Elle reste assise face à la rivière, toisant son misérable reflet. Elle disjoncte. Le temps ne l'aime pas, il bouleverse et explose sa vie. Tout va trop vite, trop loin et tout brûle. Elle voudrait réussir à geler son espace-temps, le faire revenir en arrière. Qu'il lui accorde une clémence, celle d'un frivole attouchement humain. Ses lèvres brûlent de désir charnel, elle crépite en un souvenir ornant ses pensées. Sa matière lutte contre l'incendie, mais le cœur s'est laissé prendre. La douleur est bien présente, son corps implose sous l'emprise d'un loup flamboyant. Il agit avec tellement d'ardeur et de passion, empêchant un adultère menaçant.
— Tout va bien ?
J'aimerais le détester cet idiot, c'est toujours lors de mes narrations les plus fortes qu'il vient m'y déranger.
— Oui.
Je mets du temps pour lui répondre.
— Tu es sûre ? insiste-t-il.
— Oui.
Il souffle, il doit en avoir marre, mes sautes d'humeur doivent l'épuiser. Elles sont éphémères pourtant, mais je vois, il n'en peut plus. Malheureusement seul lui en est le responsable.
Une main s'approche de mon visage. Surprise, je la regarde quelque peu. Mes yeux clignent plusieurs fois me sortant avec difficulté de ma torpeur, je l'attrape. Soudainement je me sens soulevée avec force et atterrie contre son torse. Le choc provoque une alchimie de mon être. Mon corps jongle entre frissons et paralysie. Un flux de bien-être se propage petit à petit, agrémenté d'un divin parfum. Le feu, l'air et la glace créent une cohésion, l'ennemie devient alliée. Comment cela m'est-il possible de le détester ? Puis un flash soudain, violent me fait chuter et revenir à moi.
Il s'avère que je ne connais rien de lui.
— Mia, peu importe ce qui te tracasse, je veux que tu m'en parles, me souffle-t-il dans le creux de l'oreille.
Comment te dire que le sujet de mes tracas n'est autre que toi ? C'est ce genre de geste qui me détruit, pendant une seconde, je fais l'objet de tes désirs et la seconde d'après je te suis clandestine. Je sens ma chair calciner le temps d'une chatterie, puis soudainement devient poussière. L'envie de tout contrôler est exaltante, je le sais, mais de là à m'anéantir ?
Il joue et contrôle le jeu. Il est parfait dans son rôle, excellent dans la maîtrise et la prestance. Il en devient un être désireux au charme ravageur. La luxure peut se lire dans le regard de Mia. Ils brillent d'excitation pour cet homme aux façades multiples. Face à ses pensées, elle se décontenance et mord sa lèvre inférieure avec harde. Cette vue surprend Harry et l'embrase. Il fait courir délicatement ses doigts sur son bras, lui arrachant des frissons, puis lui attrape doucement la main.
Je pense que ce n'est pas le moment de jouer au narrateur, mais plutôt de profiter pleinement du rôle principal de l'histoire.
Mes joues sont rouges, je ressens encore les doigts d'Harry arpenter mon bras, mes lèvres me font souffrir pour maltraitance. Nous marchons sans bruit, nos respirations fortes se superposant entre elles.
Nous nous retrouvons rapidement face à la porte. Je réalise que je vais découvrir la double vie de cet homme, vu comme violent et inaccessible aux yeux de tous. Ma curiosité est piquée au vif, une déferlante de questions se posent à moi. Je suis peut-être moins insignifiante que je ne le croyais, cette idée me plaît.
Je suis méticuleusement des yeux le mouvement de sa main vers la serrure. Cette clé me fascine et exalte en moi une excitation active.
C'est moi ou il est lent ?! Trois ans pour enfoncer une putain de clé... désolée, l'excitation.
Mon sourire s'agrandit en entendant le cliquetis. Après des secondes qui me paraissent des années, la porte s'ouvre enfin, dévoilant un couloir immaculé de blanc. Je sens sa main attraper la mienne. Une deuxième chaleur m'englobe, je me sens bien. On avance dans l'étendue claire et je souris toujours comme une enfant. Ça faisant longtemps que je ne ressentais pas autant d'enthousiasme. Une pression se fait sentir au creux de ma paume, prenant conscience que j'avais baissé les yeux, je les relève. Harry me regarde avec des yeux attendris, je rougis.
La tête haute, je regarde droit devant moi, une pureté massive y est dressée tel un roque. Cet escalier m'impressionne, ainsi que tout ce qui m'entoure, la hauteur, les lustres, les couleurs me donnent le vertige ; je pourrais tomber rien qu'en levant les yeux. Je reporte mon regard vers Harry qui se trouve maintenant devant moi. Il m'attend au côté du tourbillon froid.
Enjouée, je me précipite vers lui, parce qu'il parait que je ne tomberais pas sans lui.
— La décoration est signée Evans ? je lui demande impressionnée.
— Ici je fais tout, sauf la décoration, dit-il avec un sourire malicieux. C'est Madame Adélaïde qui s'en charge.
— Qui est Madame Adélaïde ?
Il fronce les sourcils comme si la réponse paraissait évidente.
— Celle qui m'a élevé. Ô Mia si tu la connaissais, elle est tellement gentille ! Elle m'a tout donné ! dit-il les yeux pétillants.
Le voir parler de quelqu'un qui lui est cher est une chose magnifique. Harry est le genre de personne qui est aimé de tous sans offrir de l'amour en retour, cette femme fait l'exception à la règle. Une once de jalousie me serre l'estomac. Cet odieux personnage me consumera jusqu'à l'os. Il ne parlera jamais de moi de cette manière, il n'aura jamais la même lueur dans son regard en prononçant mon nom. Cet aspect me rend débris, mais il y a pire, il ne m'offrira jamais son amour en retour. Je donnerais beaucoup pour être une exception et ne pas imploser.
Nous nous apprêtons à monter ces escaliers lorsqu'une porte attire mon attention.
— Et cette porte ? dis-je en pointant du doigt le bois blanc.
Il se fige et la toise comme si elle donnait accès à se cruel monde qu'est l'enfer.
— C'est rien, dit-il nerveusement. Juste mon bureau. Viens, je vais te montrer ou tu vas dormir.
Il m'attire avec lui dans la froideur. À l'étage, j'aperçois de nouveau un long conduit, mais qu'une seule porte n'est présente. De somptueux tableaux se tiennent sur les murs. À combien estimez-vous cette habitation si ce n'est plusieurs centaines de milliers d'euros ? Il s'arrête devant la porte et sort de nouveau le trousseau de clés de sa poche.
— Pourquoi qu'une seule porte ?
— Pourquoi en avoir plusieurs alors que tout se trouve derrière une seule ?
— Hein ?!
— On dit " comment ", dit-il en ouvrant la porte.
Même de dos, cet homme est beau. Ses épaules me dominent et dominent le monde. Une aura puissante émane de lui, me pliant d'admiration.
La porte s'ouvre sur une pièce aux tendances irréaliste tout droit sortie d'un Disney. Elle est constituée d'un dôme de verre et de clôture fantôme. Elle pourrait largement s'auto-suffire tellement, sa beauté heurte. Mais le panorama me coupe le souffle. Un jardin aux mille nuances égayées par un dôme cristallin se présente à moi. Je m'en approche, les yeux captivés par l'instant magique.
— Colle pas tes doigts ! Madame Adélaïde va encore râler.
Un coucher de soleil embrase les cendres nuageuses du ciel, je n'ai jamais rien vu de tel. C'est magnifique. Mon souffle laisse paraître une fine buée sur le verre courbé.
— Relaxant, hein ? Mais tu n'as pas encore tout vu ! dit-il regardant l'horizon, sûrement pensif. Bon, voici ton lit !
Il désigne du doigt le seul lit qui se trouve dans cette immense pièce. Il est gigantesque, quatre personnes auraient pu y passer une nuit avec moi. Je m'assois dessus, les courbes de mon corps s'impriment parfaitement avec le matelas. Je caresse doucement la couverture de soie prune.
— Et toi ? Où est-ce que tu dors ?
— Je ne dormirai pas, dit-il en s'asseyant à mes côtés.
Digne d'un grand livre, il se prend à présent pour un vampire.
Mon regard se porte irrémédiablement sur ses lèvres, une vague de chaleur m'emporte de nouveau. Le but du jeu est de se contenir, eh bien contentons-nous de juste y poser un œil et non nos lèvres.
— Pourquoi donc ?
— On ne sait jamais, je ne veux pas mourir bêtement pendant mon sommeil.
J'explose de rire nerveusement.
— Je ne vais pas te tuer, je lui dis me moquant de sa crainte.
La peur n'est pas quelque chose de rationnelle, elle est subjective à votre imagination, c'est votre propre perception du danger. Ce n'est qu'un sentiment noyé parmi tant d'autre. Pourtant, il est si précieux, il réveille en vous un mécanisme de survie. Vous avez deux solutions face à un danger : rester pour l'affronter ou fuir lâchement. On vous conseille en premier temps d'éviter le danger mais l'idiot est le loup.
— Je ne parlais pas de toi, peu de gens m'apprécient.
D'après les rumeurs du lycée, j'ai pu entendre des adjectifs comme " dangereux ", " audacieux ", " violent " et j'en passe. Il est dit " impliqué dans de lourdes histoires ". Mais si j'ai bien appris quelque chose de ce lycée, c'est qu'il ne faut pas se baser sur des " dits " mais sur ce que l'on voit. Et ce que j'ai vu hier ne relève en rien de tout ce que j'ai pu entendre à son sujet.
Il tourne la tête vers moi. Ça faisait depuis le cours d'histoire que je n'avais de contact direct avec ses yeux. Même ma façon de l'admirer transparaît. À mesure que les secondes défilent le temps s'affole, ce qui est en train de se passer n'existe déjà plus. L'espace entre nos corps diminue dangereusement.
" Contentons-nous de juste y poser un œil et non nos lèvres. " Les sensations que j'avais éprouvées me reviennent en tête.
" La nostalgie est un poison " rappelle-toi de ceci. Avait-il ressenti les mêmes choses que moi ce soir-là ?
" Je suis un pion dans son jeu d'échec ". Nos lèvres ne sont plus qu'à quelques centimètres, elles se frôlent presque. À l'aide de ses mains, il s'empare de ma nuque lorsque le bruit de la sonnette met fin à ce jeu stupide.
Le manque est une personne abjecte, il n'y aurait qu'un masochiste pour ne pas le mépriser. Il fait mal et en est vaniteux. Le manque vous oppresse, là, juste au niveau de la poitrine ; essayez donc de respirer, vous n'y arriverez pas. Le manque comble le vide qui se creuse sous vos pieds, mais en contrepartie la souffrance vous est due. Ce n'est pourtant que le reflet de la nostalgie. Il parait qu'avec le temps le manque se lasse et qu'il vous quitte, que ses blessures ne laissent que de légères cicatrices. Il parait qu'on peut y arriver. Aller de l'avant. Que l'on s'y fait et que de nouvelles habitudes remplacent les anciennes.
Si vous voulez mon avis, les seuls fous qui y arrivent ont sombré dans le déni. Le manque se traduit par le besoin, comment pouvons-nous vivre sans des besoins accomplis ? Allez donc poser cette question à Maslow.
La nostalgie est le sentiment que l'on attribue aux sensations agréables lointaines, voire disparue. Prenez garde à cet agent que l'on croit d'abord bienfaisant, c'est quand l'effondrement prend fin que la tromperie commence.