mère pour confirmer les dires du chauffeur
— Antouka, si nèg yo pa fè yon jan, pap rete ti jèn nan peyi sa ankò. (Dans tous les cas, si ces hommes ne trouvent pas un moyen, il ne restera plus aucun jeune dans ce pays.) S'enquit cette fois madame Ginette en berçant son bébé
Loin de l'agitation, c'était comme un monde parallèle; les marchands ambulants et les autres vendaient leur produits, les gens marchaient comme si de rien n'était, certains parents tenaient leurs enfants par la main les emmenants sûrement à l'école.
Dire qu'il ne suffisait d'un seul instant pour briser cette paix superficielle
Je fixais l'extérieur, le visage neutre. Je savais que cette quiétude n'était que d'apparence, à l'intérieur d'eux, ces gens avaient peur. Ils faisaient semblant de vivre, afin de survivre. Nous vivons tous dans un cercle vicieux, nous avions peur de la mort, mais nous avions surtout peur de la vie.
— Dodo, men non makomè, kenbe sa nan menw. Ou pa janm konnen ( Dodo, prends ça ma comère. On ne sait jamis.) Dit Jacques en tendant une enveloppe à ma mère
— Oh ou pat bezwen fè sa non monkonpè, kijan wap fè ak fanmi paw la? ( Oh! Tu n'avais pas besoin de faire ça mon compère, comment va tu faire avec ta famille?) Répondit-elle émue
— Lèm te konn ap domi tou grangou, se ou ki te konn bagay poum manje wi dodo. Epi pwoblèm peyi a se pou tout moun li ye oui. ( Quand j'avais l'habitude de dormir le ventre vide, c'est toi qui me donnait a manger oui Dodo. Et puis, les problèmes du pays sont pour tout le monde)
Ma mère lui fit un léger sourire pour le remercier, elle restait forte, mais je savais que ce que Jacques venait de lui donner, l'avait soulagé d'un poids. Quelques mètres plus loin, on descendit du taxi, et après des derniers câlins et un échange de numéros, on laissa partir la voiture, pour nous mettre en route vers le nouvel endroit où nous allions habité.
Une dizaine de minutes plus loin, l'amie de ma mère, Claudette, nous attendait en cours de route, avec un grand sourire.
— Mesi Jezi!! Oh!! Mezanmi, Dodo, timoun?! Pou kouri mwen tande qui te genyen yè, nou tout anfòm, nou pa blese? ( Merci Jesus!! Oh!!Mes amis, Dodo, les enfants. J'ai entendu dire que beaucoup de personnes avaient dû fuir hier. Vous allez tous bien? Vius n'êtes pas blessés? ) Demanda-t-elle précipitamment en nous analysant sous toutes les coutures, alors que nous étions en plein milieu du trottoir
Claudette se fichait totalement des regards autour de nous, de taille moyenne, plutôt mince, belle et energique, elle était à peine plus grande que moi, sa bouille d'ange et légèrement enfantine me faisait souvent rire. Elle était exactement comme ma mère, beaucoup trop bonne pour cette terre...
— Bondye fè nou gras, tout moun anfòm wi Claudette. Men ou konnen Léa yon ti jan frajil... Mwen pa gen mo poum eksplikew ou nou wè non. (Dieu nous a fait grâce, tout le monde va bien Claudette. Mais tu sais que Léa est un peu fragile.... je n'ai pas de mot pour t'expliquer ce que nous avons vu. )
— Ann pa rete nan mitan lari a, nap rive lakay la, banm edew pote. ( Ne restons pas dans la rue, allons chez moi. Laisse moi t'aider avec ça.) Dit-elle en attrapant le sac que ma mère portait
Le sourire aux lèvres et notre sac sur le dos, elle nous conduit chez elle, où un repas copieux et un jus d'orange nous entendaient. Elle s'évertuait à nous faire rire, en donnant des blagues à dormir debout. Mais je devais l'admettre, c'était plus son visage heureux qui me faisait rire. Le reste de la journée se passa calmement, ma mère avait eu le temps de discuter avec ma tante, sur mon téléphone que j'avais eu le temps d'emmener avec moi. Il s'était avéré que monsieur Jacques avait donné une somme de 20 000 gourdes* à ma mère soit une somme de quatre milles dollars HT. 20 000 gourdes de plus, que ce que ma mère avait pû mettre de côté en cas de problème.
Claudette nous donna une chambre pour dormir, c'était tout ce qu'elle pouvait faire, puisqu'elle n'en possédait pas plus. Elle était même prête à dormir dans le salon, pous donner la sienne.
Comment pouvait-on ne pas aimer une femme comme elle?
La semaine qui suivit, ma mère planifiant d'aller faire nos passeports, Claudette avait un contact, un bon ami, qui lui devait un gros service, il pouvait nous faire passez très vite, et on pourrait obtenir les papiers plus rapidement.
Dans ce pays lorsqu'on réglait ce genre de chose, il fallait avoir une quelconque personne qui travaillait dans les bureaux de l'état, famille ou amis. Mais dans le cas contraire, il y avait une personne dans la rue qui était en contact avec ceux à l'intérieur. Ces personnes à l'extérieur étaient appelés "Raketè" (ça se prononce Raquétè).
Le services était plus rapide si on payait plus d'argent, les gens qui payaient, obtenaient leurs dossiers beaucoup plus vite aussi, pour ceux qui faisaient les passeports ou autre, ces gens là étaient considéré comme des VIP.
C'est ainsi que fonctionnait les bureaux de l'état de nos jours.
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Diaspora: Dispersion (d'une communauté) à travers le monde ; la population ainsi dispersée.
Gourdes: Monnaie haïtienne
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𝕮𝖆𝖕𝖙𝖎𝖛𝖊 𝕯𝖚 𝕮𝖍𝖆𝖔𝖘 (𝚒𝚗𝚜𝚙𝚒𝚛𝚎́ 𝚍𝚎 𝚏𝚊𝚒𝚝𝚜 𝚛𝚎́𝚎𝚕𝚜)
Non-FictionSi selon le proverbe : les murs ont des oreilles, la particularité ici est que ces oreilles-là ont des armes. Nous vivons sur le qui-vive, chaque geste est compté. Chaque millième de secondes est calculée. Chaque erreur est fatale et chaque mot...