Mouton Noir

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Pas plus tard qu'hier on m'a versé de l'encre noir sur mes cheveux blonds à mon insu.

Tout se fait à mon insu.

Je n'ai pas ouvert un manuel sans tomber sur une page griffonnée de mots et de dessins peu flatteurs.

À la rentrée, il y avait cette belle fille, seule et perdue. J'ignore ce qu'elle a vu en moi, mais elle s'est mise en tête de me mettre dans sa poche. Alors que je demandais à être seule, elle voulait qu'on soit amies dans le genre meilleures amies pour la vie.

Denisa est une blonde platine. Je suis une blonde cendrée. Nous étions deux blondes et ça lui suffisait.

Le hic est que je ne me voyais pas être amie avec elle. En pensant l'épargner de ma compagnie nocive, je lui ai fait comprendre que notre amitié était condamnée depuis le début.

Denisa me fatiguait.

Parce qu'elle était cette fille qui ne pouvait se contenter d'avoir qu'une amie. À se faire aimer par tout le monde, on est aimé par personne mais elle n'en avait pas conscience. Le nombre était le pouvoir. C'était son credo.

Répondre "non" à sa demande d'amie m'a mise automatiquement sur liste rouge. Du jour au lendemain, j'avais scellé mon destin.

Les brimades ont débuté. Je ne les ai pas prises au sérieux. Pour moi c'était une ribambelle de filles qui tournait autour de Denisa comme une forteresse de rose et de paillettes. Je n'ai rien fait pour les arrêter. Je n'en avais pas l'énergie. Je les voyais s'esclaffer alors qu'elles remettaient les manuels dans mon casier. J'ai eu aussi droit à des chewing-gums comme décoration sur mon bureau et ma chaise.

Ne jamais sous-estimer la mesquinerie d'une belle fille. Les mecs trouvent ça peut-être attirant. Moi je trouve ça méprisant.

Donc voilà, j'étais sans ami. Par choix. Parce que je ne cherchais pas à entrer dans un groupe. À m'infiltrer. Sourire est déjà un effort insurmontable pour moi alors le faire tous les jours...Parler encore plus.

Mais en vérité, être seule contre le nombre c'est en vérité effrayant.

Il y a cette autre fille qui se fait persécuter comme moi.

Pour d'autres raisons.

Des raisons débiles.

Des raisons d'apparence.

Je ne connais pas son histoire mais je la plains. Oui, je ressens de la pitié pour cette créature rejetée à cause de son physique. L'histoire du vilain petit canard or elle n'est malheureusement pas un cygne.

Un garçon l'a poussé dans l'étang aux grenouilles alors qu'elle était accroupie à regarder la surface de l'eau. Elle n'a même pas crié. Elle s'est juste laissée tomber. Comme une statue.

Je n'ai pas compris.

Je ne comprends toujours pas le fonctionnement de la cruauté.

D'un œil passif et figé, je l'ai regardé se relever et rester dans le bassin. L'eau grise lui montait sous les genoux. Ses cheveux noirs, naguère si beaux, étaient imbibés de boue. Elle a gardé piteusement la tête baissée alors que le garçon riait avec ses copains qui le traitaient d'idiot. Ils ne sont pas excusés. Ils ne l'ont pas aidés. Ils ont juste passé leur chemin sans un regard en arrière en parlant du fait que le bassin était un deuxième urinoir pour les mecs quand ces derniers avaient la flemme d'aller proprement aux toilettes.

Je hais les bandes. De filles ou de garçons.

Elle avait ses mains en forme de coquille qu'elle gardait serrées contre son ventre. Après leur départ, ses doigts se sont dépliés et j'ai vu une rainette verte dans sa paume.

Marnie a eu un sourire détraqué et, pendant un instant, j'ai entrevu sa beauté dans le dessein de sa balafre avant qu'elle ne détourne son visage pour se cacher.

Le lycée est une ferme d'animaux et comme l'a dit George Orwell : "Tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d'autres."

Elle et moi des moutons noirs. Des stigmatisées. Ce n'est pas à cause de nous. C'est au-delà de nous.

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant