5 - Course-poursuite

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   Ça faisait maintenant plusieurs minutes qu'Aurélia courrait pour éviter de tomber entre les crocs du canidé. Ce dernier faisant davantage peur que par son aboiement infernal que par sa taille, elle avait l'impression d'être poursuivie par une abomination plutôt que par un animal de compagnie.

  Thomas courait devant ses yeux, se retournant quelques fois pour s'assurer de la survie de sa camarade. Chose amusante, la façon dont il courrait comme un guignol montrait qu'il était celui des deux à avoir le plus peur du chien. La chasse à l'humain perdurait, et les deux assaillis étaient sur le point de perdre haleine.

  Sous les ordres furtifs d'Aurélia, le duo s'engouffra dans un passage bifurquant sur la droite. Les arbres volaient autour de leur champs de vision, ils esquivèrent les branches avec la plus grande agilité, jetant souvent un œil en arrière pour constater avec angoisse quel'horrible chien les poursuivait toujours. Circuler vivement de sentiers en sentiers comme ils le faisait si bien ne servait apparemment à rien, étant donné que les pattes agiles de la bête lui permettaient toujours de reprendre aussitôt ses proies en chasse.

  Thomas guida le terrifiant cortège vers une allée au sol pluvieux, espérant que la boue ralentisse l'animal qui ne cessait d'aboyer d'ailleurs, aussi bien que leurs semelles dérapaient dessus. Dans les chasses, tous faillirent finir au sol, les adolescents comme le chien, le sentier étant devenu une véritable patinoire. Après avoir parcouru presque la totalité des chemins terreaux, le tenace canidé leur courrait toujours après. Thomas eut alors comme un sursaut de génie en contemplant vers sa gauche un semblant d'amas d'arbres morts.

  - Viens, j'ai une idée ! Cria t-il, ses mots emportés par le vent qui les fouettait de face.

   Il embarqua sa camarade par la main, ce qui ne fut pas sans la gêner au plus grand point, mais la gravité de la situation l'empêcha de négocier.Aurélia se fit emmener par Thomas vers un grand arbre, et se mit à le grimper. Il fallait faire vite, car le prédateur galopait tout droit vers eux dès la fin du virage. Aussitôt la dernière jambe levée du sol, Aurélia vers la cime de l'arbre pour se cacher dans l'épais feuillage.

   Le chien du garde-forestier s'était arrêté au niveau des racines, et aboyait. Aurélia prit soin de bien cacher toutes les parties de son corps dans l'amas de feuilles, quand Thomas lui fit signe de ne pas bouger.Quelqu'un approchait le chien.

   - Et bien, Bobby,on dirait que tu as trouvé des fouineurs !

   C'était le garde-forestier. Le cœur d'Aurélia fit un tout dans sa poitrine.Elle voyait à travers les branches l'allure titubante du vieil homme qui laissa penser que l'alcool prenait l'emprise du chasseur.Celui-ci rejoignit son compagnon animal et scruta l'arbre avec une folle envie de tirer une balle dans quelque chose. Aurélia tremblait à l'idée de sentir son regard plongé dans le sien.

   Puis il lâcha un râlement d'agacement.

   - Et merde, t'as encore poursuivi un écureuil et tu t'es excité pour un rien, comme d'hab ! Allez, on rentre, lança t-il à son chien à léger coup de crosse dans le postérieur.

   Après le départ du garde forestier, un silence oppressant se fit dans les bois.Aurélia et Thomas se regardèrent avec des yeux apeurés. La jeune fille était pour une fois bien contente qu'il soit venu avec elle.Chose étrange, au fur et à mesure qu'ils se contemplaient, Thomas se mit à rire. Aurélia le regarda, interloquée, se demandant par quel moyen arrivait-il à rire après une situation pareille.

   Puis elle comprit de quel rire il s'agissait. Ce n'était pas un rire comme les autres,comme on à une bonne blague, ni un défoulement démontrant l'ironie de la situation. C'était un rire qui voulait dire que ce moment était un des meilleurs de sa vie, et que pour rien au monde il n'aurait souhaité revenir dans le passé pour changer un seul élément de cet épisode. Quand Aurélia admira la bouche hilare son camarade, elle y voyait derrière la rangée de dents une âme si pure et si bienveillante. Et chose qui bouillonnait en elle sans trop savoir pourquoi, elle se mit à rire aussi.

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