I. Le Miroir Brisé

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Prologue : Miroir des Âmes

Les lumières des néons clignotaient au-dessus de sa tête, projetant des ombres mouvantes contre les murs blancs de la salle d'attente. Onyx fixait son reflet dans la vitre sale de la fenêtre, cherchant une reconnaissance dans les yeux gris qui le dévisageaient. Mais ce qu'il voyait n'était qu'un puzzle mal assemblé, un visage morcelé par les fissures invisibles de sa conscience.

"Tu crois vraiment qu'ils vont pouvoir t'aider ?"

La voix douce, presque sarcastique, résonnait dans son esprit. Il soupira. La Vérité de la Liberté, comme elle se faisait appeler, avait toujours un commentaire à faire, surtout dans les moments de doute. Il détourna le regard du reflet, luttant pour ignorer le brouhaha des pensées contradictoires qui se bousculaient dans sa tête.

Aujourd'hui était un jour comme les autres pour lui, un combat silencieux contre les fragments de lui-même. Mais quelque chose, au fond de lui, pressentait que tout allait changer. Peut-être pour le pire.

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Onyx Leroy, 21 ans, étudiant en biochimie et psychologie, était assis dans le bureau de son nouveau thérapeute. Le silence entre eux était lourd, uniquement perturbé par le tic-tac régulier de l'horloge sur le mur. Le docteur Reinhart, un homme d'une cinquantaine d'années, aux lunettes rectangulaires et aux cheveux poivre et sel, l'observait avec une bienveillance feinte.

"Alors, Onyx... pourquoi es-tu ici ?" demanda finalement Reinhart d'une voix posée.

Onyx resta silencieux un instant. Comment expliquer ce chaos intérieur à quelqu'un qui ne l'avait jamais vécu ? Comment traduire en mots les voix qui se disputaient le contrôle de son esprit à chaque instant ? Mais il savait qu'il devait parler, ne serait-ce que pour faire semblant de chercher de l'aide.

"Il y a... trop de moi-même en moi," murmura-t-il enfin, le regard perdu dans le vide.

Reinhart leva un sourcil. "Trop de toi-même ? Peux-tu préciser ?"

Onyx inspira profondément. "Je ne suis jamais seul dans ma tête. Il y a moi, bien sûr. Mais il y a aussi... eux. Ils ont des noms, des visages, des personnalités. Parfois, ils prennent le contrôle. Parfois, je les laisse faire. C'est comme vivre avec des colocataires qui veulent tous diriger ta vie."

Reinhart nota quelque chose dans son carnet avant de lever les yeux. "Et ces... colocataires, comment les appelles-tu ?"

Onyx hésita, puis commença à énumérer les noms qu'il connaissait trop bien : "La Vérité de l'Amour, la Justice, la Liberté, la Manipulation, l'Obsession... et la Destruction."

Reinhart prit un moment pour assimiler ces mots. "Et ces vérités... sont-elles toujours en accord entre elles ?"

Un ricanement nerveux s'échappa des lèvres d'Onyx. "Si c'était le cas, je ne serais pas là, docteur."

La séance se poursuivit, alternant entre des moments de lucidité et des éclats de confusion. À mesure qu'il parlait, Onyx sentait les autres en lui s'agiter. Chacune de ces personnalités voulait son tour de parole, voulait se faire entendre. Mais il devait les maintenir en arrière-plan. Pas ici. Pas maintenant.

La journée continua ainsi, avec Onyx luttant pour garder le contrôle. Mais dans l'ombre de son esprit, "La Vérité de la Destruction" s'éveillait lentement, préparant son entrée. Elle savait que son moment viendrait bientôt. Un sourire carnassier, invisible à tous sauf à Onyx, se formait déjà dans les recoins les plus sombres de son esprit.

La session avec le Dr Reinhart s'était terminée, mais les répercussions résonnaient encore dans l'esprit d'Onyx. Il traversa le campus sous un ciel gris, les mains enfoncées dans les poches de sa veste. Chaque pas semblait alourdir son corps alors que ses pensées se divisaient entre les différentes voix qui résonnaient en lui.

« Tu aurais dû lui en dire plus. Il ne comprendra rien à notre situation si tu caches tout. » La Vérité de la Justice parlait toujours avec une certaine autorité, un ton sec, presque militaire.

Onyx serra les poings, frustré. "Je ne peux pas tout dévoiler d'un coup. Il pourrait mal interpréter les choses", murmura-t-il à lui-même, attirant les regards curieux des étudiants qu'il croisait.

« Oh, comme si un thérapeute quelconque pouvait vraiment saisir la complexité de notre génie ! » La Vérité de la Manipulation s'infiltrait avec son sourire rusé. « Pourquoi ne pas le mener là où on veut qu'il aille ? Fais-lui croire ce qu'il veut entendre. »

"Pas question", répondit Onyx à voix basse, essayant de garder la conversation dans sa tête. "Je suis ici pour trouver de l'aide, pas pour jouer à des jeux de manipulation."

La Vérité de la Liberté éclata de rire, éclat qui vibra comme une douce mélodie dans son esprit. « Pourquoi te prendre la tête avec tout ça, Onyx ? Libère-toi de ces chaînes ! Va courir, va explorer, laisse tomber ces séances ennuyeuses ! »

Onyx sentit une envie irrésistible de s'éloigner de tout, de se perdre quelque part où personne ne pourrait le trouver. Mais il savait que s'il cédait à cette impulsion, il risquait de sombrer davantage dans le chaos. Et au fond, c'était justement ce que la Destruction attendait.

Il s'arrêta au bord d'une petite fontaine, observant les ondulations de l'eau sous la brise légère. Le visage d'une jeune femme lui revint en mémoire. Rhode. Elle était l'une des rares personnes à vraiment l'accepter, même sans tout comprendre. Avec elle, il se sentait parfois presque normal, comme s'il n'était pas un champ de bataille ambulant.

Mais même cette pensée apporta une nouvelle vague de doutes. « Tu devrais rester loin d'elle. » La Vérité de l'Amour prit la parole, sa voix douce mais inquiète. « Si elle découvre tout ce que nous cachons, elle pourrait s'éloigner. Ou pire... se blesser. »

Ces paroles résonnèrent avec une vérité douloureuse. Onyx ne pouvait se permettre de mettre ceux qu'il aimait en danger. Mais comment les protéger s'il ne se maîtrisait même pas lui-même ?

Un léger tremblement parcourut son corps alors qu'il sentit une présence plus sombre s'approcher, menaçante, à l'intérieur de lui. La Vérité de la Destruction était là, tapie, attendant le moment idéal pour surgir. « Pourquoi résister ? Tu sais très bien que c'est inévitable. Laisse-moi prendre le contrôle... juste un instant. Un seul instant de liberté pour tout détruire, tout réduire en cendres. Tu te sentiras tellement mieux après. »

Onyx ferma les yeux, luttant contre cette voix. Il n'avait jamais cédé complètement, mais il sentait que son emprise sur la situation s'affaiblissait de jour en jour. La Destruction devenait plus forte, plus insistante. Il devait trouver un moyen de la contenir, avant qu'elle ne prenne tout.

Inspirant profondément, il décida de continuer son chemin jusqu'à son appartement. Se réfugier dans ses études semblait être le seul moyen de rester ancré dans la réalité. La biochimie, la psychologie... ces sciences étaient des îlots de logique dans un océan de confusion. Mais même là, il n'était jamais vraiment seul.

La nuit était tombée lorsqu'il entra enfin chez lui. L'appartement était petit mais fonctionnel. Il alluma une lampe sur son bureau, projetant une lueur chaude qui chassait les ombres dans les coins de la pièce. Sortant ses livres et ses notes, il s'efforça de se plonger dans la théorie des neurotransmetteurs. Peut-être qu'en comprenant comment le cerveau fonctionnait, il trouverait un moyen de réparer ce qui était brisé en lui.

Mais les lignes sur la page se brouillaient. Les mots dansaient devant ses yeux. « A quoi bon ? » siffla la voix de la Destruction. « Ces connaissances ne te sauveront pas. Tu sais que je suis l'inévitable. »

La colère monta en lui, une émotion qu'il ressentait rarement mais qui, lorsqu'elle éclatait, brûlait avec l'intensité d'un feu sauvage. "Tu ne me contrôleras pas", murmura-t-il à voix basse, ses poings serrés.

Il se força à continuer à lire, à écrire, à se concentrer sur la seule chose qu'il pouvait maîtriser : sa propre volonté. Mais au fond de lui, il savait que cette bataille n'était qu'au début. Et il redoutait le jour où sa résistance ne suffirait plus.

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