Les cendres de ce monde

TROISIÈME PARTIE : ECLIPSE

Chapitre I

Je n'ai pas peur de mourir, j'ai peur de ne pas avoir assez vécu.

(MR NOBODY)

Ces cinq années s'étaient écoulées comme dans un rêve.

Juliette n'avait jamais cessé de la chercher. Elle avait écumé le web, les commissariats, les avis de recherche, les avis de décès, les personnes non identifiées... En vain. Au début, Charlie était un peu stressée à cette idée, même si elle était certaine d'avoir correctement effacé ses traces. Elle ne voulait pas non plus que Juliette se perde dans une recherche sans fin qui n'aboutirait à rien, et qu'elle ne s'en lasse pas. Finalement, elle décida de profiter de cette lubie pour mettre son plan à exécution.

Profitant d'une journée où Juliette était à Amsterdam, elle lui envoya une première piste. Juliette mordit tellement fort à l'hameçon que Charlie en fut impressionnée. À partir de là, son amie devint presque obsédée par les signes, et cru en voir plus d'une fois. Charlie décida de se montrer prudente et de les éparpiller avec soin, mais de manière puissante, pour guider Juliette jusqu'à elle.

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En premier lieu, Charlie avait suivi Malory. Elle culpabilisait de l'avoir abandonné avec ses chiffres comme seuls repères. À l'instant où il l'avait embrassée, elle avait compris que ce qu'il ressentait pour elle était bien plus fort que ce qu'elle avait imaginé pendant tout ce temps. Elle ne s'en était que davantage voulu.

Au début, Malory avait l'air de tenir le coup. Il ne sortait plus le soir et passait la majorité de son temps à lire des livres mais il s'était inscrit à sciences po et à la fac, comme prévu, et avait commencé à travailler comme un fou. Puis il y avait eu des indices qui lui avaient fait comprendre qu'il n'allait pas si bien que ça. À partir du mois de novembre, il avait commencé à se lever de plus en plus tôt. Il partait courir à cinq heures du matin, puis revenait au bout d'une heure et mettait un certain temps avant de rentrer chez lui, comptant et recomptant les fleurs que sa mère faisait pousser sur son balcon. Il prenait un café, puis une tartine, puis un café, puis une tartine. Trois cafés, trois tartines. C'était dingue. Il allait à ses cours, mais pas avant d'avoir vérifié le nombre de lumière qui avaient été allumées dans la maison, ou quelque chose comme ça. Si ça n'allait pas, il en allumait une en plus, et partait en laissant tout en plan. Le soir, il repartait courir et recommençait ses rituels, remplaçant le café par du jus d'orange. Il ne mangeait que des aliments de couleur. Il comptait tout ce qu'il mangeait, et si ça n'allait pas, il jetait.

Charlie savait que Malory avait des troubles obsessionnels, mais elle ne savait pas que c'était devenu si pathologique. À moins que ça n'ait empiré après son départ, elle commençait à se le demander. Et sa culpabilité revenait de plus belle.

Parfois, elle allait passer une soirée chez Antoine ou chez Juliette, parce que Malory avait commencé à les voir de moins en moins souvent. Là aussi elle avait cerné des différences dans leurs comportements. Le plus flagrant, c'était la manière dont ils s'étaient peu à peu éloignés et renfermés sur eux–mêmes.

À la fin de l'année, Juliette, qui était parti étudier à Aix–en–Provence, avait participé à une fête où elle avait bu plus que de raison. Charlie l'avait vue appeler Antoine en pleurs. Elle espérait que Juliette ne se rappellerait jamais de sa réaction. Il s'était moquée d'elle. Il s'était montré si méprisant que Charlie en avait frissonné – de dégoût, ou de déception, elle ne savait pas vraiment. Juliette avait raccroché en pleurant de plus belle. Cette scène s'était répétée chaque année. Une fois, elle avait observé la soirée d'Antoine, attendant le coup de téléphone de Juliette. Après l'avoir envoyé balader, elle avait observé Antoine. Il était allé s'enfermer dans les toilettes et s'était mis à pleurer à son tour. Charlie en avait à la fois été soulagée et perplexe.