Les lampadaires s'allument un à un dans la grande avenue. Il fait déjà nuit. Une longue file de voitures s'arrête dans une fanfare de klaxons : le feu tricolore est rouge. À cette heure-ci, tout le monde cherche à rentrer chez soi rapidement, quitte à râler pour montrer son impatience. L'église sonne six coups. Le tintement des cloches résonne dans la nuit. Il fait très froid, l'air glacé fait rougir les visages de ceux qui passent par là. Une étroite impasse traverse l'avenue, coupant celle-ci en deux ambiances très distinctes.
D'un côté, les bâtiments sont plutôt calmes et apaisants. L'église en pierre blanche et les arbres bringuebalés par le vent gardent à la ville un air simple et rustique. De l'autre côté, il y a un restaurant mexicain familial et coloré et une petite librairie, qui bercent le trottoir dans une atmosphère chaude et joyeuse. La circulation reprend soudainement dans un concert de moteurs qui grondent et de pneus qui crissent sur le bitume.
En retrait dans l'impasse, un vieil homme observe en silence ce qui se passe autour de lui, une bouteille à demi-remplie à la main. Il aurait préféré un vin chaud, mais il doit se contenter de cette bière. Cela fait des années qu'il est à la rue, cette impasse est devenue son refuge. Les derniers clients de la librairie sortent les mains remplies de sacs, saluant avec enthousiasme le personnel de la boutique. Noël approche, ils font probablement des emplettes de dernière minute en vue de la fête.
En passant, ils n'adressent pas même un mot au sans-domicile-fixe, simplement un regard plein de pitié et un rictus gêné.
Il les déteste, ces gens-là. Trop heureux dans leurs vies, trop joyeux pour s'intéresser à quelqu'un qui ne demande qu'un simple bonjour afin d'égayer sa soirée. Ils vont probablement rentrer chez eux, s'assoir au chaud dans leur canapé, regarder la télévision, déguster un plat en sauce réconfortant... André ne se rappelle même plus depuis quand il n'a pas simplement pris une douche.
Et cette année encore, il passera les fêtes de fin d'année seul, assis sur son carton dans l'espoir de recevoir quelques pièces pour manger. Sa barbe poivre et sel est mal rasée, il est fatigué et il a froid. C'est une journée banale dans sa misérable vie, aussi désagréable soit-elle.
Un claquement de talons résonne sur le trottoir. André soupire. Encore quelqu'un qui va passer en coup de vent sans le saluer.
Malgré son âge avancé, il a conservé une bonne audition ; ce qui lui permet de distinguer de quel côté vient l'inconnue. Le bruit monte crescendo, signe que quelqu'un approche. Étrange, ce n'est pas vraiment une ruelle fréquentée. À part les poubelles odorantes du restaurant et les pauvres rats qui grouillent, il n'y a rien de bien intéressant.
Une jeune femme habillée en couleurs de la tête aux pieds tourne dans l'impasse. Elle a des cheveux bleus délavés, un petit débardeur coupé sous sa poitrine menue et un mini short jaune orangé. Son grand manteau noir sans manche tombe sur ses bottes à talons aussi hauts que larges et elle porte à l'épaule un sac qui semble bien rempli. Elle doit avoir froid. Sa tenue n'est clairement pas adaptée à la faible température.
Elle marche jusqu'au bout de l'impasse et lâche son sac sur le sol dans un fracas métallique. André la fixe d'un œil intrigué, cherchant à comprendre ce qu'elle vient faire ici. Le sac s'ouvre, elle en sort deux bombes de peinture parmi toutes celles qui s'y trouvent.
Le vieil homme s'essuie le nez d'un revers de manche et tente de se relever. Il vient de comprendre les intentions de la jeune femme, et ça n'a pas l'air de lui plaire !
Elle commence par tracer une première lettre. C'est un F en majuscule, dans une calligraphie fantaisiste. Le vieux s'approche en titubant, toujours emmitouflé dans sa couverture usée. Il glisse presque sur les pavés givrés.
VOUS LISEZ
Un Noël haut en couleurs
Short StoryUn SDF un peu bougon et une jeune femme pétillante, une rencontre surprenante... De quoi réchauffer les cœurs à l'approche de Noël ! Nouvelle écrite dans le contexte d'un atelier d'écriture au lycée.