IV

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- Tu trouves pas ça super bizarre que le terme "là-haut" désigne forcément un truc en hauteur, alors que "là-bas", c'est pas forcément en bas ?
- Tu trouves pas ça super bizarre comme question ?
- Nan, mais sérieux, c'est étrange, on est d'accord ?
- J'en sais rien. Ouais, on va dire que c'est étrange. Mais très honnêtement, je m'étais jamais interrogée là-dessus et ça me manquait pas plus que ça. Je pense pas que cette réflexion profondément juste change quoique ce soit à mon existence.
- Pourquoi quand je fais des observations linguistiques complexes, tu te sens obligée de te foutre de moi ?
- "Des observations linguistiques complexes". La blague.
- Tu vois. Tu te moques.
- Je me moque parce que tu es cul nu sur le carrelage en train de mettre des Converses et tout ce que tu trouves à dire, c'est ces conneries.
- Je suis pas cul nu et c'est pas des conneries !
- Sunmi. Debout.
- Mais je dis pas n'importe quoi ! Je trouve ça vraiment curieux et je suis quasi sûre qu'il y a une explication étymologique !
- Certainement, certainement. Tu verras ça dans la voiture, okay ?
- J'ai pas fini de faire mes lacets !
- J'attends cinq secondes. Pas plus.
- Ça suffira !
- Parfait. Un… Deux… Trois… Quatre…
- C'est bon ! Tu as vu comme je suis rapide !
- Tu veux que je te félicite ? Putain, je félicite pas Franklin quand il fait ses lacets !
- Qu'est-ce que Franklin vient faire dans l'histoire ?
- Chut. Debout et prends ta veste.
- On va où déjà ?
- Mais tu as un vagin à la place des oreilles ou ça se passe comment ?
- Est-ce que ça voudrait dire que j'entends avec ce qu'il y a entre mes jambes ? Et puis ça expliquerait pourquoi mes oreilles sont une zone sensible…
- Tu es obligée de prendre tout ce que je dis au premier degré ?
- Je prends pas les choses au premier degré, j'effectue une profonde réflexion sur la notion de normalité dans notre société actuelle.
- Oui, oui, c'est ça. Tiens, ton manteau.
- Ah nan, je veux pas celui-là !
- Mais tu veux lequel alors ?!
- Je vais y aller moi-même.
- Mais bouge-toi l'arrière train !
- C'est bizarre comme mot ça aussi…
- De quoi ?
- Bah "arrière train".
- Je vais te taper.
- Pourquoi ?
- Ferme-la. Je vais aller t'attendre dans la voiture.
- Mais attends-moi !
- Tu crois que je fais quoi depuis dix minutes ?!
- Tu m'admires ?
- Nan, t'es moche. Allez, on y va.
- Mais c'est méchant, ça !
- Oui, très. On fait quoi maintenant ?
- Tu as pas dit qu'on allait faire les courses ?
- Tu vois que tu t'en souviens ! … Pourquoi tu me montres tes ovaires ?
- Parce que c'est là que je stocke les informations, si on suit ta logique.
- Ma logique ?! J'en ai marre de toi.
- Moi aussi.
- Tu en as marre de moi ?
- Nan, j'en ai marre de moi-même.
- Comment ça ?
- En ce moment…
- Attends, tu veux pas qu'on en parle dans la voiture. On sera mieux que debout comme deux nouilles devant notre porte.
- Oui, pas faux.
- Maintenant que nous sommes assises, je t'écoute.
- Donc oui, en ce moment, je dis que de la merde. Mes pensées sont toutes bizarres. Je pense à des trucs que je n'aurais jamais envisagés en temps normal. Du coup, ce matin, en buvant mon thé, j'ai lu la notice de mes médicaments. Et dans les effets indésirables, qu'est ce que j'ai trouvé ? "Pensées et idées étranges" et "humeur anormalement gaie".
- Gay ?
- Gai. Avec un i.
- Ah.
- Donc voilà. Et je me fatigue toute seule à rire de mes idées qui n'ont ni queue ni tête. C'est comme quand tu promènes un chien qui fait quatre fois ton poids et qu'il écoute rien. Il va où il veut, il fait sa vie et toi, tu suis en drapeau derrière. C'est très perturbant, cette sensation de ne pas contrôler ce qu'il se passe dans son cerveau.
- Tu en as parlé à ta psy ?
- Ouais. Mais tu sais, ma psychiatre est un peu nulle et ça avait pas l'air de l'inquiéter.
- En soit, ça ne doit pas être grave.
- Nan, certainement. Mais c'est fatiguant. Je suis fatiguée de ma propre façon de réfléchir. Alors j'en ai marre de moi. Et je comprends que toi aussi.
- Je rigole quand je dis ça.
- Mouais.
- C'est vrai que des fois, tu m'agaces. Mais dès que tu es plus dans les parages, tu manques beaucoup trop. Tes pensées bizarres, elles prennent de la place. Dans mon quotidien et dans mon coeur.
- …
- Putain, mais c'est incroyablement niais, ce que je raconte là !
- Je m'en fous. Moi, j'aime bien. Les trucs niais, c'est comme le caramel. Quand y en a trop, ça écoeure, mais c'est tellement bon qu'on en veut quand même.
- C'est tellement beau ce que tu me dis.
- C'est pour ça que tu m'aimes, nan ?
- Ça devient pas écoeurant, là ?
- Tu as pas nié. Du coup, je prends ça pour une déclaration enflammée !
- Ils ont raison sur cette notice.
- De quoi ?
- Tu as des idées gay.
- Avec un i ?
- Nan, avec un y.

Conversations - Sunmi & YubinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant