Chapitre 1 - Pia

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8 juillet 2024. Drôme provençale.

Mon sourire est si large que les muscles de mes joues me font mal. Aucune autre vision sur cette terre ne pourrait me rendre plus heureuse. Le bois vieilli du porche de l'entrée, autour duquel s'agrippent fermement les cordes retenant quelques pots de plantes tombantes. Le ronronnement latent de la pompe de la piscine que j'ai construite avec mes parents il y a quinze ans, se mêlant harmonieusement au chant des cigales. Les volets à peine entrouverts, que maman veille à garder fermés pour nous épargner la chaleur en été. Les odeurs de lavande, de cyprès et de lessive sont les mêmes chaque été depuis vingt-cinq ans, et elles finissent de combler tous mes sens.

J'aperçois alors mes parents, assis sur la balancelle, et je me dirige vers eux d'un pas décidé, les saluant avec le sourire d'une enfant enjouée. Nos retrouvailles pourraient sembler distantes, mais ce contact physique inexistant entre nous est le simple résultat d'une habitude prise il y a longtemps, et de préférences personnelles. Nous nous aimons plus que tout, tous les trois, mais ne sommes ni tactiles, ni démonstratifs de notre affection. La bise, je la réserve aux connaissances et aux amis, et si je peux l'éviter, alors ce n'est pas plus mal. Je leur adresse tout de même un petit coucou de ma main libre, l'autre étant occupée à retenir mes trois gros sacs, qui manquent de s'écraser au sol et de m'emporter dans leur chute.

— Je vois que tu voyages toujours aussi léger ma puce ! me taquine mon père. Tu n'as pas amené ton valet ?

Ses bras sont étalés de part et d'autre sur la partie supérieure du coussin de la balancelle, comme à l'accoutumée. Ma mère esquisse un sourire et lui assène une petite tape sur l'épaule, tandis qu'elle s'occupe de fermer son livre de l'autre main afin de m'accueillir elle aussi.

— Tu veux déjà la faire fuir ? Laisse-lui le temps d'arriver, chéri.

Je ne m'arrête plus de sourire. Décidément, rien ne change jamais ici. Je mesure la chance que j'ai d'avoir des parents qui s'aiment, après plus de trente ans de vie commune. Je sais que ce n'est pas donné à tout le monde.

— Pour répondre à ta question, papa, j'ai laissé le valet dans la voiture. Il me servira de chauffeur cet été, dis-je avec le même ton ironique que celui de mon père.

— Tu fais bien. J'espère que tu as pensé à lui laisser un petit bol d'eau et à entrouvrir les fenêtres, dit-il, tout à coup faussement sérieux.

Je laisse échapper un petit gloussement tout en imaginant cet horrible scénario. Nos échanges partent souvent dans des directions folles et incongrues, ce qui m'amuse énormément.

Ma mère est plus discrète, plus réservée, mais je sais qu'elle est tout aussi heureuse de me revoir. Voilà plus de trois mois que je n'avais pas eu le temps de redescendre dans la Drôme, mes occupations parisiennes ne m'en laissant pas l'occasion si souvent. La route est longue, je suis seule à conduire, n'ayant personne pour m'accompagner lors des retours à la maison.

Si cela fait quatre ans que je vis à Paris, sans compter les trois années de stage et de petits boulots passées à l'étranger, quand je pense à mon "chez-moi", c'est incontestablement ici que mes pensées se dirigent tout naturellement. C'est ici parce que j'y suis née, que j'y ai grandi, et que mes parents sont toujours une grande partie de ma vie. J'aime vivre en ville, la vie fourmillante et pleine d'énergie contraste avec le calme du village dans lequel j'ai vécu jusqu'à ma majorité, mais ces deux ambiances me nourrissent autant l'une que l'autre. A Paris, il y a surtout d'incroyables opportunités en matière de traduction et d'interprétariat, que je ne manquerais pour rien au monde. Mes parents le savent, et m'ont toujours soutenue dans mes études et mes projets, même si cela signifiait qu'ils ne me voyaient que quelques fois par an. Je les aime pour ça aussi, et pour ne m'avoir jamais reproché mes absences, même lorsqu'ils m'attendaient pour un weekend prolongé que j'avais dû annuler au dernier moment.

— Je vais aller nous chercher à boire, s'exclame mon père en se levant.

Je le remercie et m'installe à sa place, à côté de ma mère, en m'essuyant le front du revers de la main. S'il y a bien un inconvénient à vivre ici, c'est certainement la chaleur étouffante à supporter la plupart des jours entre juin et septembre. Mes yeux se ferment, de fatigue à cause du trajet que j'ai enduré - seule, sans le moindre valet ni chauffeur - sous le soleil, et d'apaisement de me sentir si sereine, à la maison, pour deux mois.

— Est-ce que quelqu'un te rejoint dans l'été ? Tu sais, ça ne nous embêterait pas du tout que tu ramènes un garçon à la maison, il serait le bienvenu ici.

Sensation qui s'évapore aussitôt lorsque je prends conscience de la question que vient de me poser ma mère d'un ton désinvolte. Je garde les yeux clos. Mes sourcils se froncent tandis que je soupire, hésitant encore quant à la nature de la réponse que je me dois de formuler.

Je sais que sa tentative d'en savoir plus sur ma vie amoureuse se veut bienveillante. Je le sais mais je ne peux pas m'empêcher d'être agacée par sa remarque, et je m'en veux.

Après tout, c'est moi qui leur avait annoncé que j'avais rencontré quelqu'un il y a quelques mois, et voilà que j'arrive seule sans les avoir tenus au courant de l'évolution de cette relation naissante. Et enterrée dans la foulée, puisqu'apparemment, je n'avais pas pu trouver de place dans le calendrier estival chargé d'Elias, qui avait déjà pris les billets de tous les festivals d'Europe de l'été avant de me rencontrer. Mon œil.

Je m'étais relevée non sans mal de cette pseudo relation, puisqu'elle n'était sérieuse que de mon côté, il faut croire, qui n'avait duré que deux petits mois. Mais, Pia étant Pia, elle s'était donnée corps, cœur et âme dans cette amourette. D'où mon agacement, en fait. Je n'ai pas envie de m'étendre à ce sujet auprès de ma mère. Voilà encore quelque chose que l'on ne fait pas dans ma famille. Je ne parviens pas à raconter mes histoires de cœur à mes parents, malgré leur soutien et leur bonne volonté. Je préfère réserver ces discussions à mes amis proches. En pensant à eux, que je rejoindrai au bar du village dans quelques heures, je souris et trouve le courage de répondre à ma mère sans éluder.

— Je sais, maman. Ce jour arrivera, ne t'en fais pas. Pas tout de suite, par contre, désolée.

Ma mère fait mine de cacher sa déception par un petit sourire, tandis qu'elle attrape la limonade que lui tend mon père, tout juste revenu de la cuisine.

— Je t'ai entendue, Isa ! C'est toi qui essaye de faire fuir notre fille avec tes questions !

J'esquisse un sourire, réconfortée par la boutade lancée par mon père. J'ai hâte de voir ce que ce dernier véritable été à la maison me réserve. Tout en essayant de ne pas me rappeler trop souvent qu'il s'agit peut-être du dernier.

À l'ombre des abricotiersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant