Trois - Souvenirs

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Pour une fois, le réveil eut besoin de sonner pour me réveiller. Je me réveillais dans le coltar, en retard pour prendre mon bus et de très mauvaise humeur. La journée se déroula exactement selon le plan prévu : très ennuyante. Je cru voir plusieurs fois des "fantômes" de Charbon, prenant chaque petit brun pour lui. Il fallait en plus qu'il vienne hanter mes journée !

Le soir venu, la lune était en croissant. Je lisais, c'était une soirée plutôt calme. J'entendis soudain un chant, assourdis par les murs de ma chambre. J'ouvris la fenêtre, et j'entendis le chant sauvage d'une meute de loup. Je reconnus la meute de la Vallée. En souriant, je me les imaginais, tout les quatre, leur poil gris brillant sous la lune pendant qu'ils levaient leurs museaux pour chanter. Puis je me rendis compte que c'était un appel. Mais pour qui ? Ils étaient tous là. Je compris avec un sursaut qu'ils m'appelaient, moi. Je me laissais envahir par la mélancolie, et je caressais un instant le rêve de me transformer, comme avant... Avant de revenir les pieds sur terre. Enfin, je transformais mes cordes vocales en celles d'un loup et je répondis "Ne m'attendez pas". C'était triste à penser, mais ils ne pouvaient m'attendre indéfiniment alors que je savais que je n'allais pas changer d'avis. Ils devaient trouver une solution entre eux pour garder le territoire, même si ça impliquait de mordre un humain pour ça.

En vérité, la bave de loup-garou ne transformait pas vraiment. Il fallait que ce soit un alpha qui morde, avec tout un rituel, pour que l'humain devienne loup. C'était assez égoïste de ma part de penser ça, le pauvre humain n'aurait pas de solution miracle pour redevenir un humain normal. M'enfin... Il y avait des volontaires pour tout, y compris pour ça.

"Un oeil fou, la bave aux lèvres"

Je grimaçais... Les souvenirs se rappelait à moi. J'en sélectionnais d'autres, plus joyeux. Son sourire. Son rire. Ses baisers, si doux. Je commençais à hoqueter en essayant de retenir mes pleurs, mais une larme dévala ma joue, et je tentais de chasser tout cela pour me concentrer sur mon livre.

Les âmes-soeurs... Je pouvais être heureuse que ça n'existe pas. Si ça existait, je serais morte pour le rejoindre. Je l'aimais tellement... Comment tout cela avait bien pu commencer ? Notre rencontre remontait à si loin. J'abandonnais mon livre pour me plonger dans mes souvenirs.

<<C'était la première fois que la meute se rencontrait. Nous avions beaucoup tchaté sur le forum auparavant, sous l'anonymat de nos pseudos : Charbon, Belle-de-Nuit, Cascade, Gris. Givre. Et puis moi, Météore. Bien sûr, sur le moment ce n'était pas exactement ça, c'était plus "informatique", charbon69 par exemple, ou Cascadedu12. J'avais choisi ce pseudo par le plus complet des hasard: à l'époque je n'avais pas la moindre idée de surnom et j'avais donc cherché sur internet des noms commençant par un "M", puisque c'était la lettre de mon année de naissance. "Météore" était ce qui m'avais le plus plu. Sur le forum, Charbon avait demandé si nous pourrions éventuellement nous voir sous forme lupine pour enfin former une meute. Nous avions tous acceptés, la seule condition pour faire partie de la meute étant de se soumettre aux règles, d'être un loup garou et de s'être déjà transformé. J'avais remplie cette dernière condition plus de deux ans auparavant, et ça avait été horriblement douloureux. Je ne le recommande à personne. Puis j'avais été dévorée par le stress jusqu'à que le moment arrive, tournant comme un loup en cage dans la maison.

Mais là, tous au rendez-vous dans une atmosphère mêlant anxiété et excitation, nous étions surtout curieux. On était en pleine nuit, des nuages camouflaient les étoiles mais n'arrivaient pas à assombrir la clarté des rayons de la lune qui était presque pleine. On était tous tous des loups gris, nous différenciant par des détails infimes, comme un poitrail plus grand, des poils plus épais, des légers reflets étincelants sur le pelage... Et surtout grâce à l'odeur, qui était personnelle à chacun. Charbon était le plus reconnaissable d'entre nous: il était le plus grand, et sa posture était celle d'un Alpha. Les Alphas sont les membres d'une meute ayant le plus de devoirs: ils sont responsables de chaque membre, doivent veiller sur chacun à leur manière, les protégeant... C'est sur eux que toute la sécurité de la meute repose. La plupart des humains se renseignant sur les loups-garous idéalisent le poste d'Alpha, parce que chaque membre de la meute le respecte et lui obéit. Seulement, ce respect et cette obéissance ne sont pas sans prix. Un mauvais Alpha n'inspirera aucun respect à sa meute et peu d'obéissance, souvent il sera rejeté, banni, tandis que la meute s'en trouvera un nouveau. Rien qu'au coup d'oeil, je devinait que Charbon ne serait pas de ceux là. Il dégageait un calme inébranlable. C'était pourtant un moment clé: tout le monde devait se soumettre, ainsi chacun pourrait être veillé et protégé par l'Alpha. Il planta son regard dans le nôtre, un par un, et quand ce fut mon tour, je baissai sagement mes yeux, sentant une vague de bienfaisance se répandre dans mon corps : je faisais partie d'une meute ! "Je ne serais plus jamais seule." pensai-je alors, sans savoir à quel point je me trompais. Puis chaque membre se présenta: je découvris en Cascade une jeune louve au museau très fin, en Gris un loup aux poils très dense et aux fortes épaules, tandis que Belle-de-Nuit me surprenait par son âge, ce devait être la plus âgée bien qu'elle ne devait pas avoir plus de trente ans dans la vie humaine, elle était également très belle, et je me demandais si c'était elle qui avait choisi son nom ou s'il lui avait été donné. Ensuite venait Charbon, le plus grand donc le plus fort. Il avait aussi le plus sombre de nos poils. Givre, quand à lui... Son pelage gris était tout à fait ordinaire, si ce n'était qu'il étincelait sous le clair de lune comme si une couche de givre s'était posé dessus ; c'était vraiment magnifique et c'était un nom bien trouvé. Moi, je n'avais pas vraiment de signe distinctif, si ce n'est que je courrais vite, mais ça ne se voyait pas dans le physique. Nous tournâmes un peu, discutant les uns avec les autres, faisant connaissance dans la "vraie" vie, en face à face, sans écran pour s'interposer. Lorsqu'il arriva mon tour de parler à Givre, je lui déclarai :

- Salut ! Moi c'est Météore. Tu es Givre, non ?

- C'est ça. Je me suis transformé pour la première fois il y a trois ans, et toi ?

- Il y a deux ans, tu as l'avantage de l'expérience !

Nous rîmes légèrement. C'est très étrange de rire en télépathie. Nous continuâmes de parler, puis lorsque tout le monde eut parlé à tout le monde, nous décidâmes d'aller courir ensemble. Je me souviens des mouvements de sa fourrure lorsqu'il courrait à mes côtés, du son de son rire.>>

J'avais réussi à me distraire tiens, maintenant je pleurais à chaudes larmes ! J'étais tellement pathétique ! Un an et demi et je le pleurais encore alors que n'importe qui serait passé à autre chose. Il fallait que j'arrête. Que je me mette à vivre. Peu importe comment. Je me décidais à l'impensable, tandis que mon cœur, ce traître, se déchirait. "Demain, je draguerais un autre mec."  



La meute de CharbonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant