Le repas était presque terminé. Le soleil, haut dans le ciel, projetait une lumière dorée à travers les interstices des parois de notre hutte, créant des motifs dansants sur le sol de fibres tressées. Liko, toujours plein d'énergie, racontait sa matinée avec une excitation contagieuse, ne laissant aucun détail de côté.
— Et Ao'nung m'a montré comment bouger sous l'eau ! Il dit que je dois être plus souple, comme les Ilu ! lança-t-il avec enthousiasme, mimant de manière exagérée les mouvements fluides de nos montures marines.
Mon père éclata de rire, sa voix résonnant chaleureusement à travers la hutte.
— Ao'nung, donner des conseils ? Voilà quelque chose que je dois voir de mes propres yeux, plaisanta-t-il en jetant un regard amusé vers ma mère.
Elle, occupée à finir de servir une dernière assiette, répondit par un sourire en coin, tout en se penchant pour ajuster les braises du feu.
— Peut-être que cet entraînement te calmera un peu, Liko, dit-elle d'une voix douce mais ferme. Tu ne peux pas courir partout sans réfléchir. Regarde ta sœur : elle est calme, posée. Tu devrais prendre exemple sur elle.
Je relevai les yeux de mon assiette à l'entente de ces mots, mais je ne répondis pas. Ma mère avait toujours cette manière de me désigner comme un modèle, comme si ma patience était une qualité innée. Pourtant, ce n'était pas toujours facile. Je n'étais pas aussi calme qu'elle le pensait, pas toujours. Mais je savais que mes silences parlaient pour moi, et aujourd'hui, je n'avais pas envie de corriger cette impression.
Je me concentrai plutôt sur mon repas. Chaque bouchée semblait un cadeau. Le poisson était parfaitement grillé, croustillant à l'extérieur et tendre à l'intérieur. Les épices qu'elle avait utilisées, un mélange d'herbes marines et de racines que je reconnaissais à peine, éveillaient mes sens. Chaque saveur semblait raconter une histoire : celle de la mer, du corail, et de la vie vibrante qui entourait notre village.
Je m'imprégnais de chaque texture, chaque goût, comme si cela me connectait encore davantage à ce monde. C'était plus qu'un simple repas. C'était un moment d'harmonie, un lien invisible entre nous tous, ma famille, notre village, et Eywa.
Liko continuait de parler, mais sa voix devint un fond sonore alors que mes pensées vagabondaient. J'observai les ombres des feuilles qui dansaient au gré de la brise sur les murs de la hutte. Mon esprit s'attardait sur les événements de la matinée, sur la lumière douce de la crique, les éclats de rire de Liko, et... le regard furtif d'Ao'nung. Un pincement subtil serra mon cœur, mais je l'ignorai, le repoussant dans un coin de mon esprit. Il n'y avait pas de place pour ce genre de pensées maintenant.
Lorsque le repas fut terminé, je me levai pour aider ma mère à ranger les plats, mais elle posa une main légère sur mon bras.
— Va, Iya. Tu as des choses à apprendre aujourd'hui. Je m'occupe de tout ici, dit-elle avec un sourire.
Je hochai la tête et sortis de la hutte, laissant derrière moi le tumulte joyeux de ma famille. L'air de l'après-midi était légèrement plus frais, et la lumière du soleil filtrée par les hautes structures coralliennes baignait le village dans une lueur douce. Les passerelles de bois et de fibres sous mes pieds craquaient légèrement à chaque pas, mais leur son était harmonieux, comme un écho du rythme naturel qui régissait notre vie.
Chaque détail autour de moi semblait vivant. Les éclats de rire des enfants jouant dans l'eau se mêlaient au chant des oiseaux marins. Plus loin, des femmes tissaient des fibres sur les plateformes, leurs gestes précis et méthodiques semblables à une danse silencieuse. Les odeurs salées de la mer se mêlaient à celles des herbes séchées que certaines familles utilisaient pour préparer leurs remèdes.
Je pris une grande inspiration, sentant cette énergie vibrante me traverser. Chaque fibre de mon être semblait résonner avec ce lieu, comme si je faisais partie d'un tout bien plus vaste.
Je me dirigeai vers la hutte de Ronal, la Tsahik du clan. C'était une structure légèrement plus grande que les autres, ornée de coquillages et de motifs gravés dans le bois, symbolisant son rôle de guide spirituelle et de guérisseuse. En m'approchant, je ralentis inconsciemment mes pas, sentant une certaine gravité dans l'air autour de cette hutte.
Ronal était déjà là, assise sur un tapis tressé, entourée de paniers remplis de plantes, de racines, et d'outils pour la préparation des remèdes. Elle leva les yeux lorsque j'arrivai, son regard perçant m'analysant en silence.
— Iya, dit-elle simplement, mais il y avait un poids dans sa voix, comme si mon nom portait en lui une signification que je ne comprenais pas encore.
Je m'inclinai légèrement en signe de respect et m'assis face à elle, mes jambes croisées, prête à apprendre .Ronal plaça un panier entre nous, rempli de feuilles épaisses, de fleurs séchées, et d'algues de différentes teintes. Elle tendit la main pour attraper une feuille qu'elle déchira légèrement entre ses doigts, libérant une odeur fraîche et piquante.
— Sens, ordonna-t-elle doucement, me tendant la feuille.
Je pris la feuille avec précaution et la portai à mon nez. L'odeur était vive, presque agressive, mais elle portait une certaine pureté.
— Cette plante apaise les brûlures, expliqua-t-elle. Elle pousse près des récifs, là où les vagues sont les plus fortes. Cela te rappelle quelque chose ?
Je fronçai légèrement les sourcils, réfléchissant.
— L'endurance, murmurai-je. Elle survit là où la vie est la plus rude.
Un sourire imperceptible apparut sur ses lèvres.
— Bien. Chaque plante, chaque racine, chaque fleur a un rôle, un lien avec Eywa. Apprendre à les connaître, ce n'est pas seulement les utiliser pour soigner. C'est comprendre leur place dans ce monde.
Je hochai la tête, sentant le poids de ses paroles. Elle plaça ensuite un mortier devant moi.
— Commence par écraser ces algues. Doucement, sans les brusquer. Écoute-les, sent-les. Elles te guideront.
Je pris le mortier et me mis au travail. Mes gestes étaient appliqués, mais maladroits au début. Pourtant, à mesure que je m'habituais à la texture des algues et au poids du pilon dans ma main, un rythme naturel s'installa. Chaque mouvement semblait résonner avec les sons autour de moi : le chant des oiseaux, le murmure de la brise, le bruit lointain des vagues.
— Bien, murmura Ronal, observant en silence.
Nous travaillâmes ainsi pendant des heures. Elle m'enseigna les propriétés des plantes, m'expliquant comment certaines devaient être mélangées avec de l'eau de mer pour libérer leur plein potentiel, tandis que d'autres nécessitaient une infusion lente dans de l'huile. Chaque geste, chaque mot était précis, presque sacré.
À un moment, elle s'arrêta et plaça une main sur mon bras.
— Ferme les yeux, Iya. Dis-moi ce que tu ressens.
Je fermai les yeux, me laissant envelopper par l'instant. J'entendais le bruissement des plantes sous mes doigts, sentais leur odeur imprégner l'air. Mais au-delà de cela, je ressentais quelque chose de plus profond, une vibration subtile, comme un battement de cœur qui n'était pas le mien.