2 juin 2024, 11h00

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Shiloh a dormi dans la même chambre que Bryan, ce professeur de sport qui n'a cessé de discourir sur Caroline. Il faut lui donner cela, il a trouvé d'innombrables qualités à la brunette. L'enseignant a du vocabulaire, plus qu'il ne le laisse paraître, sûrement habitué de cacher à ses groupes d'adolescents qu'il est cultivé. Sans lui, le musicien aurait passé la nuit à ressasser chaque geste que Dakota a exécuté pour l'ignorer après sa prestation.

Malgré sa bouche qui n'arrête pas, Shiloh a parfois l'impression que Bryan se croit seul. Son sac s'étend déjà aux quatre coins de la chambre, ignorant le concept de bulle personnelle. Ses écouteurs pendent à la patère de Shiloh et ses chaussettes sales gisent sous le lit du chanteur avec sa guitare dont il prend soin comme la prunelle de ses yeux.

Il aimerait lui en tenir rigueur sauf qu'il se souvient de ses années universitaires comme si c'était hier. Pas plus ordonné que le bureau de Bryan, il s'en remettait à l'organisation méticuleuse de Dakota qui détestait le désordre. Son petit ami passait derrière lui, sans critiquer, préférant le voir en plein processus créatif plutôt qu'en état de léthargie chaque fois que le mot ménage était prononcé.

Son monde a bien changé. À présent, classer, organiser et ordonner sont ses mots fétiches. L'action de ranger, et ranger de nouveau si nécessaire, a été sa planche de salut à son retour en France. Naama, sa sœur, croit qu'elle a enfin réussi à le dompter, mais elle a tort. Ce ne sont que des gestes compulsifs pour ne pas penser à quelque chose de plus effrayant.

Après avoir heurté son gros orteil contre un haltère pendant qu'il s'habillait, Shiloh a préféré prendre son petit-déjeuner sur la terrasse, là où il pourrait avoir un peu d'intimité. C'était sans compter sur Dakota qui travaillait au bord de la plage.

Il l'a observé replacer son veston pour que l'échancrure soit parfaite, tapoter sous ses yeux et glisser un doigt nostalgique à l'endroit de son tatouage. Il l'a fait rire avec l'histoire des pets et l'a vu hésiter une seconde quand il a prononcé son propre prénom.

C'est donc avec tout son courage qu'il l'a abordé, dans l'espoir qu'ils pourraient discuter. Quelques mots ont suffi pour saisir qu'il se berçait d'illusions.

Maintenant de retour à l'intérieur, Shiloh s'échine à nettoyer tout ce que ses colocataires ont touché ce matin. Il récolte du même coup, quelques regards circonspects. À ce stade, il se fout de ce que les autres pensent. Ce qu'il veut, c'est que la lame du regret, qu'il retient à mains nues depuis des années, cesse de piquer son cœur.

***

Je te laisse tous les meubles.

— Tu me quittes ?

— Je suis désolé.

— J'ai fait quelque chose de mal ?

« Je t'aime. » « Tu m'as manqué aussi. » « J'ai préparé ton repas préféré. » Ces mots ne seraient plus jamais murmurés à son oreille.

— Mais tu me disais qu'on trouverait une solution ensemble, si je perdais mon job.

Des doigts qui frôlent sa jugulaire, à la place exacte d'un suçon, là où la veille, sa bouche l'avait rassuré d'un baiser ;

Une lèvre mordue pour ne pas flancher ;

Des yeux fermés pour cacher son désarroi ;

— Je croyais qu'on aurait plus de temps.

***

Des coups vigoureux à la porte de la villa l'éjectent soudainement de son tourment. Sans attendre de réponse, l'équipe technique fait irruption, accompagnée de Dakota.

— Bonjour les gars ! sourit-il de toutes ses dents. Aujourd'hui, je viens vous annoncer une bonne nouvelle.

Étienne et Florent s'exclament d'une seule voix. Pas étonnant qu'ils aient fait une alliance. Bryan traine la patte, toujours en simple bas de pyjama à une heure aussi tardive. Quant à Samuel, Cédric et Maxence, ils sont déjà au salon.

Dakota prend une pause théâtrale devant le téléviseur pour les faire languir, vif rappel d'un passé où il racontait à son petit ami les mésaventures survenues sur le plateau de tournage.

— Il est trop efféminé, chuchote Maxence.

— J'allais le dire, confirme Samuel. Même ma sœur ne porterait pas ça.

— Taisez-vous ! riposte Cédric. Il y a des micros partout.

Dakota leur jette un regard désintéressé et attend encore quelques secondes pour marquer l'instant tandis que Shiloh aimerait sauter à la gorge des deux crétins.

— Alors ! poursuit-il enfin. Pour mieux connaitre les dames de la villa C, nous leur avons proposé de préparer une fiesta dans leur maison. Le thème de la soirée était à leur discrétion. Après mûre réflexion, elles sont arrivées à un consensus. Tout le monde devra être habillé en blanc.

— J'ai pas cette couleur, grogne Bryan. Est-ce qu'on peut venir en sous-vêtement ?

Le regard de Dakota s'attarde sur le torse musclé de son interlocuteur. Un rictus amusé s'impose sur son beau visage, ce qui donne envie à Shiloh de voir Bryan dériver sous un pont, très très loin des yeux appréciateurs de son ancien amant.

— Aucune femme ne s'en plaindrait, finit-il par répondre.

Samuel ne manque rien de leur échange et réplique de façon à ne laisser aucun doute sur son dégoût.

— Y'a pas que les femmes qui vont kiffer la vue. À ta place je m'habillerais, si tu vois ce que je veux dire.

Il fait un signe du menton en direction de Dakota qui garde un calme olympien. L'animateur sourit à Samuel, avance de son pas provocateur jusqu'au participant et l'accule contre le dossier du canapé sur lequel il est assis.

— Oh, mon beau ! Ce n'est pas lui qui m'intéresse.

Samuel déglutit, cherche de l'aide auprès de Maxence qui évite de le regarder. Dakota se penche à hauteur de son visage et passe un doigt sur son épaule.

— Si vous avez besoin de vêtements blancs, nous vous mènerons en ville, demain. Tu as envie que je t'accompagne Sammy chéri ? susurre l'animateur à son oreille.

— Dégage ! explose Samuel qui repousse Dakota. J'ai pas signé pour me faire draguer par un homo !

— Et moi, j'ai pas signé pour me faire insulter. On est quittes, maintenant.

L'animateur passe devant Shiloh, puis fait un clin d'œil à Bryan qui cache son buste derrière un coussin. Il n'a pas encore quitté la villa que Steeve arrive, essoufflé d'avoir couru si vite entre la salle de réalisation située dans la maison du personnel et la villa M.

— Russel ! T'es pas ici pour te trouver un mec ! s'insurge-t-il au vu de tous les participants. Ton comportement est inadmissible.

Cette fois, Shiloh ne résiste pas au désir de secourir son ancienne flamme.

— C'est de la faute de Sam. Ruby n'a fait que se défendre. S'il n'avait pas tenu des propos homophobes, ça ne serait pas arrivé.

Dakota, qui allait répondre lui-même au réalisateur, se retourne vers Shiloh et le regarde droit dans les yeux.

— Merci pour le coup de main. Crois-moi, je l'apprécie beaucoup. Cependant, j'assume pleinement qui je suis.

— Mais il t'a manqué de respect.

— Oui, je le sais, Soh ! C'est un des désavantages d'être sorti du placard. Par contre, rien ne me ferait revenir en arrière. Je suis libre, et c'est ce qu'il y a de plus important, ne crois-tu pas ?

Choisis-moi !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant