Chapitre deuxième

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ECRINE ASTROLAK

Les pas des chevaux qui martèlent le sol rocailleux résonnent dans toute la cabine. Ça te fait sursauter à chaque gros caillou. Et puis ça grince. Ah ! C'est cela qui t'insupporte le plus. Après un mois dans cette maudite carriole, rembourrée de bois exotiques, de soie parfumée à la lavande et au lys – qui empeste à force de te rentrer dans le nez ! – et de coussins colorés, aux mille nuances de violet, et tu n'en peux plus ! ah ! les voyages sont vraiment longs, désagréables et ennuyeux !

Bien heureusement, le jeu en vaut la chandelle. Tu ne te serais même pas déplacée sinon. Enfin, peut-être pour revoir Sanis, même si votre rivalité pour la main du prince manifeste de plus en plus d'importance. Tu n'oublies pas les vieilles amitiés, voyons !

En regardant par la fenêtre, tu vois ces trentaines de soldats armés jusqu'aux dents, avec leurs armures épaisses aussi sombres que le jais, leurs courtes épées aux reflets argentés, et surtout leurs montures aux flancs larges et puissants. Ils t'ont accompagnée durant tout le voyage dans des conditions bien pires et ils sont impeccables : ils ne se plaignent pas, ils obéissent au doigt et à l'œil et restent serviables et polis. Incroyable. Tu te rappelles maintenant, sans doute, pourquoi tu voulais être garde quand tu étais petite.

Ah ! Mais le plus impressionnant de tous, il est à la tête du cortège ; avec son manteau de cuir noir, qui camoufle une fine cotte de maille, sa longue épée à la poignée incrustée de rubis, ses cheveux bruns hirsutes et pourtant si bien ordonnés, ses yeux aussi sombres que le charbon, son sourire espiègle et sournois, et ses traits souples et fins. Tu l'admires, n'est-ce pas ? Il te rend fier ! Surtout lorsque tu sais qu'il est le seigneur le plus riche du royaume, et qu'il t'a promis le trône si tu agissais comme il faut. Il te rend fier ton père ! Le duc Minos Astrolak !

Vous êtes tous partis du château pour vous rendre à la capitale. Un trop long voyage à ton avis. Mais tu en as profité pour réfléchir sur ta situation : sur ta vie, sur tes parents, sur le royaume, sur le monde et la religion ; sur suffisamment de sujets – à tel point que tu aurais pu consigner dans une encyclopédie les moindres pensées qui te sont venues. Tant de choses sont à refaire, à questionner, à créer ! La réflexion la plus récurrente qui t'a saisie, c'est qu'il faudrait inventer une machine pour voyager plus vite dans le pays. Ou bien ! croiser des espèces de chevaux qui avanceraient plus vite, qui fatigueraient plus lentement, qui te transporteraient de chez toi à la capitale en un temps record ! Bien moins qu'actuellement en fait.

Mais, au fil des arbres, des champs et des villages qui passent, tu as pu ressentir que la distance réduisait. En réalité, la capitale s'assimile un peu à une gigantesque ruche. Plus on s'en approche, plus les routes s'élargissent, et les rencontres se multiplient. Jamais au monde tu n'aurais cru te confronter à de telles masses d'agriculteurs, de marchands, de campagnards, et de voyageurs ! Tous tirant, trépignant, se ruant avec peine ou excitation vers la maison des merveilles, vers cette grande capitale qui pourrait, à en croire les racontars que tous ces voyageurs s'échangent, accueillir tous les mondes de l'univers. Le paysage lui-même semble couler vers cette sorte de grande cuvette, dans laquelle viennent s'agglutiner tout ce que peuvent rejeter les routes. Les montagnes s'adoucissent, se muent en valons, avant que les valons ne glissent vers des plaines, et que les plaines ne laissent place aux étendues infinies de blé ou de chênes.

Enfin tu arrives à cette maudite capitale. Vous longez les murailles et arrivez devant les Portes du Roi. Voir ton père franchir ces deux immenses battants, et cette muraille aussi vieille que le monde, ça te fait ressentir un incroyable sentiment de vie.

Un brouhaha soudain surgit alors et te martèle les tympans. Les cris, les chevaux, les enfants, les chopes, les rires et les forges. Un monde se présente à toi. Sur les bords d'une large avenue s'entassent ci et là des bâtiments de pierre ou de bois, aux toits bleus ou rouges, aux murs verdis ou jaunis, d'un étage à trois. Et en-dedans s'affolent tout un tas de gens, du tavernier pressé au forgeron en colère, en passant par la femme de ménage qui râle. Les chats, les chiens, les enfants se poursuivent dans une cacophonie radieuse. L'ivrogne déjà ivre serre la main d'un garde ennuyé, et tous plaisantent et se chahutent. Les marchands hurlent à tue-tête aux passants indifférents : « venez acheter mes pommes ! », « venez voir mes bijoux ! », « jetez un coup d'œil à mes furets ! ». Un brasseur passe devant le cortège, armé d'un tonneau rempli de bière. Puis c'est au tour d'une bibliothécaire et de son apprenti, les bras chargés de livres.

La Fosse aux Lions [abandonné]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant