Le lundi suivant, Ava arriva en avance au lycée, comme elle l'avait fait le jour précédent. Le matin semblait être un moment propice à la réflexion, un instant suspendu avant que le tumulte de la journée ne la rattrape. Mais ce matin-là, tout était différent. Chaque pas qu'elle faisait vers la salle de littérature semblait l'attirer plus près de quelque chose d'inéluctable. L'angoisse qui la tenaillait depuis plusieurs jours s'était intensifiée, se transformant en une forme de curiosité morbide. Un appel silencieux, comme celui d'un abîme qu'elle n'était plus certaine de vouloir éviter.
Lorsqu'elle franchit la porte de la salle, la première chose qu'elle remarqua, c'était l'absence des autres élèves. L'air semblait encore plus lourd, comme si la pièce elle-même attendait quelque chose, une confrontation inévitable. M. Leclair était là, debout près du tableau, les bras croisés, son regard fixant l'espace devant lui d'un air pensif, presque détaché. Lorsqu'il aperçut Ava, un léger mouvement traversa ses lèvres, un sourire à peine perceptible, mais suffisant pour faire naître en elle un frisson incontrôlable.
"Entrez, Mademoiselle Monroe", dit-il simplement, d'une voix basse, presque intime.
Elle n'eut pas le courage de répondre. Ses jambes, comme paralysées, la guidèrent jusqu'à sa place sans qu'elle n'ait à réfléchir. La salle, habituellement bruyante et pleine de vie, était aujourd'hui aussi vide que son esprit. Chaque bruit, chaque souffle, semblait résonner de manière amplifiée, créant une atmosphère où chaque geste semblait lourd de significations non dites.
M. Leclair s'installa en face d'elle, et son regard, une fois de plus, se fixa sur elle, comme si tout ce qu'elle était lui appartenait déjà. Ava se sentait comme une mouche prise dans une toile d'araignée, incapable de bouger, mais consciente que chaque mouvement, chaque respiration, pouvait la faire se perdre davantage.
"Vous comprenez ce que je vous ai dit vendredi, n'est-ce pas ?" Sa voix était basse, presque un murmure, mais elle transperçait l'air d'une manière qui la figeait.
Ava inspira profondément, mais ses pensées se bousculaient. Les mots qu'il avait prononcés—le désir de se perdre soi-même, de s'abandonner à quelque chose d'interdit—résonnaient encore dans sa tête, comme un poison lentement distillé dans ses veines. Elle se sentait à la fois attirée par ce qu'il insinuait et terrifiée par la direction que cela pourrait prendre. Il y avait quelque chose dans cette invitation silencieuse à franchir une ligne invisible qu'elle ne pouvait pas ignorer.
"Je..." Elle s'arrêta, incapacité à trouver les mots, le poids de l'interrogation pesant lourdement sur ses épaules. Est-ce ce qu'elle voulait ? Une partie d'elle se battait contre ce besoin irrationnel de le comprendre, de se perdre dans cette complexité qu'il déployait autour d'elle.
"Vous n'avez pas besoin de répondre tout de suite", dit-il, comme s'il avait lu ses pensées. "Mais vous devez comprendre que ce qui se cache derrière ces mots n'est pas une simple leçon de littérature. Ce que nous cherchons tous, Mademoiselle Monroe, ce n'est pas un poème, mais une vérité cachée dans l'obscurité. Et parfois, il faut savoir s'y perdre pour la toucher."
Le cœur d'Ava se serra. Il était comme un serpent, glissant lentement autour d'elle, l'enveloppant sans qu'elle puisse se dégager. Ce n'était plus un simple professeur. Il était devenu un guide vers quelque chose de dangereux, et malgré elle, elle était prête à le suivre. À chaque mot qu'il prononçait, chaque regard qu'il lui lançait, elle se sentait de plus en plus dévorée par cette ombre mystérieuse qu'il projetait sur sa vie.
"Mais pourquoi moi ?" murmura-t-elle enfin, sa voix brisée, presque inaudible. "Pourquoi me regardez-vous ainsi ?"
La question flottait dans l'air, et pendant un moment, il ne répondit pas. Il la fixa simplement, son regard glissant sur chaque trait de son visage comme s'il cherchait à déceler quelque chose, quelque vérité qu'elle ne savait pas encore. Puis, enfin, il parla, d'un ton calme, mais empreint d'une force étrange.
"Parce que vous êtes différente, Mademoiselle Monroe. Parce que vous... comprenez déjà ce que beaucoup refusent de voir. Vous savez que la vérité, parfois, ne se trouve pas dans les mots, mais dans ce qui est à peine perceptible, dans ce que l'on ose à peine effleurer. Et c'est ce qui vous rend intéressante. Cette fragilité, ce vide que vous portez en vous."
Ava se sentit comme exposée, chaque mot de M. Leclair la dénudant un peu plus, jusqu'à ce qu'elle se sente vulnérable, incapable de se cacher. Ce vide qu'il mentionnait, ce n'était pas quelque chose qu'elle avait choisi, mais quelque chose qu'elle avait toujours ressenti, comme une partie d'elle-même qui échappait à sa compréhension. Un vide que, peut-être, il était le seul à voir.
"Et ce vide... vous comptez le remplir comment ?" demanda-t-il, son ton presque amusé.
Elle n'eut pas de réponse. Comment pourrait-elle expliquer ce qu'elle ressentait, cette étrange attirance qui l'attirait vers lui comme un aimant ? Chaque fois qu'il la regardait, elle avait l'impression de se perdre un peu plus dans un labyrinthe sans fin. Mais au lieu de fuir, elle y allait, encore et encore, comme un insecte attiré par la lumière.
Il se leva lentement, s'approchant d'elle. Il n'y avait plus de distance entre eux, et chaque pas qu'il faisait semblait l'enfermer davantage dans cette pièce, dans cette réalité qu'il avait créée autour d'elle. Ses yeux, presque insoutenables, s'ancrèrent dans les siens.
"Ce que vous ressentez n'est pas une faiblesse, Mademoiselle Monroe. C'est une forme de libération. Mais pour comprendre cela, vous devrez aller au-delà de vos peurs. Au-delà de ce que vous pensez être juste ou moral. Ce que je vous propose, c'est un voyage. Un voyage au cœur de votre propre vérité."
Ava sentit un frisson la parcourir. Ses mains tremblaient légèrement, et son cœur battait la chamade, comme si chaque battement l'éloignait un peu plus de sa propre réalité. Et si cela était ce qu'elle avait toujours cherché ? Ce vide qu'il décrivait, ce désir d'aller au-delà des conventions, de tout ce qui était défini comme acceptable, l'appelait d'une manière qu'elle ne pouvait plus ignorer.
Elle se leva, lente, presque hypnotisée par ses mots. Leurs regards s'entrechoquèrent, et dans les yeux de M. Leclair, elle lut quelque chose qu'elle ne comprenait pas encore, mais qui la fascinait, qui la consumait. Une promesse. Une invitation.
"Alors, Mademoiselle Monroe", dit-il enfin, sa voix teintée d'une intensité palpable. "Êtes-vous prête à franchir le seuil ?"
Elle n'eut pas de réponse immédiate. Mais dans un souffle, elle se sentit glisser dans l'inconnu, prête à tout pour découvrir ce qui se cachait derrière cette frontière invisible qu'il avait créée entre eux.
Ce n'était plus une simple leçon de littérature. C'était le début d'un voyage dont elle ne savait pas où il la mènerait, mais dont elle ne pouvait plus se détourner.

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Regard interdit
RomanceLe lycée d'Ava, vieux et imposant, semble presque vivant ce matin-là, comme si les murs eux-mêmes recélaient des secrets anciens. En dernière année, Ava a toujours observé les autres avec distance, comme si une frontière invisible la séparait du mon...