- Tout le monde est prêt ? demanda Simon à ses amis.
La bande des cinq était alignée devant la boite à offrandes.
- Let's go ! cria Aymeric avec enthousiasme.
Ils lancèrent chacun une pièce de cinq yens en direction de la boîte en bois. Elles ricochèrent sur les lattes parallèles puis rejoignirent les autres pièces. Simon attrapa le cordon qui pendait devant lui et fit résonné le suzu, la cloche géante.
Les cinq jeunes hommes s'inclinèrent deux fois, frappèrent ensuite deux fois dans les mains, puis s'inclinèrent une fois de plus. Ils firent leur vœu, gardant les mains collées dans la position gasshō. "Veillez sur mes proches et aidez-les à trouver la paix", souhaitèrent-ils à l'unisson, au fond de leur cœur.
Simon sentit des picotements au niveau de son poignet. Une boule de chaleur gagna sa main, son bras, son corps en entier et s'étendit autour de lui. "Ca recommence", pensa-t-il. Lorsqu'il ouvrit les yeux, ses amis étaient toujours présents à ses côtés. A leur tour, ils rouvrirent leurs yeux et remarquèrent que quelque chose avait changé. L'air ambiant était parsemé de nuages de brume bleue nacrée et les clients de la boutique avaient disparu.
- C'est moi où c'est devenu étonnamment coloré par ici ? s'inquiéta Alex.
- Il s'est passé exactement la même chose dans le bar, confirma Aymeric. Par contre, l'air était plutôt orangé, et non bleuté.
Ils entendirent des bruits venant du chemin en pierre. Des bruits de pas. Ce n'était pas aussi lourd et lent que des pas d'humain. Non, c'était plus rapide. Plus saccadé. Plus léger. Un animal bondit et atterrit sur le toit sombre du sanctuaire. Surpris, la bande des cinq recula de quelques pas. Au-dessus d'eux, un renard blanc, identique aux représentations présentes un peu partout à Fushimi Inari Taisha. Se pourrait-il que la divinité Inari elle-même se soit présentée à eux ?
Simon s'inclina devant le kitsune, puis ses amis l'imitèrent.
- Pourquoi m'avez-vous appelé ?
La voix de Inari résonnait directement dans la tête de chacun de la bande. Jérémie saisit la main d'Esteban tandis qu'Alex et Aymeric se tournèrent vers Simon.
- Excusez-nous, Inari, mais nous ne vous avons pas appelé, je crois. Nous avons simplement fait une offrande, et ensuite un vœu pour protéger nos proches.
- J'ai entendu l'appel. J'ai perçu votre désir commun et l'amour entre vous C'est grâce à cela que ton bracelet a pu m'appeler.
- Mon bracelet ? répéta Simon, plus pour lui que pour les autres.
Il observa son poignet et remarqua directement que quelque chose avait changé. Un comptage rapide lui confirma ses soupçons : il ne restait plus que treize billes bleues et nacrées.
- Tu as compris, je vois, dit Inari. Cinq billes pour cinq personnes. C'est pour cela que vous vous tenez tous devant moi. Je constate que ce qu'on raconte est donc vrai.
- Que raconte-t-on ? interrogea Simon.
- Qu'un humain étranger à notre contrée s'éveille et participera à la cérémonie. Intéressant.
Aymeric fit un pas en avant.
- Ca suffit avec vos réponses floues et vos messages codés, s'emporta-t-il. Ca vous plait tant que ça de vous moquer de notre ami ? Depuis qu'on est arrivé, il ne cesse de se passer des événements étranges, et personne ne lui fournit le moindre indice. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il y aura une prétendue cérémonie à Kamakura, et ce moment approche à grands pas. Simon n'est pas une créature surnaturelle comme vous. C'est un humain. Un simple humain, bon dieu !
Inari scruta Aymeric. Ses babines se retroussèrent légèrement. Une grimace ? Un sourire ?
- Une belle confirmation de votre amour les uns pour les autres, répondit la divinité.
Inari sauta du toit du sanctuaire et atterrit juste devant la bande des cinq, qui recula d'un pas de plus vers les marches. Le dieu s'assit, leur indiquant qu'il était disposé à répondre à quelques questions.
- Pourquoi apparaissez-vous devant nous tous ? demanda Esteban.
- Le bracelet que porte Simon provient de mon sanctuaire. Contrairement à ce que pensent les visiteurs, cet objet a de réels pouvoirs, pour ceux qui savent l'utiliser. Tu t'es senti attiré par ce bracelet, est-ce exact ?
Simon confirma cela d'un hochement de tête.
- Il t'attendait. Chaque bille correspond à un désir que tu souhaites voir réaliser. Sans doute que la prière alliée à la conversation que vous avez eue ensemble, mais aussi avec ton ami juste avant, a permis de me rendre visible à vous tous.
- Une bille par personne, donc, murmura Simon en faisant tourner les billes autour de son poignet. Si je comprends bien, j'ai donc encore droit à treize souhaits ?
- Le mot "souhait" est un peu fort, mais c'est l'idée. Sache cependant que certains désirs demandent plus d'énergie que d'autres, et coûtent donc plus cher. Je sais que d'autres t'ont déjà offert des cadeaux. Considère cela comme le mien.
- Pourquoi m'offrez-vous des "cadeaux", comme vous dites ? Est-ce pour me protéger d'une menace ?
- Malheureusement, même pour une divinité comme moi, l'avenir reste encore trop flou. Dis-toi plutôt que ces cadeaux t'aideront à te comprendre et à te réaliser.
- Mais je ne suis pas un être surnaturel, s'écria Simon !
- Tu sais, le folklore japonais est rempli de créatures surnaturelles de toutes sortes. Outre les divinités, il y a des créatures nées surnaturelles, mais aussi d'autres qui le deviennent. Il peut s'agir d'objets, d'animaux et, dans de très rares cas, d'humains comme toi. Il y a cette force en toi, Simon. Cette étincelle qui est perçue par tous les êtres à la ronde. Il ne tient qu'à toi de la faire grandir. Dans la tradition shinto, tout être vivant possède une âme. Cette âme est fragmentée en quatre et définira chaque être dans son essence. Lorsque les quatre âmes sont équilibrées, elles donnent accès à son "vrai moi", qu'on appelle nahohi mitama, l'esprit du soleil droit. Il s'agit du kami intérieur, l'esprit-enfant du kami créateur de l'univers. J'ai conscience que tout ce que je te raconte n'est sans doute pas très cohérent pour toi. Pour une raison qui nous échappe, tu pourrais avoir accès à ton kami intérieur. Ce faisant, cela ferait de toi un être surnaturel au même titre que nous, mais nul ne sait comment y parvenir ni ce dont tu seras capable. C'est à toi à trouver ta voie.
Simon restait immobile, sonné par la quantité d'informations qu'il venait de recevoir.
- Comment peut-on l'aider ? demanda Jérémie qui tenait toujours la main d'Esteban, sans s'en rendre compte.
- Comme vous le faites déjà. Simon a peut-être la capacité d'utiliser les billes de son bracelet pour réaliser certains prodiges, mais vous aussi, vous possédez vos propres ressources.
Chacun de la bande était perdu dans ses pensées suite au message délivré par la divinité. Ils recevaient enfin des réponses claires à leurs questions, mais ils se sentaient encore plus perdus qu'avant.
- Nous nous reverrons, Simon. Je serai présent lors de la cérémonie. Je suis curieux de voir comment tu auras évolué d'ici là.
Simon, puis les quatre amis, s'inclinèrent devant Inari. Le kitsune se retourna et fila sur le chemin de pierre, disparaissant rapidement entre les autels. La brume bleue nacrée s'évapora, le soleil reprit son intensité et le bruit des badauds revint aux oreilles des jeunes hommes. Ils restèrent immobiles, en silence, décontenancés par cette rencontre avec le dieu.
Une personne se racla la gorge derrière eux.
- Excuse me. Do you want to pray ? demanda une jeune femme japonaise à l'adresse du groupe.
- Non, excusez-nous, vous pouvez y aller, répondit Simon en japonais.
Elle le remercia d'un signe de tête et se planta devant la boîte à offrandes. La bande des cinq tourna les talons et descendit les marches jusqu'à la boutique de souvenirs.
- Vous me croyez, à présent ? demanda Simon, sur la plaisanterie.
- Tu n'imagines même pas... répondit Alex.
- Bon, laissons ça de côté pour le moment. J'ai la tête comme un seau, fit Aymeric. Cette histoire d'âme coupée en quatre et de kami intérieur, c'est du chinois pour moi. Enfin du japonais ! Ca vous va si on redescend à l'aise et qu'on part rejoindre les filles à Kyoto ?
Ils marquèrent tous leur accord et reprirent la route, en descendant cette fois. Le tunnel de torii continuait là aussi. Vu le peu de visiteurs qui se rendait jusqu'au sommet du sanctuaire, cela permit à la bande de prendre le temps d'admirer les portes couleur vermillon, de prendre quelques photos souvenirs et d'enregistrer une vidéo du passage de portes à travers ces dizaines de torii qui se succédaient. Ils restèrent ensemble, soudés, s'attendant les uns les autres si un membre du groupe ralentissait pour un cliché ou pour boire une gorgée d'eau. Le parcours différait de celui à l'aller, ce qui leur permit de profiter un peu plus de ce lieu emprunt de respect et de beauté.
Alors que la nature laissait doucement sa place aux bâtisses, et que des maisons apparaissaient à l'horizon, les cinq amis longèrent un shamusho. L'attention de Simon fut attiré par un chat blanc dont la tête était de couleur noire et qui se tenait juste à côté d'omikuji. Contrairement à ceux achetés précédemment, ceux-ci étaient cachés au cœur d'une statuette en forme de kitsune blanc. Le client pourrait ainsi se procurer une prédiction, mais aussi garder l'effigie en guise de souvenir.
- Attendez-moi, j'arrive, lança Simon à la ronde.
Les quatre amis attendirent sur le chemin tandis que Simon s'écarta, et s'approcha du bureau du sanctuaire. Le chat tourna la tête vers lui, le regarda dans les yeux, fit "nyâ" puis pointa le museau vers une des statuettes. Simon la choisit elle, sortit 500¥ de son portefeuille et paya l'employée. Il fit un pas de côté, retourna l'objet et retira la prédiction. Sue-kichi, lut-il. Chance future. Le message avait changé. Était-ce grâce à la rencontre avec Inari et aux informations qu'il avait reçues ? Si ça se trouve, cela n'avait rien à voir, mais c'était grâce à ce chat. En se mettant à l'écoute des signes, en observant ce qui l'entoure et les personnes autour de lui, peut-être parviendra-t-il à trouver le fin mot de cette histoire abracadabrante et à se libérer de tout ça.
Il replia la prédiction, qu'il replaça dans la statuette. Il remercia le chat d'une caresse sur le front puis il rejoignit la bande en rangeant l'objet dans sa sacoche.
Ils arrivèrent à l'immense place tout en bas du sanctuaire. La foule avait bien grossi, si bien que c'était la cohue. Ils passèrent par la grande boutique générale et firent quelques achats. Alex trouva un porte-clé en forme de chat duquel pendait des câbles USB, micro-USB, lightning et USB-C. "Super pratique", avait-il dit en faisant la découverte dans le magasin. Ses amis ne comprirent pas trop en quoi ça pouvait être super pratique, mais il semblait content de l'achat.
Ils arrivèrent dans la rue entre les deux torii qui était bordée de multiples échoppes.
- Ca vous va si on se prend un truc à bouffer ici ? demande Esteban. Je commence à avoir faim.
- Avec tout ce que tu as mangé ce matin, tu as déjà faim ? s'étonna Jérémie.
- Ben oui, c'est que ça creuse, toute cette histoire ! Quelqu'un veut goûter à ces petits gâteaux ?
- Non, hors de question, fit Aymeric. J'ai prévenu Fanny qu'on se mettait en route. Elle m'a donné le lieu de rendez-vous, et m'a dit de ne pas manger avant de s'y rendre. Désolé, mais tu vas devoir un peu patienter.
- Pfff, j'ai trop la dalle, moi.
Esteban avait beau se plaindre, il fut obligé de suivre le groupe sans pouvoir acheter quoi que ce soit. En marchant vers la gare, il fouillait dans son sac à dos.
- Il me semble que j'avais acheté des crackers à la gare moi, marmonnait-il.
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Rêve de Kamakura
RomanceSimon rêve du Japon depuis qu'il est enfant. Après de nombreuses années de patience, le rêve devient réalité : il débarque à Narita avec sa bande d'amis et ils prennent tous le train direction Tokyo. Chaque moment est fait de découvertes, et partage...