Chapitre 10

149 19 34
                                    

En comptant mentalement jusqu'à trois, j'ouvre la porte à la volée au dernier chiffre. Je fronce les sourcils en voyant une femme de dos à moi.

Elle porte une robe rose qui épouse son corps gonflé. Un tablier vert est attaché autour de sa taille. En une fraction de seconde, je soupire de soulagement, je planque vivement mon couteau derrière mon dos et je le fais disparaître.

Je sens mon poignet être empli d'une immense douleur. Je lâche un grognement, qui attire l'attention de l'intruse. Quand la femme se tourne vers moi, je reste confuse.

Elle doit avoir à peu près soixante-dix ans. Elle a des cheveux gris ramenés en chignon bas et des yeux verts pétillants. Elle est beaucoup plus petite que moi, mais semble très robuste.

Son visage est emplie de douceur et ses prunelles me dévisage, tandis que les bords de ses lèvres se retroussent en un magnifique sourire.
J'en reste stupéfaite et perdue.

- Mme Hatney ? m'exclamai-je en me sentant soudain très bête.

   La douleur à mon poignet est toujours présente. J'ai l'impression qu'il est foulé alors que je n'ai fais aucun mouvement. Satanés pouvoirs.

- Merci Bon Dieu ! s'écrie Mme Hatney en franchissant la distance entre nous pour me serrer dans ses bras. Elle s'est réveillée !

   Son étreinte me comprime le sternum. 'tin, cette femme est la grand-mère cachée de Super Man ou quoi ?

- Madame.., soufflé-je en essayant de me dégager.

- Oh ma chérie, excuse-moi !

   Ma voisine de palier se décroche de moi. Je respire une grande goulée d'air en me frictionnant doucement les bras de ma main valide. L'autre reste très douloureuse. Mme Hatney affiche un sourire soulagé, puis prend mes mains dans les siennes.

- Comment te sens-tu ? me demande t-elle d'une voix douce.

- Je vais bien, dis-je en libérant mes mains.

   Ma main gauche est totalement inutilisable, et emplie mon bras d'une souffrance horrible. La Douleur est telle que je suis obligée de m'appuyer contre le plan de travail pour ne pas tomber. Je tâte avec vigilance la partie douloureuse, et je grimace. Mme Hatney me dévisage, sceptique.

- Je t'ai retrouvé ce matin, inconsciente. J'avais beau essayé de te réveiller, tu ne réagissais pas. J'ai même dû demander à Billy de venir te porter. J'ai remarqué que ta porte était ouverte, alors je me suis permise de t'amener ici. Tu as dormi toute la matinée, je commençais à m'inquiéter. Qu'est ce qui t'es arrivé, April ? Pourquoi as-tu fermé la porte derrière toi ? J'ai dû importuner - encore - ce gentil concierge de Billy.

   Je reste silencieuse un moment. Une multitude de mensonges me viennent à l'esprit, et j'opterai pour le plus plausible.

- J'avais envie de regarder les étoiles et la lune. J'ai fermé la porte pour avoir plus d'intimité.

   BIP BIP !!! MENSONGE À PLEIN NEZ !!! Mme Hatney continue de me fixer. Une étincelle de suspicion éclaire ses prunelles.

- Ok ! m'exclamai-je en levant les yeux au ciel. Je regardais les étoiles en pensant à mes parents, en parlant à la lune comme si je leur parlais. Et comme... Ben... Je pleurais, je ne voulais pas quelqu'un me voit dans cette état.

   Ok, je mens toujours. Mais il y a une part de vérité, non ? Je baisse les yeux en retenant un sourire de satisfaction.

- Oh, ma chérie.... se radoucit ma voisine en posant une main sur mon épaule. Je sais ce que ça fait de perdre ses parents. Mais tu as ta famille adoptive, un garçon et une petite fille qui sont comme ton propre sang aujourd'hui. Des adultes charmants qui veillent sur toi. C'est bien de pouvoir à nouveau compter sur quelqu'un d'autre que soi-même, tu ne penses pas ? Notre âme est éternelle, il faut réussir à la préserver pendant notre longue période de vie.

Vous aimerez aussi

          

   Je relève doucement la tête. Pendant un petit moment, je pense qu'elle sait. Qu'elle sait pour moi. Que je suis immortelle, que j'ai des pouvoirs démentiels et que j'ai 1523 ans. Un sentiment de rage m'envahit, et je suis sur le point de me demander si c'est mieux de lui trancher la tête ou de la poignarder quand elle dit :

- Apres tout, tu es encore jeune et resplendissante, tu dois plaire à tous les garçons ! Tu dois vivre la vie qui t'es donnée, ma chérie, sinon tu vas finir par regretter certaines choses de ton passé.

   Je hoche la tête. Je soupire doucement. Une victime en moins dans ma liste de " Personnes à tuer pour protéger mon secret ".

- Merci, Mme Hatney.

- Je t'en pris ma chérie, appelle-moi Rose ! Je t'ai fais des cookies, j'espère que tu as faim.

   En remarquant la douce odeur qui flotte dans l'air, mon ventre crie famine. Rose sourit malicieusement en me poussant vers la porte.

- Va t'asseoir ma belle, je t'apporte à manger dans quelques minutes.

- Mais...

- Va t'asseoir tout de suite !

   Je déclare forfait et pars m'asseoir sur la banquette de la fenêtre, dans le salon. La vitre me redonne mon reflet, et j'évite de croiser mon regard, tétanisée. Je garde les yeux rivés dehors, là où les personnes normales discutent, rient, marchent, profitent, vivent. Un élan de jalousie parcourt mes veines, mon sang bouillant dans mon corps.

D'accord, c'est vrai que c'est cool d'avoir des pouvoirs. Mais la souffrance, la vie éternelle, est-ce vraiment tout ce que je mérite ? Avoir des vrais amis, un petit ami, une famille de mon sang, une vie normale, n'est-ce pas ce que je voudrais avoir ?

Bien sûr que oui. Mais est-ce ce que je souhaite ? Bien sûr que non.

L'antithèse de ma vie. Devenir humaine, devenir faible, n'importe quoi ! Je souffre peut-être, mais au moins j'arrive à me protéger et préserver ma famille du danger surnaturel. Ce que je ne pourrais pas faire en étant une humaine, soi disant passant.

   Je soupire. Je ferme les yeux en collant mon front contre la paroi froide de la vitre. Je me concentre sur le bruit extérieur. J'ouvre mon esprit, voyant à présent avec les yeux de mon âme.

Le bruit des voitures me parviennent tout à coup, et des conversations joyeuses montent jusqu'à moi. Derrière mes yeux fermés, je vois la scène qui se déroule en contrebas, dans la rue. Des adolescentes de mon lycée discutent gaiement du beau temps, de garçons, de shopping...

De choses que des filles normales peuvent se confier. Une rage incontrôlable se créée un chemin jusqu'à moi. La naïveté des humains. Toujours à penser que le vampire n'est que dans les légendes, les démons dans les contes de fées, les loups seulement dans la forêt...

Tout cela est réel, mes petits chéris. Le monde surnaturel est bien présent dans votre quotidien, peut-être se tient-il sous la forme d'un ami, d'un parent ou de votre petit-ami.

Mon cœur se serre. Je sens l'émotion monter en moi telle la lave d'un volcan en fusion. Oui. Le surnaturel peut être n'importe où, comme sous la forme d'une petite-amie...

Colin m'avait pour petite-amie. Il embrassait un monstre, un assassin. Son assassin.

Des bruits de pas m'arrachent à ma culpabilité. J'essuie mon visage mouillé par les larmes ( non de sang ) avec la manche de mon sweat. Je soupire doucement en revêtant du mieux que je peux mon masque d'impassibilité avec mes mains engourdies.

Tears of BloodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant