Aujourd'hui, j'ai vu pour la première fois le visage de l'ombre.
Elle m'observait en silence dans l'obscurité, aux aguets, immobile.
Je sais parfaitement ce qu'elle avait dans les yeux,
cette force qui la maintient vivante : la haine.
Carlos Ruiz Zafòn
Ne sachant à quoi m'occuper, je décidai de retourner dans le bureau de Thaddeus afin de fouiner un peu plus longuement dans ses affaires, mais alors que je venais de m'installer dans son vieux fauteuil, le silence de la maison fut ébranlé par trois coups portés contre la porte d'entrée. Je pensais que ce devait être Imelda, qui avait peut-être oublié quelque chose, mais je me ravisai ; elle serait entrée sans s'annoncer.
Je me levai alors pour me présenter à la porte d'entrée. Sur le seuil se trouvait une petite fille aux cheveux roux flamboyants.
- Lottie, quelle surprise, m'exclamai-je en lui ouvrant.
- Bonjour Sarah, me salua-t-elle en entrant.
- Que viens-tu faire par ici ?
- Ne t'avais-je donc pas dit que je reviendrais, répondit la fillette m'adressant un sourire plein de malice.
- Bien sûr, et je suis d'ailleurs ravie de te revoir, tu tombes à pic pour le thé.
- Oh, mais je n'en prendrai que s'il y a des biscuits avec, prévint-elle en se dirigeant vers le petit salon, comme si elle connaissait déjà le chemin.
- Tu as de la chance, Mrs Molesley a préparé des biscuits, je vais les chercher.
Je me rendis alors dans la cuisine pour garnir à nouveau le plateau soigneusement remis en place par Imelda. Lorsque je pénétrai dans le salon, Lottie s'était installée confortablement dans le sofa. Je l'observai un instant, elle paraissait plongée dans ses pensées, et un sourire illuminait son visage laiteux. Elle était comme absorbée par le vide qui s'ouvrait devant ses yeux, comme si elle y observait des choses qui, pour nous, adultes, étaient invisibles. Elle me rappelait étrangement quelqu'un... La petite fille que j'étais sans doute, solitaire et souvent happée dans un monde imaginaire riche et fantasque.
Lottie leva les yeux vers moi et me sourit alors que je m'installai face à elle. Je lui servis une tasse de thé et poussai l'assiette de shortbreads vers elle.
- C'est drôlement chouette de ne plus être toute seule ici, s'enthousiasma-t-elle en s'emparant d'une sucrerie.
- Tu es avec tes parents tout de même.
- Oui, mais eux ce n'est pas pareil, ils ne s'occupent pas de moi, c'est un peu comme si je n'étais pas là ! Et puis sur cette île, il n'y a jamais personne, à part l'été bien sûr, mais maintenant il y a toi.
- Et qui sont tes parents ?
- Matthew et Helen McCrory, nous habitons une grande maison à l'autre bout de l'petite maison sur le dessus du village, tu pourras venir jouer à la maison, si tu veux.
Je ne pus m'empêcher de sourire tant cette petite fille était adorable. Elle engouffra un autre biscuit avant de poser son regard sur le magnifique piano à queue qui trônait fièrement devant la baie vitrée. Je me rendis compte que depuis mon arrivée, je n'y avais pas encore touché. Elle se leva et s'installa sur le banc. Elle posa ses fins doigts sur le clavier avant de les laisser courir maladroitement laissant s'échapper des notes qui me rappelèrent un air qui me poursuivais depuis mon enfance, un morceau que j'adorais ; le prélude de Bach. Je l'écoutai un moment, elle se reprit plusieurs fois mais en dépit de ses erreurs minimes, je devais avouer qu'elle possédait un potentiel avéré. Sentant l'envie monter de plus en plus en moi, j'allai m'asseoir à côté d'elle, et ensemble nous reprîmes ce prélude que je n'avais plus joué depuis des années. Lottie riait et je me surpris moi aussi à rire de ce moment d'intense complicité avec cette petite fille que je ne connaissais ni d'Ève, ni d'Adam.
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Cap Souvenirs
Mystery / ThrillerUn soir d'automne, le passé de Sarah refait brusquement surface avec l'irruption de son cousin. Il lui dévoile alors un secret qui changera sa vie à jamais. Orpheline et déshéritée depuis sa plus tendre enfance, la jeune femme apprend alors qu'elle...