Chapitre 14 :

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Je tire de l'eau du puits et l'apporte un peu plus loin. Il ne me reste qu'à ramener des paniers de légumes et j'ai fini pour ce matin. Et demain, je dois retourner voir Sika. Bientôt, c'est le test final des novices audacieux et il faut que je planifie ma sortie pour aller voir Peter ce jour-là.

Tout en portant deux paniers, je sens une présence dans mon dos. C'est Harmonie.

-Hey la mutine. Comment tu vas ?

-Ça va, je réponds tranquillement, et toi ?

-Super, affirme-t-elle en se balançant sur ses pieds.

-Dit, tu sais pourquoi les érudits, comme tu as dit, ne sont pas venus m'embêter ? Je veux dire ils vont peut-être croire que mes parents étaient violents ou un truc du genre, à cause de ma défection.

-Je pense qu'ils sont plus occupés à chasser les divergents.

-Oh, mais justement pour eux je pourrais en être une.

- Alors attends-toi à ce qu'ils viennent. Mais si Johanna ne leur a rien communiqué de bizarre sur ton cas, ils vont d'abord trouver les plus évidents. Genre chez les audacieux, c'est difficile de cacher sa divergence.

Je lâche mes paniers et la regarde.

-Quoi ?

-Bah oui, ils sont hyper doués aux simulations de peurs, d'après ce que j'ai entendu. Des fois, ils vont trop vite ou c'est trop facile pour eux et selon le leader, ils peuvent être balancés.

Je me passe une main dans les cheveux en me mordant la lèvre.

-Tu connais quelqu'un de divergent c'est ça ? Me dit pas non, ça se voit.

Je ne dois pas dire que c'est Peter, je ne connais pas assez Harmonie pour lui faire confiance. Je ne peux pas lui dire que c'est ma mère non plus.

-Mon père, mais du coup ce n'est pas si grave. Il ne doit plus passer de simulations.

-Oui, heureusement.

Elle se baisse et ramasse les quelques légumes qui sont tombés pour les remettre dans les paniers.

-Merci.

Je les reprends et vais les poser près des cuisines puis me met à table. Harmonie a déjà disparu. Grace et Mélinda viennent s'assoir en face de moi avec des assiettes pleines. Nous discutons un peu puis Grace se rend à une autre table car on l'appelle.

-Alors choupette, quoi de beau ?

-C'est bientôt mon anniversaire, répond-elle en fixant son assiette.

-Oh génial ! Tu vas avoir quel âge ?

-6 ans !

-Heureusement que tu me l'as dit sinon j'aurais jamais eu assez de temps pour t'acheter un cadeau.

-Un cadeau ? demande-t-elle le sourire aux oreilles, sans quitter des yeux son assiette.

-Bien sûr, qu'est-ce que tu crois ? Tu n'as pas faim ?

-Si, très. Mais je dois profiter du moment.

Elle attrape sa fourchette et prend un morceau d'œuf.

-Oui c'est important.

-Non, je veux dire maintenant plus que d'habitude.

-Pourquoi ?

Elle porte sa fourchette à sa bouche, mâche doucement puis avale.

-Parce que j'ai pas le droit de manger des œufs alors je ne le ferais qu'aujourd'hui.

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Je m'étouffe presque et la regarde.

-Recraches ça !

Trop tard. Elle commence à avoir les lèvres qui gonflent et mal au ventre. Je me poste à genoux devant elle.

-Respire bien.

Je vois qu'elle est affolée. Elle garde ses mains crispées sur son ventre puis perd connaissance et je la rattrape à temps. Je l'allonge par terre tandis qu'un attroupement se forme autour de nous. Ce matin, j'ai pensé à prendre ma valisette de médecine et je comprends pourquoi elle m'est utile maintenant. Je l'ouvre en vitesse et cherche un flacon. Les érudits ont réussi à inventer un remède qui marche pour toutes les allergies. Je prends une seringue et l'en remplis puis pique mon amie dans le creux du coude. Je regarde son visage, attendant qu'elle se réveille. Elle respire encore, mais mal. Si ça continue, elle ne pourra plus du tout. Elle finit par ouvrir faiblement ses yeux.

-C'est pas encore fini, avale ça.

Je lui tends un petit verre rempli d'un liquide orange. Je lui tiens la tête pour l'aider et elle l'avale d'un trait. Elle pâlit un peu puis vomit.

-C'est bon, tu peux relâcher.

Elle se laisse tomber dans mes bras. Mais cette fois, le danger est écarté. Je l'emmène au dispensaire et Grace se porte volontaire pour nettoyer. J'explique à une soignante ce qu'il s'est passé et repars au réfectoire car je n'ai toujours pas mangé. Tout le monde est retourné à sa place et le sol est propre. Comme s'il ne s'était rien passé. Je plonge ma cuillère dans une soupe rouge et je vois Johanna s'assoir doucement en face de moi. Elle me regarde d'un air que je ne saurais décrire.

-Ce que tu as fait là... Je suis vraiment heureuse que tu nous aies rejoints, tu sais ? Tu as un certain sang-froid que beaucoup de fraternels n'ont pas.

-Et je ne l'aurais pas sans avoir été audacieuse.

-Je le sais bien. Et les gens ont fini par le comprendre je crois. Tu as bientôt fini ta formation ?

-Oui, il me semble. Evidemment, je retournerais de temps en temps en ville pour améliorer certains points ou pour me rafraîchir la mémoire mais je viens bientôt pouvoir pratiquer ici.

-Bien. Et comme je sais que tu n'aimes pas trop être enfermée, je pense que tu pourras circuler librement, en aidant là où il faut, au cas où des accidents comme aujourd'hui arrivent. Cela te contient-il ?

-Absolument.

Elle me sourit puis m'observe attentivement avant de demander en chuchotant :

-Tu y es allé hier ? Tu sembles énervée.

-Oui, j'y suis allé. Mais je n'ai vu que lui. En fait, c'est Harmonie qui m'a... alarmé.

-Oh. Je suis désolée Eli mais c'est notre marché, tu vas devoir avoir une injection.

-Je comprends.

-Je leur dirais que tu as encore un coup de pression à cause de Mélinda.

Elle sort de ma table et j'ai à peine le temps de finir ma soupe avant que les deux hommes que je vois d'habitude me demandent, gentiment, de les suivre.

***

Je suis affalée contre le mur, dans mon lit en hauteur. On nous a affectés dans de nouveaux bungalows, mais rien n'a changé. J'ai les mêmes colocataires et nous avons les mêmes lits. Mais maintenant nous avons une commode chacune et un bureau équipé d'un miroir. Les toilettes sont toujours réservées aux filles et sont au fond du couloir. Je réfléchis. Quand Peter sera audacieux confirmé -comme s'il pouvait échouer- il devra choisir un métier. Et selon celui-ci, ce sera plus ou moins compliqué de le revoir. Et il faudrait qu'il choisisse quelque chose de discret, du fait de sa divergence. Enfin, on en discutera. J'essaie maintenant de trouver à qui appartenait le souvenir de mon cauchemar, qui s'est transformé en une peur des incendies. J'ai beau me creuser les méninges, je ne sais pas. Il faut que je bouge. Je vais voir Mélinda, allongée dans un lit trop grand pour elle, au dispensaire. Je m'assois au niveau de ses genoux et lui demande doucement :

-Ça va mieux ?

Elle hoche la tête. Elle est encore épuisée.

-Tu ne dois plus jamais mangé d'œuf, d'accord ? Si ta mère te l'a interdit, c'est parce que tu es allergique et ça te fait faire des crises.

-D'accord, se force-t-elle à dire.

-C'est bien ma grande, t'es une championne. Je reviendrais te voir plus tard.

En sortant, je croise Grace qui parle avec une femme avec une main sur son épaule. Ses cheveux bruns ont poussé et elle porte souvent du rouge à lèvre et des habits rouges. Elle est rayonnante. Elle dit au revoir puis vient vers moi.

-On marche un peu ? me propose-t-elle.

J'acquiesce.

-Alors, tu ne sais toujours pas dans quoi tu veux travailler ?

-Non. J'ai l'impression que rien ne me va. J'aimerais aider les gens tout en faisant quelque chose qui me plaît.

-Je crois que j'ai une idée.

-Ah oui ? Quoi donc ?

-Tu devrais devenir conseillère.

Elle me regarde, regarde le sol puis me sourit grandement.

Divergent Fiction : The AnchorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant